Sur le blog d’Axel Kahn

9 avril 2020,

Sous le titre LES (mauvaises) SURPRISES DU Sras-CoV-2, alias Covid_19, le point de vue d’Axel Kahn, 9 avril 2020

Les habitués de mes billets savaient depuis la fin février que l’épidémie chinoise était devenue une pandémie, que nous en serions affectés, que dans ce contexte voter pour les municipales était absurde. En effet, la pneumopathie virale entraînée était, soulignais-je, 2 à 3 fois plus infectieuse et 10 à 30 fois plus mortelle que la grippe saisonnière. Elle évoquait plutôt la grippe espagnole. Je notais de plus que les morts liées à Covid_19, son nom d’alors, étaient directes, celles de la grippe saisonnière le plus souvent indirectes. J’ai aussi donné un modèle mathématique d’évolution de l’épidémie qui, avant l’inflexion de la courbe sous l’effet du confinement, s’est révélé prédictif. Aucune surprise, par conséquent, dans ce qui se passe ? Et bien si.

Le Sars lié au virus CoV-2 peut-être une maladie bien plus sévère, redoutablement sévère, qu’anticipé. De plus, ce n’est pas qu’une pneumopathie, c’est une affection sérieuse de l’organisme entier, par des mécanismes directs et indirects. Le virus interfère d’abord avec des chaines glucidiques membranaires, puis avec son « récepteur », celui aussi de CoV-1, une protéine membranaire ACE2. C’est là une enzyme mais la signification physiopathologique de ce fait est incertaine. Ces récepteur et corécepteurs ne sont pas localisés seulement sur les cellules ciliées du pharynx et des bronches, mais aussi de l’intestin, au niveau du système nerveux central – et peut-être périphérique –, du foie et, le cas échéant des cellules de la paroi des vaisseaux.

De ce fait, à côté des symptômes ORL et pulmonaires de l’infection, on a décrit des symptômes neurologiques (agueusie, anosmie, soit perte du goût et de l’odorat par atteinte de noyaux centraux de la base du cerveau), psychiatriques, digestifs, cutanés peut-être liés à une atteinte des petits vaisseaux…Des modèles animaux suggèrent que certaines morts brutales au 7e jour d’évolution, décrites notamment en Ehpad, pourraient signer des atteintes du bulbe rachidien atteint de matière rétrograde à partir du bulbe olfactif et des fosses nasales.

Par ailleurs, la maladie évolue en deux phases. La première va de l’apparition des premiers symptômes au 7 – 10e jour. En dehors des formes asymptomatiques, dont la proportion exacte ne sera pas connue avant un testing sérologique de la population – le tableau, que j’ai déjà décrit, est celui d’une « grippe cognée » où dominent toux sèche, gêne thoracique et épuisement. Il n’est pas rare de perdre plusieurs kilos en peu de temps et d’en sortir « sur les rotules ».

La seconde phase est dans 85 % des cas celle du rétablissement progressif en une dizaine de jours. Des anticorps neutralisants sont apparus, sans doute une immunité cellulaire aussi, ils aboutissent à une clairance virale progressive, une disparition au bout, en moyenne, de 3 semaines d’évolution.

Cependant, parfois, chez des sujets affaiblis mais pas seulement, la réponse anticorps est retardée, ou modeste, le taux d’anticorps neutralisants est bas, les cellules infectées continuent de produire en masse le virus. Cette production intense, et sans doute la rencontre des anticorps et des cellules immunitaires sensibilisées, même insuffisants, avec les virions abondants et les tissus infectés provoquent une réaction inflammatoire violente, une libération de cytokines et d’autres médiateurs de l’inflammation, une vasodilatation et de l’œdème, parfois un véritable état de choc avec baisse tensionnelle, etc.

Le tableau pulmonaire entraîné est alors celui d’un effondrement de la perméabilité de la paroi des alvéoles et d’une hypoxie (baisse de l’oxygénation du sang) sévère, le cas échéant dramatique. L’administration d’oxygène ne suffit plus, il faut instaurer une ventilation mécanique insufflant d’importantes concentrations d’oxygène dont la toxicité pulmonaire propre est bien documentée. Des techniques modernes de réanimation (rythme respiratoire ultrarapide, par exemple) permettent de faire face…en une certaine mesure. Dans des cas héroïques, il n’y a plus rien à attendre pour un temps de la fonction pulmonaire, les personnes sont placées, dans les cas rares où un tel matériel est disponible, sous « cœur-poumon artificiel » ou l’oxygénation du sang s’opère dans des membranes synthétiques au travers desquelles le sang est pulsé.

Ces phases de réanimation intensive sont prolongées, souvent plus de deux semaines, jusqu’à un mois. La mortalité est retardée mais considérable, expliquant dans le monde entier l’accroissement progressif avec le temps des pourcentages de mortalité.

Outre la réanimation, les produits testés à ces phases cherchent à lutter contre le processus inflammatoire, en particulier l’orage cytokinique : les anticorps monoclonaux actifs contre des maladies inflammatoires chroniques, notamment anti-IL6, apparaissent utiles.

Bien entendu, la production virale est, chez les personnes atteintes de formes graves, bien plus prolongée que chez les autres. Jusqu’à leur décès lorsque telle est hélas, l’issue.

La dernière mauvaise surprise – pas totalement une surprise car les Chinois l’avaient évoquée – est celle des séquelles possibles. Pas simplement celles des réanimations héroïques, inévitables. Il se pourrait aussi que les atteintes pulmonaires, même moins sévères, pussent laisser comme trace un certain degré de fibrose. Dont on peut croiser les doigts pour qu’elle ne soit pas évolutive.

Voyez, ça vaut vraiment la peine d’éviter cela. Par le confinement et tout autre moyen d’efficacité avérée.

Axel Kahn , le jeudi 9 avril 2020

Commentaire d’un lecteur : Juste une question : Comment se fait il que la communauté scientifique (infectiologues, épidémiologistes, pneumologues etc… ) ne puissent pas s’accorder sur les études concernant le traitement (?) du Pr Raoult.

  • Il annonce aujourd’hui des résultats probants.
  • Ses soutiens ( Pr Douste Blazy par exemple) affirment que l’étude Discovery est « pipée » car ne suivant pas le protocole de Raoult : prendre le traitement AVANT la phase critique.
  • Submergé d’informations contradictoires émanant de professeur tous plus diplômés les uns que les autres (parfois soutenues par les théories complotistes ) nous, les néophytes qui cherchent juste à s’informer objectivement, sommes désemparés et stupéfaits du déchirement du corps médical.
  • Votre avis ?
  • Très très cordialement
  • Philippe

    réponse d’Axel Kahn le 9 avril 2020

    Pour l’instant, cher Monsieur, le bilan est le suivant. Rien encore d’établi.
    BILAN D’ÉTAPE DES ESSAIS DE L’YDROXYCHLOROQUINE (HCQ) DANS LE SARS DÛ À CoV-2
    J’ai espéré que l’HCQ soit utile dans le traitement précoce du Sars. Dans l’état actuel des choses, il ne le semble pas. Nous disposons de six « essais » du produit, seul ou accompagné de l’antibiotique macrolide azithromycine. Sur le plan clinique, un seul semblait encourageant, les autres, à l’observation attentive, sont plutôt négatifs.

    • Rappelons que l’HXQ et la CQ sont actifs en culture de cellules sur CoV-1, le virus du Chikungunya, de la grippe H1N1 et sur CoV-2. En revanche, ils ne sont d’aucune utilité clinique dans les trois premiers cas. De façon logique, les Chinois l’ont testée sur Sars-CoV-2. Un rapport sans publication faisait état de résultats encourageants. Une étude contrôlée mais assez limitée était négative.
    • L’IHU de la Méditerranée s’est ressaisi de la problématique et a rapporté deux essais. Le premier, en y regardant de près, n’est pas encourageant. Les personnes traitées, une vingtaine, sont dites toutes guéries mais trois au moins ont été ôtées de l’étude car elles se sont aggravées, l’une est morte. Pas de mort dans le groupe non traité. La seconde étude sans groupe témoin porte sur 80 personnes recevant 600 mg d’HCQ et de l’Azt. 11 développent une forme sévère, trois vont en réanimation, une meurt. Ce sont là à peu près les statistiques mondiales. Les équipes de l’IHU soulignent cependant que le virus disparait très rapidement sous traitement.
    • Une étude contrôlée, enrôlant elle aussi un nombre limité de personnes dans un état plus grave que chez les patients de l’IHU, ne retrouve pas d’accélération de la clairance du virus sous HCQ.
    • Une étude suédoise n’est pas comptabilisée car stoppée par les autorités du fait des effets secondaires de l’HCQ aux doses utilisées.
    • Au moins deux études européennes sont en cours, enrôlant cette fois des centaines de malades. Elles ne sont pas dépouillées mais le suivi des résultats est pour l’instant négatif, aussi bien en l’occurrence en ce qui concerne l’HCQ que les autres produits testés. Dommage.
    • Par ailleurs, mais cette notation n’a rien de scientifique, le traitement par HCQ a été activement promu dès mi-mars aux États-Unis, par le Président lui-même. C’est dans ce pays que le bilan de l’épidémie sera le pire.
    • On reste confinés…