par Michèle Valmont
Je les ai entendues pour la première fois au Musée d’Orsay, il y a une dizaine d’années. On les donne ces jours ci à Monaco. Il s’agit d’une pièce pour piano d’Erik Satie, composée d’un thème et d’une variation, suivis du même thème et d’une autre variation :152 notes. C’est tout…et c’est beaucoup, car l’ensemble doit être joué 840 fois d’affilée (on ne sait pas pourquoi ce chiffre précis), sans interruption et sans varier l’interprétation ! Imaginez la gageure.
D’autant que l’œuvre doit en principe être interprétée par un seul pianiste. Selon le tempo choisi, elle dure de 12 à…24 heures !! On comprend alors le titre donné par Satie comme une punition aux pianistes récalcitrants.
Il arrive souvent que l’on triche et que l’on confie la « performance » à plusieurs pianistes. Ce qui ne manque pas d’intérêt mais retire quelque piment à l’entreprise. En effet, lorsqu’un seul pianiste officie, imaginez les tours de passe- passe (poches, haricots cachés pour satisfaire des besoins naturels, gels à suçoter ou vitamines à absorber d’une main hâtive) afin de ne pas quitter un instant le clavier…
On peut s’interroger sur l’intérêt d’une telle entreprise. Rappelons-nous seulement que Satie a composé « Vexations » en 1893, ce qui constituait la première tentative de musique répétitive, donc une véritable révolution pour l’époque. Cinquante ans avant John Cage.
On passe à son écoute par différents stades émotionnels : agacement, vertige, abrutissement, fascination, hébétude, ennui.
Comme l’écrivait Satie lui-même : « Chose curieuse, contre l’ennui l’auditeur est sans défense, l’ennui le dompte ».
Michèle Valmont