Andrew Wyeth à Paris

18 janvier 2012,

Certes il est le fils et le père de deux grands illustrateurs et peintres mais c’est lui qui jette la foudre. Pour ceux qui ne l’ont jamais fréquenté disons qu’il est le continuateur de Dürer. On peut voir une vingtaine de ses oeuvres à la Fondation Bismark jusqu’au 12 février. C’est un inspiré. Il a réussi à peindre comme on vit. Il est mort en 2009 à 92 ans. Ses portraits photographiques montrent un homme réussi. Il a aussi réussi une oeuvre. Il a passé toute sa vie dans le Maine, une province froide de la Nouvelle Angleterre. On serait tenté de dire en hiver tant la lumière dans ses toiles est longue, rasante, blanche (voir le Young bull, de 1960). Wyeth a accompli un voyage métaphysique solitaire, malgré la présence de sa femme Betsy et de son amante Helga.

Il a très largement ignoré la peinture de son époque. Il a échappé au matraquage de la mode, des écoles, aux agitations de l’abstraction, et aux théoriciens en peau de lapin de la peinture contemporaine. Hors de son temps, il suivait sa propre piste avec une détermination extrême. Il stupéfie. Le crayon lent, la plume lente, le pinceau lent. Il était absolu, incorruptible. Il se dégage de ses tableaux une rigueur protestante. Ses paysages sont protestants, ses portraits sont protestants, ses chiens, ses arbres, ses armes, ses bottes, son herbe, sa lumière le sont.

Ses modèles vivaient autour de lui : modestes, pauvres , servantes, émigrés allemands, anciens combattants, garçons de ferme, noirs, vagabonds…  Quand on pense à l’Amérique qui l’entourait dans une débauche de consommation, de luxe inutile, de décadence morale, de fausse facilité, on est stupéfait de découvrir ces vastes lieux vides hérités de Thoreau. Il ne regardait que la simplicité, l’économie, l’essentialité de la vie. Ses maisons sont radicales, murs sans âge, fenêtres ouvrant sur le vent, troncs d’arbres fouillés par le temps, mers d’aube, chiens endormis. On fréquente Wyeth comme on découvre un livre unique.

Il a raconté sa terre de Chadds Ford comme il a raconté le corps de sa jeune amante Helga, avec intensité. Pas avec amour. Si le sentiment s’exprime, ce n’est jamais en superficie. Comme dans sa peinture à l’oeuf dans laquelle il invente la profondeur par de multiples couches de couleur, le souffle de la vie n’apparaît qu’en profondeur. Voilà un très grand peintre contemporain.
Dans l’exposition, la salle consacrée à son père N.C. Wyeth est sympathique, chaleureuse, pleine de souvenirs de l’enfance américaine. Les salles consacrées à son fils Jamie sont intéressantes : portraits de Kennedy, de Noureïev, de Warhol et des envols de mouettes très réussis. Puisse la Fondation Bismark nous offrir avec son nouveau directeur Eddie McDonnel d’autres moments aussi riches d’émotion.

Alain Hervé

34 avenue de New-York Paris 16ème. Mercredi, vendredi, samedi, dimanche de 10h 30 à 18h 30, jeudi de 12h à 20h, jusqu’au 12 février.