Apparition de la Vierge

2 décembre 2011,

« Reportage » de Patricia Gautier

L’amie que j’avais hébergée provisoirement avait profité de son départ pour faire le tri dans ses affaires. N’étant pas du genre à sombrer dans l’angoisse panique à l’idée de jeter, l’opération avait été rondement menée, sans tergiversations. Sauf lorsqu’il s’était agi d’une statuette réalisée à ses débuts de céramiste dilettante. Elle ne tenait pas à la conserver sans pour autant se résoudre à la voir finir dans une poubelle. De facture maladroite, elle n’était d’ailleurs pas dénuée d’intérêt de par son aspect qu’on s’accordait, en plaisantant, à qualifier de maléfique.

Chez moi, c’est au bout d’un mauvais chemin situé quelque part sur la route reliant Menton à Vintimille. À l’embranchement, un arrêt de bus, non signalé – réservé donc aux initiés dont je fais partie – et à côté, dans le mur de pierres d’une restanque, une assez grande niche, vide. « C’est l’endroit idéal », avait-elle dit « pour abriter l’expression de ton talent en devenir ! », avais-je ajouté. Nous y avons donc installé la statuette.

Le lendemain, elle avait disparu. À sa place : une petite bouteille bleutée, en plastique, représentant la Vierge de Lourdes, contenant quelques fleurs sauvages. Je la regardais, quand un riverain m’a accostée. « C’est moi. Ce n’était pas possible de laisser cette chose-là ! » Je n’ai pas osé lui demander quel sort il avait réservé à la chose en question – c’était d’ailleurs facile à deviner –, ni comment il savait que j’avais un lien avec elle. D’ailleurs, le savait-il ? Mais lui m’avait sommée, en pointant du doigt la bouteille, de penser à « La » fleurir de temps à autre. Oui monsieur !

Quelques jours plus tard, je découvrais une deuxième bouteille, identique, fleurie elle aussi, et un pot de cyclamens. La semaine suivante, c’était un bouquet de roses dans une bouteille en plastique, coupée à mi-hauteur, et des fleurs artificielles dans un verre. Puis, une bougie votive. Pendant deux ans, les fleurs fraîches, spécialement soignées à l’approche des fêtes mariales, et la bougie ont été régulièrement remplacées. Une fois, j’ai vu deux femmes d’un certain âge – la mère et la fille – se signer en passant devant la niche. Distraitement. Je me souviens d’avoir  pensé à un réflexe pavlovien.

Et puis un jour, changement de décor. Au milieu de la niche, trônait une véritable statue de la Vierge : une quarantaine de centimètres de haut, en plâtre polychrome et kitch à souhait. (Notre photo)

De l’autre côté de la route, un hôtel désaffecté était en cours de restructuration. Les ouvriers qui y travaillaient l’avaient trouvée à l’intérieur du bâtiment. Les effigies plastifiées étaient toujours là, ainsi que les compositions florales, en plus luxuriantes peut-être. La bouteille en plastique avait disparu au profit d’un (vilain) vase en porcelaine. Les mois suivants avaient vu le nombre des bougies augmenter, et la statue être ornée d’un chapelet. Un matin, elle était revêtue d’une veste d’enfant rouge retrouvée, le soir même, sur un tas de gravats, à quelques mètres de là. L’athée et l’ignorante que je suis avait pris un acte irrévérencieux pour une délicate attention !

Depuis, les vieilles dames du coin, lesquelles se chargent, j’imagine, de l’entretien du lieu (j’ai découvert une brosse et plusieurs récipients au fond de la niche) marquent toujours une pose pour faire un signe de croix. Certaines y font en plus une génuflexion, ou une courte prière, ou les deux. Mais Marie provoque parfois des tensions – que dis-je ? – des éclats au sein du couple. Ainsi, j’ai vu (entendu aussi, c’était l’été et les vitres étaient baissées) l’une d’elles, à grands gestes et cris, exiger de son époux, en proie à une fureur iconoclaste, qu’il arrête leur voiture pour qu’elle puisse descendre et se recueillir. Il a obtempéré en plein virage sur ce chemin extrêmement pentu, où le bitume, troué de nids-de-poule, n’est plus qu’un lointain souvenir…, et a eu ensuite toutes les peines du monde à redémarrer.

Quant à moi, Marie, je l’ai fleurie un jour où je désespérais de retrouver un de mes chats qui avait fugué. Quarante-huit heures plus tard, je pouvais à nouveau plonger mes mains dans sa fourrure… Et j’ai suggéré à un des chauffeurs de bus de baptiser cet arrêt fantôme et sans nom « La Madonnina ».

Patricia Gautier