Sélection ?

17 avril 2018,

KAK. d.r. L’Opinion

Par Ghislain Nicaise
Le mouvement contre la loi Orientation et Réussite des Etudiants (ORE) a reçu il y a une semaine le soutien de 425 enseignant-e-s des Universités. Après mûre réflexion, c’est ce soutien qui m’a décidé à exposer le point de vue d’un retraité de cette profession, qui n’a plus rien à perdre ni à gagner à dire ce qu’il pense.

Les fonctions de l’enseignement supérieur sont multiples mais il y en a une qui laisse très peu de futur-e-s étudiant-e-s indifférent-e-s, c’est la qualification qui leur permettra d’exercer un métier intéressant et/ou correctement rémunéré. Cette qualification passe par la maitrise d’un vocabulaire spécialisé et souvent aussi des savoir-faire nécessaires à l’exercice de ces professions. L’accès à l’un de ces métiers convoités passe par une sélection, si vous voulez bien laisser de côté les cas où il y a moins de candidatures que de postes offerts sur le marché de l’emploi. Cette sélection se fait à différentes étapes des études ou en dernier ressort au moment de l’embauche.
Le manifeste des 425 dit « Notre prise de position s’explique d’abord par notre rejet de toute forme de sélection à l’entrée de l’université ».
Premier problème :
Quand une de ces étapes de sélection est organisée après l’obtention du baccalauréat, elle reçoit une adhésion massive des candidat-e-s et de leurs familles. Ce peut-être pour les métiers à savoir-faire, comme les métiers de santé, ou comme les brevets de techniciens supérieurs issus des DUT et BTS. Ce peut-être aussi pour un niveau général de performance intellectuelle, principalement testé par les mathématiques, comme pour les Grandes écoles, une particularité française que personne ne nous envie. A noter que la méthode de sélection est parfois tout à fait inappropriée comme dans le cas des professions de santé, sélectionnées exclusivement sur la capacité de mémoire et pas sur les qualités d’écoute, d’empathie, d’adresse manuelle…qui seraient au moins aussi utiles. Je ne m’exprimerai pas sur les mathématiques.
Mais personne ne proteste. Il s’agit d’une sélection massive pourtant, avec par exemple une candidature sur 10 retenue pour démarrer des études médicales. Les neuf autres candidatures vont ainsi non pas à l’université en général mais dans les disciplines universitaires qui n’ont pas de sélection. Y vont-elles pour s’inscrire au chômage à la fin de leurs études ? Pour acquérir une culture qui leur permettra de mieux supporter une vie rude en Ardèche, dans l’Aude ou sur une ZAD ? Je crois que dans leur grande majorité elles souhaitent le métier urbain, bien payé et intéressant auquel elles n’ont pas pu accéder au premier round. Ces jeunes personnes ont raison mais devons nous pour autant former chaque année des milliers de sociologues parce que l’accès à ces études n’est pas sélectif ?

Deuxième problème :
Cela a été dit et redit, la sélection par l’échec dans les filières qui ne pratiquent aucune sélection à l’entrée est une faiblesse, voire une honte de notre système éducatif. La majorité des étudiant-e-s qui rentrent dans une filière non sélective ne terminent pas leur cycle d’études, c’est l’inverse dans les filières sélectives et de loin. L’état d’esprit d’étudiant-e-s qui veulent s’inscrire dans une filière non sélective relève du biais d’optimisme, à la manière de soldats partant au combat et pensant tous qu’ils en reviendront, même si leurs chances sont minimes.

Troisième problème :
Les mouvements étudiants fleurissent au printemps. En tant qu’enseignant je redoutais les grèves intempestives de fin d’année, la panique à l’approche des examens. En tant qu’étudiant, je me souviens avoir eu en licence une forte angine psychosomatique fin juin qui m’a permis d’échapper à un examen auquel je n’étais pas prêt. Les ministres et président-e-s d’université ont beau s’évertuer à avancer des réformes le plus tôt possible, c’est au moment où les étudiant-e-s se disent qu’ils ou elles ont très peu de chance de réussite qu’ils se décident à manifester (plutôt ils que elles). Il y a eu un défilé minuscule de protestation au moment où la loi ORE est passée, c’est maintenant que les mouvements prennent de l’ampleur, les examens approchent.

Quatrième (et probablement pas dernier) problème :
Plus il y a d’étudiants inscrits dans une filière, plus les enseignant-e-s de cette filière ont des chances d’obtenir des postes pour leurs doctorant-e-s et aussi parfois pour leur propre promotion. C’est en partie ce qui motive le zèle de bien des collègues à créer de nouveaux enseignements, quitte à ce que les savoir-faire, qui nécessitent des investissements parfois lourds en personnel et en crédits, soient mis entre parenthèses. Ce n’est pas honteux, c’est éthique que des responsables fassent ce qu’ils peuvent pour caser leurs élèves, mais on a là typiquement un souhait de croissance indéfinie qui se heurte à une ressource finie.

Conclusion (provisoire !) :
La seule supériorité de l’Enseignement supérieur, à part l’âge des élèves, c’est sa liaison avec une pratique, la recherche. Cette pratique se communique bien en travaux pratiques ou dirigés, en petits groupes, et généralement moins bien en cours magistral dans un grand amphi. En tous cas, c’est comme cela que je l’ai vécu. J’ai enseigné la biologie dans des pays dits « en développement », les étudiant-e-s n’avaient pas besoin de cours, ils/elles assistaient déjà à d’excellents cours magistraux, très à jour, mais ne savaient rien faire de leurs dix doigts. Lors de mon séjour à Berkeley, une des meilleures universités américaines, l’unité de valeur de biologie la plus recherchée (très sélective !) n’avait pas de cours, le prof rédigeait un polycopié mis à jour chaque année et les étudiant-e-s manipulaient avec les instructions de ce polycopié et l’encadrement d’un assistant. A la fin de leur stage de travaux pratiques à temps plein, elles ou ils présentaient un mémoire avec des résultats parfois nouveaux pour la science. Pour l’accès à tous les métiers dont le recrutement passe par un savoir-faire, l’Université a besoin de moyens coûteux et l’accès à ces moyens n’est simplement pas possible si les effectifs ne sont pas connus à l’avance avec précision. Lorsque seul un bon niveau de performances intellectuelles suffit, et je pense à l’exemple de médecins engagés pour des activités de cadre qui n’ont rien à voir avec la santé, il y aura toujours une sélection et la seule question qui se pose est « à quel niveau la souhaitez-vous ? ».