par Ghislain Nicaise
Note d’introduction : les personnes désireuses de s’informer sur un moyen peu discuté de lutter contre le vieillissement abusif des machines qu’elles achètent peuvent aller directement au dernier paragraphe.
Ce lundi matin dans un quotidien de province, Philippe Bouvard raillait la déclaration d’Eva Joly qui avait proposé que les machines à laver durent 30 ans au lieu du maximum de 10 qu’elles sont construites pour durer. Tou-te-s les écologistes, quelles que soient leurs divergences d’appréciation sur l’imminence de la pénurie en ressources fossiles et minières, sont hostiles aux pratiques d’obsolescence programmée.
C’est en fait un très bon point de clivage entre productivisme et écologisme, qui pourrait être exploité politiquement car il me semble que pour une fois le bon sens populaire est plutôt du côté des écolos. Ce qui ne veut pas dire que la position défendue implicitement par Philippe Bouvard n’ait pas un réel écho dans la population. Je me souviens avoir écouté dans mon enfance un cousin de mon père, fort sympathique, expliquer que les montres du début du siècle (le XXe !) étaient mal conçues parce qu’elles duraient trop longtemps et ne permettaient pas un fonctionnement fluide du commerce horloger. Aux côtés des partisans de rendre nos outils éphémères, il y a même au moins un économiste qui ne croit pas du tout à la réalité d’une programmation actuelle de l’obsolescence.
La presse a récemment évoqué la fête anniversaire de l’ampoule de Livermore (U.S.A.) qui est allumée et brille depuis plus de 100 ans. Vous pouvez même voir cette ampoule en direct sur internet , grâce à une webcam, qui a dû être renouvelée car elle, elle semble bien destinée à mourir rapidement.
Arte a diffusé il y a un an un documentaire allemand sur le sujet. Je me souviens avoir retenu de ce reportage qu’il y aurait eu une conférence internationale des fabricants d’ampoules pour standardiser les produits et en particulier convenir d’une durée de vie maximale. En fait il y a eu constitution d’un cartel, voir ce lien. Ce documentaire est l’objet d’une féroce critique de la part d’Alexandre Delaigue, l’économiste évoqué ci dessus. Je n’ai pas de raison a priori de douter de sa sincérité, étant moi-même méfiant dès que l’on essaye de me démontrer l’existence d’un complot, mais je crois qu’il n’a pas suffisamment travaillé la question. J’ai en tous cas un souvenir, qui date de l’année 1967, de mon étonnement que le système remonte-glaces des voitures Ford du Department of Zoology de Berkeley fût en panne sur des véhicules d’apparence récente. Il m’a été expliqué qu’il était de bon ton de changer de voiture tous les ans et que pour rappeler cette bonne pratique à la clientèle sans trop de risque d’accident, Ford veillait à ce que les remonte-glaces soient particulièrement fragiles.
Pour revenir aux machines à laver et à un décret éventuel portant leur durée de vie à 30 ans, je tiens à dire qu’il y a une méthode bien plus réaliste et efficace pour faire durer le produit et diminuer son empreinte. Je l’ai trouvée dans un livre que j’ai acheté parce qu’Amory Lovins (1) en était l’un des auteurs (Natural Capitalism : Comment réconcilier économie et environnement, Scali, 2008). Ce qu’il faut c’est inciter, par exemple par la fiscalité, la location d’un service plutôt que l’achat d’une machine. Dans le cas présent, la famille souhaitant disposer d’un lave-linge souscrirait un abonnement à la “possibilité de laver son linge à domicile”, qui serait indéfiniment renouvelable, et pas limitée à 30 ans. Les entreprises offrant ce service assureraient l’entretien de la machine et auraient tout intérêt à s’équiper de produits durables. Cette organisation est bien entendu applicable à bien d’autres équipements et en particulier à la voiture automobile, responsable d’une pollution majeure. Qu’attendent les écolos français pour l’inscrire à leur programme ?
Ghislain Nicaise
(1) J’ai connu Amory Lovins en 1975 lors d’une réunion internationale des Amis de la Terre à Londres, réunion qui m’a laissé un souvenir durable. J’avais été impressionné au moins autant par les talents de pianiste d’Amory que par le fait que ce jeune surdoué avait renoncé à un avenir confortable de physicien à l’Université d’Oxford pour un salaire moins que modeste de permanent aux Friends of the Earth de Londres. A cette époque je venais de faire la démarche opposée, nettement moins courageuse, en acceptant un poste de titulaire dans la moins prestigieuse Université de Lyon. La rubrique Wikipedia sur A.B. Lovins est mieux documentée en anglais qu’en français.