Après Fukushima : l’arnaque de la quatrième génération

22 mars 2011,

Dans les années 70 j’ai consacré une partie non négligeable de mes loisirs à participer à des débats publics sur l’énergie nucléaire. Nous étions un petit nombre d’enseignants de l’Université de Lyon qui avions été séduits par les thèses écologistes, à la suite de Philippe Lebreton, jeune et brillant professeur qui avait compris la dimension politique de l’écologie à travers son combat pour la défense du parc de la Vanoise. Nous nous trouvions confrontés à la construction de plusieurs centrales nucléaires dans notre région, pour la simple raison que le Rhône fournit un débit important d’eau de refroidissement et bien que ce soit une zone d’activité sismique (carte ci-après). Il y avait sur le campus de l’Université Claude Bernard un Institut de Physique Nucléaire dans lequel la plupart des enseignants et chercheurs étaient en faveur du nucléaire civil.

Les neutrons rapides

Cependant quelques uns de ces collègues sont venus rejoindre notre croisade à partir du moment où il a été question de construire Superphénix à Creys-Malville. Les problèmes de sécurité propres aux centrales classiques se trouvaient multipliés du fait de la nature du fluide de refroidissement, le sodium liquide, et de la rapidité de la réaction nucléaire. Le sodium liquide s’enflamme spontanément au contact de l’air et explose au contact de l’eau, il y en avait 5000 (cinq mille) tonnes dans ce réacteur. Ce type de centrale a été qualifié de surrégénérateur à l’époque où il était censé produire plus de combustible fissile que ce qu’on lui fournissait, mais le nom officiel, moins compromettant sur les résultats, était “réacteur à neutrons rapides” (fast breeder en anglais).

Sans entrer dans les détails, la réaction en chaîne mise à profit dans toute production d’énergie nucléaire consiste à bombarder des atomes fissiles par des neutrons. Ces atomes libérant d’autres neutrons on obtient une rétroaction positive : plus il y a de neutrons plus il s’en libère et cette réaction dégage beaucoup de chaleur. Dans la bombe atomique, on rassemble une masse critique de combustible (éléments fissiles comme l’uranium 235 ou le plutonium) et on contient tous les neutrons pendant un temps très bref à l’aide de réflecteurs pour que ça pète vraiment. Dans une centrale classique, on modère au contraire la réaction en laissant les neutrons s’absorber sur des matériaux non fissiles. Dans un réacteur à neutrons rapides on peut mettre à profit les neutrons qui se dirigent vers la périphérie pour transformer de l’uranium 238, stable, en plutonium. Ce qui inquiétait nos collègues de l’Institut de Physique Nucléaire, c’était d’abord le temps de doublement du nombre de neutrons, qui situait Superphénix à mi-chemin entre un réacteur classique et une bombe. Le problème a éviter était qu’il y ait en un point donné une trop forte concentration de plutonium : quelques kilos de plutonium sont suffisants pour faire une bombe, Superphénix en contenait cinq tonnes. L’autre sujet d’inquiétude pour nos collègues physiciens nucléaires était qu’ils connaissaient les ingénieurs chargés de la mise en route du réacteur de Creys-Malville et ne les considéraient pas comme les meilleurs de leur communauté scientifique.

Pourquoi évoquer ces souvenirs ?

Les lectrices et lecteurs persévérant-e-s qui sont encore là pourraient se demander : que viennent faire ces souvenirs d’ancien combattant dans l’actualité nucléaire ? La réponse est simple.

La dimension du problème nucléaire au Japon a amené ces jours-ci de nombreux commentateurs à se pencher sur l’avenir du nucléaire ailleurs qu’au Japon et particulièrement en France, pays densément équipé. A plusieurs reprises, la constatation que les réserves d’uranium fissile sont limitées a été évoquée et certains intervenants de mentionner la venue attendue des réacteurs de 4e génération. Cette seule dénomination sent l’arnaque ou, selon le point de vue, la promotion.

Alors que la troisième génération a de la peine à se mettre en place, quatrième, cela suggère une vision de futur et de progrès, or il s’agit seulement de réacteurs à neutrons rapides, une solution conçue il y a plus d’un demi-siècle, essayée dans plusieurs pays, et qui a été abandonnée à quelques exceptions près. Les pro-nucléaires convaincus vous diront : la France a failli réussir avec Superphénix mais les écolos ont tout gâché. Effectivement, le gouvernement Jospin a arrêté ce réacteur en 1997 sous la pression des Verts, il connaissait de multiples pannes dont une avait duré plus de 3 ans. L’Inde annonce le démarrage de son premier fast-breeder pour septembre 2011. Le seul réacteur de cette filière en fonction aujourd’hui, si ma prospection sur internet est correcte, est russe, il  ne marche pas au plutonium comme Superphénix mais à l’uranium enrichi, ce qui n’est pas une solution à la pénurie de combustible.

Le retour à l’utilisation de réacteurs à neutrons rapides relève de la croyance que l’humanité s’en tirera toujours grâce à des innovations techniques toujours plus pointues. A cette attitude religieuse on doit opposer la laïcité du bon sens qui veut que les énergies renouvelables et les économies d’énergie sont plus fiables, moins dangereuses, plus durables et, il est toujours utile de le rappeler, plus créatrices d’emplois.

Ghislain Nicaise