Même si tu m’aimes[1] (au théâtre Michel)

14 février 2012,

par Maurice Soutif

L’hiver à Paris, j’aime le théâtre du dimanche  après-midi, quand la salle de velours rouge s’emplit de cheveux gris, quand ça frissonne et jacasse dans les corbeilles. Les mamies permanentées fouillent leur sac à main. Mouchoirs brodés, poudre de riz, bonbons à la sève de pin… On les croirait croquées par Jacques Faizant.

Les mamies murmurent et rient d’avance. Parmi elles, somnolent et sourient quelques rares messieurs chenus. Sur les trois cent cinquante sièges du théâtre Michel, pas plus de quatre couples ayant l’âge de celui de la pièce. L’âge de l’amour. L’âge de la guerre. Car, après quelques semaines de paradis, Marie et Simon vivent l’enfer de la vie à deux. Adieu, prince charmant ! Elle découvre un beauf surmené qui regarde les fesses des serveuses. Et lui, la trouve immature, capricieuse, dépensière…

Bref, ils sont «négativement complémentaires», chacun sachant blesser l’autre avec une précision chirurgicale. Ils s’insultent et se déchirent. « Je t’aime ! Je te hais ! » Rancuniers, ils cessent de faire l’amour et la frustration avive leur violence. Résultat ? Il leur faut un psy, un thérapeute qui leur enseigne à s’aimer. Et c’est par le brio de l’écriture qu’advient le miracle : la glose détachée, suffisante, de l’expert cogne de façon comique avec la fureur viscérale et mal embouchée des amants.

Exercice de défoulement : frapper en poussant des cris de bête sur un coussin figurant son partenaire. On parle de bite et de couilles, et les mamies à toison d’argent se désopilent. Le public du dimanche après-midi donne ainsi une saveur, une résonance particulière à cette comédie coécrite par Vincent Juillet et Mélissa Drigeard, qui incarne avec un érotisme brûlant l’héroïne de la pièce. Morgan Perez, qui joue avec un superbe abattage son amoureux rageur et malmené, n’en paraît que plus sincère.

Quant à William, le charlatan baratineur magistralement campé par Jean-Pierre Azéma, il apparaît d’une ambiguïté digne de Tartuffe. Ne convoite-t-il pas dans ses rêves sa patiente légèrement vêtue ? Après avoir imposé au couple un agenda de rendez-vous sexuels obligatoires, donc forcément ratés, il s’arrangera pour s’approcher d’elle par le biais d’une thérapie de groupe… Peu à peu, il se montrera aussi faible, aussi fou, donc humain, que ses patients, lesquels guériront un peu malgré lui.

D’autres couples, on s’en doute, périront grâce à lui. On songe là, bien sûr, aux astucieux et parfois sombres romans du psychanalyste Irvin Yalom[2]. Fort critiquée, la mise en scène signée Julien Boisselier a au moins le mérite d’éclairer avec force le combat amoureux : c’est un incendie où le thérapeute ne peut que jouer avec le feu.

Maurice Soutif

[1] Pièce d’abord intitulée Psycholove lors de sa création au festival d’Avignon.

[2] Lire notamment « Mensonges sur le divan » (Points)