Vaccins

20 mars 2021,

Tiens ! On peut maintenant discuter rationnellement de la vaccination ?, par Alain Lipietz

La décision du Président de la République de suspendre la vaccination AstraZeneca eut au moins un mérite : la vaccination ça se discute, ça s’argumente, ce n’est pas un totem, un impératif catégorique. Les anti-vax peuvent avoir, dans certains cas, raison. Vieux débat français alimenté par les meilleurs esprits depuis les Lumières, et non par des timbrés complotistes vaguement Gilet Jaune.
   Première étape, donc : le Siècle des Lumières. Des éleveurs de l’empire ottoman et du Dorset remarquent que la vaccine, maladie de la vache généralement bénigne pour l’homme, immunise contre la variole, terrible maladie. Le mathématicien suisse Daniel Bernouilli, premier théoricien de la « mesure du risque », rassemble assez de statistiques allemandes pour mesurer les risques relatifs de ces deux maladies et en conclure qu’il est rationnel de s’inoculer la vaccine, résultat publié en 1766.
 Il est aussitôt contré par le grand philosophe et mathématicien des Lumières françaises, Nicolas de Condorcet. Qui réfute d’abord Bernouilli sur un point technique : il a oublié de prendre en compte l’espérance de vie en bonne santé. Mais surtout, il invoque l’objection libérale : chacun doit rester libre des risques qu’il prend. Eh oui, le démocrate, féministe, anti-esclavagite et rationaliste Condorcet, célébré par l’égérie du républicanisme le plus classique, Élisabeth Badinter, est le père des anti-vax. Louis XVI entend le débat et, au nom du principe du « double corps du Roi », se vaccine en public, car incarnant la Nation dans ses espérances statistiques.
Le cas AstraZeneca nous ramène directement à la problématique Bernouilli. Si ce vaccin ne protège pas mieux (à 60%) que le masque, alors, le plus léger doute sur les risques qu’il présente conduit mathématiquement à privilégier la prophylaxie externe, le masque, en attendant les vaccins efficaces à 90 %, car le masque n’a jamais étouffé personne, n’en déplaise aux complotistes. Et si le doute porte sur les moins de 55 ans, alors on réserve l’AstraZenaca au plus de 55 ans. Logique.
Seconde étape, fin XIXe siècle : la découverte du rôle des microbes dans les maladies infectieuses par Pasteur et Koch. Dès lors, certaines maladies étant contagieuses d’humain à humain, la vaccination prend une dimension supplémentaire : c’est une prophylaxie contre la propagation des épidémies vers autrui. L’État doit donc songer à la généraliser. Mais Pasteur et ses disciples sont (étaient ?) tout aussi connus pour leur plaidoyer en faveur de la « prophylaxie externe » : l’hygiène, la propreté, les habitations aérées (contre la diphtérie), et la protection du corps contre les vecteurs (cas de la malaria) ou par une membrane (cas du sida) : seules solutions tant que le vaccin n’existe pas. Sans oublier la troisième voie : trouver un médicament !
La vaccination générale, quand elle est possible, devient dès lors une valeur écologiste, altruiste et collective, au-delà des préférences individuelles. Le Vert Yannick Jadot, éduqué par la crise du sida, a surpris en prônant la vaccination obligatoire contre la Covid, invoquant cet argument. Le mot « obligatoire » était sans doute trop fort (« généralisée » aurait suffi), mais il s’agit bien de créer, par tout moyen, un environnement où le virus ne peut se transmettre. Problème : il n’est pas encore certain que l’immunisation à ce virus entraine la non-contagiosité.
Troisième étape, 1945 : la généralisation de l’assurance maladie. Il devient possible d’imposer la vaccination aux plus démunis, et donc la rendre obligatoire. La vaccination devient un enjeu économique : vacciner tout le monde est moins cher pour la Sécu que soigner les malades, mais chaque vaccin obligatoire devient une mine d’or pour les firmes pharmaceutiques, qu’elle soit justifiée ou non par les arguments Bernoulli ou Pasteur. En même temps, la recherche des économies de coût peut entrainer ces mêmes firmes à des imprudences au niveau de la fabrication, suivi du secret sur les effets secondaires pour rentabiliser les investissements.
Une terrible succession de scandales sanitaires, d’abord cachés par les firmes avec la complicité de cabinets ministériels ou d’agences chargées de leur surveillance, pousse cette fois les écologistes à la défense des lanceurs d’alerte. Dans le cas des vaccins, la découverte par les neurologues M. Coquet et R. Gherardi des dommages de l’adjuvant hydroxyde d’aluminium  (qui peut, assez fréquemment, provoquer une maladie invalidante, la myofasciite à macrophages) appelle, sinon à refuser les vaccins utiles, du moins à la recherche approfondie d’autres adjuvants plus sains.
Il est probable que la majorité des anti-vax combinent dans leur tête l’argument Condorcet et l’argument Gherardi, dans l’ignorance de l’argument Pasteur-Jadot : ils préfèrent le risque de tomber malades, ou se méfient non des vaccins mais de leurs fabricants. En cédant à l’argument Bernoulli pour suspendre le vaccin AstraZeneca, E. Macron eut le mérite de rouvrir la discussion. Il est significatif que le signal soit venu d’Europe du Nord. Dix ans de présence au Parlement européen m’ont appris une profonde différence dans les politiques publiques de santé : l’Europe du Nord est plus « pasteurienne » au sens hygiéniste. On y vaccine moins, on se lave plus souvent !
Peut-on rêver que les medias encouragent enfin les questions légitimes qui se posent dans la France des Lumières, et abandonnent la confiance obscurantiste dans la vaccination whatever it costs ? Oui, la vaccination est l’une des bonnes solutions, oui il faut parfois la rendre obligatoire, mais sans mépriser de façon disproportionnée les libertés individuelles, et sans jamais oblitérer le cri des lanceurs d’alerte contre ses défauts.
 Alain Lipietz
Économiste, ancien député européen.