Au loup

18 juillet 2014,

Des arrêtés absurdes pour réguler la population de loups, pourtant à l’étranger les solutions existent !

(dr)

(dr)

par Amaury Gransart, Jean-Jacques Blanchon

La réponse apportée par le gouvernement aux conflits engendrés par certains loups, à certains troupeaux et en certains lieux, est identique à celle des gouvernements qui l’ont précédé depuis 20 ans : Les résultats montrent qu’elle est inadaptée et inefficace.
C’est-à-dire qu’elle n’est pas en mesure de réduire les conflits récurrents avec l’élevage. Jamais le fait d’abattre des loups au hasard, de loin et au canon rayé, en dehors des situations d’attaque et à posteriori, n’a été ou ne sera en mesure « de prévenir les dommages aux troupeaux » contrairement aux allégations mentionnées. C’est la neutralisation du « loup dans
la bergerie » qui est efficace, responsable, acceptable et conforme au statut juridique de
l’espèce, et non pas de « détruire » l’espèce loup au hasard des lieux comme les arrêtés
proposent de le faire.
A politique inefficace, des arrêtés inappropriés
La justification à priori de la « destruction » d’un quota de loups, évoque une sorte
d’injonction « sacrificielle » qui va en détruire trente-six en 2014-2015 « sans procès ni
sommation », au hasard, de loin et n’importe où ? Quand 12 millions d’euros/an sont dépensés
pour les protéger ? Le projet d’arrêtés piétine le statut juridique de l’espèce.
En second lieu, il est dit dans les arrêtés que c’est seulement une fois que « toutes les
méthodes de prévention, de protection des troupeaux et de contrôle des loups responsables de
dommages auront été expérimentées et utilisées » que la dissuasion puis la neutralisation de
spécimens de loups, par dérogation, s’avérerait utile et efficace, en s’en prenant à eux et à eux
seuls, en utilisant les techniques connues et autorisées pour le faire. Ce qui aujourd’hui n’a
jamais été fait. Pourquoi ? Et qui attaque justement ? Est-ce un ou plusieurs individus ? Des
jeunes, des adultes ou des dominants ? Ou bien un « groupe » -pas encore une meute- ou un
individu isolé, en dispersion, un vieux solitaire ou une meute, et reproductrice ou non ?
Ce sont bien les questions essentielles qui nous sont posées. Dommage pour les éleveurs, elles
sont sans réponse.
Car ce n’est pas avec l’espèce loup en soi que l’on a des problèmes. Pas plus que l’on ne tire
sur une espèce en soi comme le prévoit ces arrêtés, ce qui est absurde en effet. On tire sur
l’animal qui attaque et lui seul, d’abord pour le dissuader de le faire et lui signifier qu’il prend
beaucoup de risques s’il persiste à le faire. Et on le capture pour savoir qui c’est, lui et/ou son
« groupe » ou sa meute, et savoir pourquoi il attaque. Et s’il revient ? Alors oui, s’il revient
attaquer, cet animal est bien le spécimen responsable des dommages. Il est alors possible de le
suivre, d’agir sur lui et de le neutraliser. Troupeau par troupeau, estive par estive, il devient
possible d’intervenir aux côtés des éleveurs pour réduire fortement les conflits et rendre la
situation supportable pour la profession la plus exposée. Et permettre enfin de rendre compte
du rôle et de l’utilité de sa présence dans nos forêts comme dans nos têtes.
Car il est étonnant, et c’est la troisième raison, que l’on ne dispose pas d’un « reporting »
annuel fiable et transparent sur leurs effectifs, leur abondance, leur distribution, leur statut,
leur reproduction, leur mortalité et encore moins sur leur comportement. La science est muette
car elle n’est même pas convoquée pour répondre à toutes ces questions, et elle seule a cette
légitimité, pour enfin restaurer une souveraineté défaillante, mieux protéger les éleveurs et
éclairer la société.
Non, la France n’est pas au niveau des standards scientifiques sur le dossier loup
Le prétexte d’une pseudo « gestion différenciée par unité d’action » est affiché avec le même
discours que celui des grands pays en pointe sur le suivi de leur population de loups –et qui
savent eux, contrôler après dissuasion, identification, suivi et sommations, par des moyens
intrusifs ou létaux si nécessaire, les individus responsables d’attaques réitérées sur les
cheptels- mais sans que notre pays disposent des outils et des techniques nécessaires qui nous
permettraient de le faire.
Ainsi la « gestion différenciée » évoquée dans un des arrêtés, devrait être une succession
d’étapes permettant de rendre compte de la situation précise de la confrontation -dès ses
prémices et avant même qu’elle ne survienne- entre l’éleveur, le berger et son troupeau, et le
prédateur. L’on doit savoir qui fait quoi et qu’est-ce que l’on fait avec lui, cet autre, à cet
endroit et à cet instant. Pas lui le loup mais cet « individu loup-ci » ou ce « loup-là » ou « ces
loups-là ». Il s’agit bien de générer par nos interactions de plus en plus fréquentes une
population de loups avec des pratiques comportementales acceptables par la société. Et l’on ne
peut rendre acceptable un grand prédateur que si l’on est capable de rendre supportable les
problèmes qu’il crée.
Des solutions concrètes existent : une co-gestion avec les parties prenantes
C’est d’une technique permettant de se confronter à ces situations d’attaques et de résoudre les
conflits comme ils se posent à nous, dont les éleveurs et la société ont besoin.. Et c’est aussi
une question de souveraineté. Car aucune cohabitation envisageable et viable avec un grand
carnivore n’est possible sans ce pré requis : la confiance des éleveurs sur la capacité des
autorités à les protéger et à contrôler les « loups à problèmes1 ». Or ce n’est pas du tout ce
qui est proposé dans les deux arrêtés.
La réponse et l’effort devraient porter sur l’acquisition d’un « corpus technique à la
française » de prévention, de protection des troupeaux et de contrôle des loups responsables
des dommages sur les troupeaux. Les techniques existent et sont connues depuis 2006,
utilisables depuis 2009 en France, mais elles n’ont jamais été mises en oeuvre.
Là où elles sont utilisées depuis 20 ans, ces techniques aboutissent à réduire les taux de
prédation sur les cheptels domestiques d’un facteur de 10 à 100 comparés aux taux de
prédation exubérants constatés chez nous. Ces techniques permettent de neutraliser les
« spécimens » de loup responsables des dommages récurrents aux troupeaux sans s’attaquer à
« l’espèce », protégée au plan international par les conventions de Washington et de Berne.
1 Spécimens responsables des dommages aux troupeaux.
En conclusion, le discours paradoxal du politique va entrainer une schizophrénie des acteurs :
aucune cohabitation n’est possible avec un loup présenté dans ces arrêtés comme
démoniaque -car il s’agit bien de le détruire en tant qu’espèce- et simultanément, en
demandant à la société et à la profession la plus exposée de l’accepter ? Où sont le sens et
la cohérence de cette politique ? En psychologie, cela s’appelle la « double contrainte ».
Serait-ce le projet caché du gouvernement et l’ambition du Président pour la biodiversité, dont
il a fait un enjeu de restauration ?
Le retour de cet animal invite et oblige les sociétés modernes à penser une autre légitimité,
fondée sur un cadre politique où puissent s’exprimer à la fois les intérêts des hommes… et des
loups, et avec eux la pérennité des autres espèces et du monde vivant. Là où justement toutes
les politiques en faveur de la biodiversité comme du climat ont jusqu’à présent échoué à le
faire !
Amaury Gransart, Jean-Jacques Blanchon
Association Houmbaba, Fondation Nicolas Hulot
« l’Esprit de la forêt » . pour la Nature et l’Homme.