par Patricia Gautier
« Et là-bas, au fond de l’horizon, la Corse s’enfonçait dans la nuit, rentrait lentement dans la mer, effaçait sa grande ombre… »
Le Bonheur, Guy de Maupassant
Ce matin, j’ai vu la Corse. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut pour ça vivre sur la côte d’Azur, la Riviera italienne ou leurs arrière-pays respectifs. Moi, je la vois d’un hameau perché italien situé à 120 m au-dessus du niveau de la mer, et à quelque 300 m de la côte et 2 km à vol d’oiseau de Menton. Sa silhouette se dessine en ligne droite sur l’horizon embrasé de l’aube, essentiellement l’hiver. Mais aussi, beaucoup plus rarement, par des après-midi de grande visibilité — on peut alors distinguer ses sommets enneigés —, ou au soleil couchant. Située à environ 160 km, avec le Monte Cinto culminant à environ 2 700 m, la Corse est-elle vraiment visible du continent ? Il y a les détracteurs. Ceux, désespérants, qui insistent pour ne voir que des nuages lorsque le phénomène se produit. D’autres parlent d’effet d’optique, de mirage ou de reflet (selon eux, on voit alors l’île à l’envers) — les plus calés précisent qu’il s’agit là d’un effet de réfraction dans les couches basses de l’atmosphère… D’autres encore, catégoriques : la rotondité du globe ne permet pas cette observation. Les plus nuancés : malgré la rotondité du globe, il est peut-être possible d’apercevoir l’île de Beauté, du moins ses sommets, et seulement d’une certaine altitude… Des empêcheurs de rêver en rond.
Et les explications scientifiques ? On m’a dit qu’elles étaient complexes et variables. Il suffit d’aller naviguer sur la toile pour s’en rendre compte. J’ai quand même noté que Paul Helbronner, un polytechnicien, alpiniste et géodésien français (1871-1938), en réalisant la triangulation des Alpes, qui donna lieu à un ouvrage imposant en 9 tomes — La description géométrique détaillée des Alpes françaises —, aurait bien aperçu les sommets corses alors qu’il œuvrait dans le Mercantour.
Alors ? Alors, ce matin, de mes fenêtres, j’ai vu la Corse.
Patricia Gautier