Par Michèle Valmont
Il est rare de monter la trilogie de la Villégiature de Goldoni en un seul spectacle. La Comédie-Française relève le défi, dans son théâtre éphémère, fleurant bon le bois, édifié au milieu de la cour du Palais Royal.
La mise en scène d’Alain Françon est parfaite dans son rythme enlevé, pleine d’intelligence du texte et du contexte. La nouvelle traduction de Myriam Tanant rend les dialogues légers et rapides, le décor est sobre et ingénieux, les costumes ravissants. Les comédiens, au sommet de leur talent, à la diction magnifique (on ne perd pas un mot…ce qui n’est pas toujours le cas dans la salle Richelieu), semblent beaucoup s’amuser.
On assiste dans la première pièce, la Manie de la Villégiature, aux préparatifs fiévreux de deux familles de bourgeois désargentés, prêts aux sacrifices les plus sordides pour pouvoir comme chaque été quitter Livourne pour leur maison de campagne. D’un côté un frère et une sœur, de l’autre un père et sa fille, au milieu quelques parasites et amis, et surtout les domestiques, sur lesquels Goldoni porte un œil indulgent, alors qu’il charge les maîtres des pires travers : jalousie, avarice, vanité, sottise.
Deux histoires d’amour sous-tendent l’intrigue. Tout ceci est enlevé, drôle, traité sur un tempo allegro demandé par Goldoni.
La deuxième pièce, les Aventures de la Villégiature, se passe dans « La » villégiature. On retrouve les mêmes personnages, et quelques nouveaux arrivants, dont Sabina, incarnée par Danièle Lebrun, pétulante amoureuse défraîchie. On joue aux cartes en buvant du chocolat, on étale ses nouvelles toilettes (ah, les robes « mariage » !), on flirte dans les bosquets au son d’un violon –belle musique originale de Marie-Jeanne Séréno-, on aspire au mariage, sur un tempo andante, sous les yeux lucides des domestiques. Les sentiments se révèlent, prennent de la profondeur, les amoureux souffrent. Goldoni s’éloigne ici de la Commedia dell’arte pour rejoindre Molière et Marivaux. Giacinta, émouvante Georgia Scalliet, et Vittoria, délicieuse Anne Kessler, sont réellement éprises du même homme, l’austère Guglielmo, ambigü Guillaume Gallienne.
Le troisième volet, le Retour de la Villégiature, présente les personnages croulant sous les dettes, poursuivis par les huissiers : adagio sombre au début. Tout finira par s’arranger, au prix de sacrifices financiers et amoureux, au goût amer, finement exprimés par Giacinta, le personnage le plus attachant de la pièce.
Toute cette poudre aux yeux est véritablement éblouissante.
Michèle Valmont