EELV, ou le rôle principal dans le dîner de cons…

13 juin 2012,


Nous reproduisons ici cette réflexion, méditation d’Yves Paccalet qui nous semble très bien venue sans que nous en partagions toutes les conclusions. Nous pensons en effet que nous devions aller aux présidentielles pour utiliser la tribune offerte et faire savoir au grand public ce qu’est l’écologie. Ce ne fut pas le cas avec la candidate choisie. Merci cependant à Yves d’avoir mouillé sa chemise.

Le Sauvage

Journal de campagne par Yves Paccalet
11 juin 2012
Fin de partie
Le rôle principal dans le dîner de cons… tel est mon sentiment au matin qui suit cette élection législative. Dans la deuxième circonscription de la Savoie où je me présentais (Albertville-Beaufortain-Tarentaise, 75 054 inscrits, 45,09 % d’abstentions), j’ai obtenu 2 252 suffrages, soit 5,53 % des exprimés. Contre 7,02 % à Henri Morandini (Front de gauche), 26,63 % à François Rieu (Parti socialiste) et 45,88 % à Hervé Gaymard (UMP)… Il y aura un deuxième tour, et c’est déjà un progrès dans ce bastion de droite, mais j’ai l’impression de m’être crevé pendant des mois en appliquant, contre mon cœur et au rebours de ma raison, une stratégie politique à laquelle je ne comprenais rien, et que je résume en effet de la sorte : tenir le rôle du con dans le fameux dîner !
Pour Europe-Écologie-les-Verts, le premier défi consistait à présenter ou non un candidat à la présidentielle. J’étais contre, je le proclamais depuis des lustres. J’allais répétant que nous courions au désastre, quel que soit le candidat. Cette élection, la plus générale de toutes, la plus médiatisée et la plus démagogique, est tout simplement contraire à l’esprit de l’écologie. Elle exige trop de promesses, de torsions de chiffres, de mensonges sur la « croissance », de caresses dans le dos, de pommade sur la peau, de compromissions et de combines avec les lobbies ; sans oublier les coups tordus et les bassesses ad hominem… J’ai redit et re-répété tout cela : je n’étais pas le seul. Daniel Cohn-Bendit avait la même opinion. Europe-Écologie-les-Verts n’a tenu aucun compte de nos doutes, et décidé de présenter quelqu’un. Raison avancée : en n’ayant personne, nous n’existions plus. Le dîner de con a bien fonctionné : quelques mois plus tard, c’est fait. Nous n’existons plus.
Après avoir choisi d’« y aller », le deuxième défi d’Europe-Écologie consistait à présenter le bon candidat. Je suis revenu à la charge. J’ai expliqué qu’une présidentielle n’est pas un concours de dialectique entre philosophes sur l’agora d’Athènes, mais une bagarre de grands singes dominants, où alternent la violence et les danses de séduction envers l’électeur ou l’électrice. Il s’agit d’une prise de pouvoir dans une société de chimpanzés, qui se moque de toute rationalité écologique, économique ou sociale. C’est à ce moment de l’histoire que le parti écolo a subtilement joué le deuxième acte de la farce. Au lieu de sélectionner un chef (ou une cheffe), un(e) vrai(e), un(e) dominant(e), un(e) séduisant(e), un type ou une fille dotés d’une grande gueule et d’un réel pouvoir d’attraction, EELV a opté entre deux individus remplis de qualités personnelles, mais catastrophiques dans la fonction : Nicolas Hulot, changeant, hésitant, friable et affublé d’un lourd handicap médiatico-politique ; et Eva Joly, juge intègre, mais nulle en écologie. Les votes des militants sont allés à cette dernière, qui parle avec un accent adorable, mais dont le message s’autodétruit avant d’avoir été écouté. À mi-parcours de l’élection présidentielle, et devant l’évidence de l’échec, j’ai publiquement reformulé ma demande : qu’Eva Joly jette l’éponge. On m’a accusé de lui « savonner la planche ». Elle a persisté en prenant son erreur pour du courage : 2,23 % des suffrages…
Dans la logique du jeu de con, le parti écologiste a immédiatement décidé de ne pas reculer devant le troisième défi : les législatives. Il s’est engagé à respecter le contrat électoral qu’il avait signé avec le Parti socialiste. Selon les termes de ce marché, il se voyait attribuer des circonscriptions « réservées », autrement dit des députés « garantis » et (pourquoi ne pas délirer ?) un groupe à l’Assemblée. Cet accord est apparu à tout le monde, non pas comme électoral, mais électoraliste. Nos concitoyens ont compris qu’il avait pour but de porter les ambitions d’un petit nombre de dirigeants : Cécile Duflot et Pascal Canfin se retrouvent en effet ministre ou sous-ministre (grand bien leur fasse) ; Jean-Vincent Placé, malgré ses contorsions pour figurer sur la photo derrière Hollande, n’a rien obtenu pour l’instant. « En termes d’image », comme disent les « pros » du marketing, cette combinazione constitue un désastre durable.
Le premier tour des législatives est fini. Comme disent les « pros » du journalisme, « les urnes ont rendu leur verdict ». Les écologistes ont eu la confirmation que, pour eux, 2012 est bien l’annus horribilis. À cause de cette stratégie de fromages et de cacahuètes, ministériels ou parlementaires, l’écologie politique se retrouve dans l’état d’un grave accidenté de la route républicaine – polytraumatisée, dolente et désespérée…
Je me suis présenté en Savoie sans illusions, rien que pour faire avancer le schmilblick. Mais, même là, c’est raté. J’ai réuni 5,53 % des suffrages dans une circonscription où, aux régionales et aux cantonales, nous avions « fait » entre 17 et 20 %. Je n’incarne qu’un exemple de ce fiasco : hors circonscriptions réservées, EELV se retrouve à 2,5 % des voix, le score d’Eva Joly à la présidentielle… Dans la moitié des quelque soixante circonscriptions dites « réservées », une candidature parasitaire de « gauche » est venue chiper le siège du député écolo théorique : la mésaventure a notamment touché mon ami Philippe Meirieu, à Lyon. Nous n’aurons donc pas, dimanche prochain, le fameux groupe Vert dont certains rêvaient. Nous resterons ce que nous sommes devenus : un appendice du PS. Un presque-rien politique, un je-ne-sais-quoi idéologique. Nous n’existons que par la volonté du pouvoir auquel nous avons quémandé des places, et que nous ne pouvons même plus contester parce que nous avons choisi d’en être les obligés – ou les féaux.
La direction d’Europe-Écologie-les-Verts a failli. Ou bien elle change, ou bien nous autres, écolos, nous perdrons ce qui nous reste de faveur populaire, de compétence reconnue et de capacité à expliquer mieux que quiconque les enjeux du XXIe siècle. Nos militants ont travaillé d’arrache-pied, mais ils renâclent. Ils se sont dévoués à la « cause », comme toujours, mais ils ne distinguent plus le sens de leur lutte. Ils se demandent pourquoi l’idée d’avoir des portefeuilles a remplacé le noble et beau motif essentiel de nos combats : garder compatible l’existence de l’homme et de sa mère la Terre.
Je déteste, moi aussi, passer pour un crétin des Alpes en édulcorant mes craintes ou en masquant mes certitudes, afin de favoriser la carrière d’un petit syndicat d’arrivistes. Comme les autres militants, je continuerai le combat : voilà quarante ans que je le continue ! Mais à ma manière : à distance de la politique politicienne, dans laquelle (comme je le pensais en m’y lançant) je n’ai jamais réussi à convaincre.
Je suis allé me balader ce matin dans la forêt, au-dessus de mon hameau savoyard de Tincave. Les sabots-de-Vénus sont en fleur. Le petit chausson d’or de ces orchidées merveilleuses m’a rappelé que les fleurs ne jouent pas au jeu de con. Elles savent que la comédie finit mal pour celui qui n’a pas compris que c’était lui.

Yves Paccalet