par Hadrien Gens
Réflexions autour du très bon documentaire « Les moissons du futur » de Marie-Monique Robin diffusé sur Arte le 16 octobre dernier, dont l’un des intérêts est de porter sur les quatre continents et aussi bien sur des pays riches et pauvres (Etats-Unis, Mexique, Allemagne, Sénégal, Japon, etc.)
On l’a compris, un des grands défis de ce début du 21ème siècle est de parvenir à passer d’une agriculture basée sur la chimie à une agriculture basée sur la biologie, c’est-à-dire d’évoluer d’une vision mécanique et limitée vers une vision dynamique et globale – c’est-à-dire écologique. L’agriculture basée sur les intrants (intrants de pétrole, de phosphate, etc., donc de ressources minérales épuisables) repose en effet sur une course à l’armement contre la nature, et elle revient en définitive, comme le dit très simplement mais très justement un paysan dans le reportage, de faire du mal à ce qui nous nourrit, à savoir la terre (ou devrait-on écrire Terre ?).
Il s’agit donc d’évoluer vers une forme de paysannerie, de revenir au pays, à la terre, terre qui est à la fois cette entité physique, géographique, culturelle et paysagère, et à la fois cette matière organique, vivante, et que l’on doit par là même respecter. En pratiquant entre autres le semis direct (sans labour, donc), l’exploitant allemand préserve ainsi l’activité biologique de la terre, qui s’enrichit naturellement : preuve en est l’apparition d’un véritable humus, grumeleux, qui sent la forêt – indice de l’activité microbiologique – et qui captera et conservera plus facilement l’eau, tout en étant moins érodable.
Cette transition nécessaire vers l’agro-écologie n’est pas un retour en arrière comme certains le pensent ou veulent le faire penser, mais l’application concrète d’une science, d’une véritable connaissance des mécanismes et processus biologiques, et des dynamiques végétales. C’est ce que montre parfaitement la technique du push-pull. Combien paraissent primitives, en comparaison, les techniques basées sur un apport de plus en plus lourd en pesticides ! C’est comme si on amputait quelqu’un au genou pour empêcher que le pied ne s’infecte… Quelle médecine (!) comparée à celle qui considère au contraire le corps vivant dans son ensemble, non pas mécaniquement, mais dynamiquement, en prenant en compte les relations des organes entre eux, les processus, les évolutions, les échanges, etc. D’autant plus que la première préconise d’amputer toujours plus haut.
Avant d’en venir à l’agriculture proprement dite, une remarque s’impose concernant la préservation des « conditions de possibilité » de l’agriculture, et plus précisément la question de l’usage des sols : le grignotage par le béton des parkings, des lotissements, des (gourmandes) zones commerciales, des aéroports, etc. représenterait en France environ 200 ha par jour d’artificialisation des terres agricoles. La question de la « ressource terre », selon le terme en vigueur, doit se poser dans une réflexion de fond, globale, impliquant les enjeux aussi bien urbains, industriels, économiques, qu’écologiques, voire éthiques. Si révolution agricole il y a, elle implique de questionner les usages de notre patrimoine foncier : doit-on l’utiliser pour créer des biocarburants et pour nourrir les animaux que nous allons ensuite transformer en viande ? Il s’agit là d’un problème total, d’un problème de société. Nous devons redonner leur valeur aux terres agricoles.
L’enjeu agricole dépasse donc largement sa seule dimension nourricière : une agriculture cohérente doit répondre à des exigences écologiques et éthiques. Du point de vue écologique d’abord, l’agriculture doit enrichir et non pas appauvrir les sols, comme elle le fait majoritairement aujourd’hui encore, elle doit permettre de reconquérir des paysages perdus tels que le bocage, largement démantelé, et elle doit évidemment s’efforcer de maintenir milieux humides et biodiversité. Notre agriculture doit ensuite se développer avec une éthique, à deux niveaux très différents. D’une part le problème des pollutions de l’eau est véritablement éthique puisqu’il s’agit de déterminer et d’autoriser certains seuils, c’est-à-dire de légiférer, indirectement, sur l’eau potable – la préservation des zones humides est essentielle dans la mesure où elles constituent les véritables châteaux d’eau des bassins versants qui alimentent nos robinets. D’autre part, comme le rappelle le documentaire dans la partie sur les importations d’oignons au Sénégal, l’agriculture peut malheureusement mettre en place des mécanismes de dépendance économique ou alimentaire – les OGM peuvent ainsi être utilisés comme une véritable arme. Il faut par là rappeler que le but de l’agriculteur français n’est pas de nourrir l’Afrique ou le monde, comme me le disait il n’y a pas longtemps un agriculteur dombiste, de bonne foi j’en suis sûr.
Finalement, le documentaire prône donc une révolution agricole, une révolution à la fois culturelle, écologique et agronomique, celle de la transition de l’agrochimie à l’agroécologie. Pour ce faire, il faut réapprendre à respecter la terre – idée peut-être romantique ou démodée (mais par rapport à quelle époque… ?) – en arrêtant, par exemple le gaspillage alimentaire, c’est-à-dire le gaspillage de sa production.
Hadrien Gens