par Ghislain Nicaise
Avez-vous entendu parler d’ITER ? Il a fait l’objet d’un très discret débat public cet été. ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) est comme son nom le suggère un projet expérimental. Ce projet de recherche appliquée vise à produire beaucoup de chaleur pour chauffer de l’eau. L’eau chaude permet de produire de l’électricité, comme dans les centrales au charbon ou les centrales nucléaires “normales” (utilisant la fission des atomes). Le but d’ITER est d’arriver à maîtriser la fusion nucléaire telle qu’elle se produit dans les bombes à hydrogène ou dans le soleil. L’approche choisie est de réaliser un champ magnétique qui permet de confiner la réaction dans un récipient torique (en forme de pneu). Les russes qui ont fait les premières mises au point ont appelé ce type d’appareil tokamak. Une petite recherche sur internet m’a permis de trouver des images de tokamak datant des années 1940.
Pour le biologiste que je suis, c’est source d’émerveillement : une recherche qui a commencé il y a au moins 60 ans a reçu d’énormes crédits pour continuer encore une cinquantaine d’années, avec la perspective de passage à l’application industrielle lorsque les chercheurs qui ont demandé les crédits seront morts ou au mieux à la retraite. On peut lire sur le site de Wikipedia : Après la phase d’exploitation et suivant les résultats obtenus, un autre réacteur expérimental de puissance équivalente à un réacteur industriel pourrait être créé. Nommé DEMO (pour DEMOnstration Power Plant, ce qui signifie Centrale électrique de démonstration), il sera destiné à étudier la possibilité d’une exploitation commerciale à proprement parler, après quoi les premiers réacteurs d’application pourront être fabriqués, sans doute pas avant 2050″. En biologie cellulaire, on a de la chance lorsqu’un projet de recherche commencé quelques mois auparavant obtient un financement pour 2 ou 3 ans.
Il faut dire que l’enjeu n’est pas le même : la mise en route d’une source d’énergie quasi-illimitée a de quoi susciter l’intérêt des responsables qui gèrent la production d’énergie nucléaire. Ces personnes sont conscientes de l’épuisement proche des gisements d’uranium, ce qui les amène à ressortir des cartons les réacteurs à neutrons rapides (sujet déjà évoqué sur ce site ici). Toutefois aucun de ces réacteurs, depuis une soixantaine d’années, n’a produit plus d’électricité qu’il n’en a consommé ; même si l’on néglige l’aspect sécurité, le réacteur dit de 4e génération n’est pas forcément gagnant. Si l’on voulait schématiser la situation de manière un peu polémique on pourrait dire qu’ITER est une opportunité pour ne pas obliger les ingénieurs du Commissariat à l’Energie Atomique à se reconvertir dans les photopiles ou les éoliennes.
On pourrait d’autant plus écrire ces lignes agressives que plusieurs physiciens célèbres (dont au moins trois bénéficiaires du prix Nobel) ont clairement exprimé leur scepticisme au sujet d’ITER. Je me suis laissé dire que dans la communauté de ceux qui comprennent les détails de l’opération, il n’y avait que ceux qui émargent directement au programme qui sont en sa faveur.
Quant au contribuable, il est amené à constater deux réalités désagréables :
– le coût initial d’ITER a été (délibérément ?) sous-estimé, ce qui a facilité son lancement mais devient délicat maintenant qu’il faut abonder les milliards d’euros dans un contexte de crise,
– on ne peut pas tout financer : quoiqu’en disent certains politiques, si on choisit le nucléaire on tourne le dos aux énergies renouvelables.
Cette deuxième réalité a été remarquablement illustrée par la sortie allemande du nucléaire lancée par la coalition social-démocrate + écolos en 1998 : aujourd’hui si vous voulez un bon chauffe-eau solaire, vous achetez allemand. Ce n’était pas le cas il y a trente ans; la France a de fait sacrifié sa filière solaire au profit du nucléaire.
En fait, il y a abondance d’arguments pour s’irriter en pensant à ITER. Celui que je préfère n’est peut-être pas le plus populaire : si vraiment l’humanité pouvait disposer d’une source d’énergie quasi illimitée, ce serait catastrophique, il est probable qu’elle précipiterait la fin de l’écosystème qui a permis sa naissance et sa survie.
Cette sombre perspective doit être relativisée dans le contexte de l’épuisement des énergies fossiles : si en 2050 ITER fonctionne encore et a fini par prouver que l’on pouvait passer à DEMO, la suite du programme s’enlisera probablement dans la pénurie de matières premières et l’effondrement au moins partiel de la société industrielle.
Ghislain Nicaise