par Saura Loir
Je fais attention à ce que je mange. C’est ainsi qu’il y a bien des années, après quelques séances cinématographiques concluantes, j’ai décidé de ne plus aller voir de films violents. Après tout, me suis-je dit, la santé de mon âme et de mon esprit vaut bien celle de mon corps.
Parmi les auteurs à l’index, Tarentino a vite occupé une place de choix et mon amour du cinéma a résisté à toutes les sirènes qui me vantaient ses mérites innombrables, son humour, son originalité, son talent, sa vision « décalée » (comment résister à un adjectif pareil ?) de l’humain. C’était non et non. Jusqu’à il y a quelques jours. Parce que, entre-temps, Zorro, pardon, Django est arrivé. L’enthousiasme général, les encouragements, les « mais non, tu verras, bien sûr il y a de l’hémoglobine mais il y en a tellement que ça en devient drôle, tu aimes le cinéma, tu ne peux pas rater ça … » ont fini par avoir raison de ma détermination. J’ai cédé. Je ne le regrette pas mais je suis sortie avant de savoir si le négrier sadique allait oui ou non couper ce que vous savez au héros indomptable mais en bien mauvaise posture, qui pendait du plafond attaché par les pieds comme une pièce de viande, la tête encagée dans un masque de fer sur lequel le négrier ci-dessus ne se privait pas d’envoyer des coups de pieds bien calibrés pour le faire penduler. Moi qui suis plutôt bien élevée, je n’ai pas hésité à déranger toute la file de bouches ouvertes pour me sortir de cette galère.
Après, ce fut le temps des questions :
Qu’est-ce qui fait que l’ensemble – pour ne pas dire l’entièreté – des critiques de cinéma encense ce film avec un maximum d’étoiles ? « Jubilatoire », « A voir mort ou vif », « Réjouissant », « On a qu’une seule envie, c’est d’y retourner »( ????????)
Qu’est-ce qui peut bien expliquer que des gens « normaux », des femmes en particulier autour de moi, des mamans, des grand-mères, des jeunes filles tout ce qu’il y a de plus charmant et plein de cœur, puissent trouver un plaisir quelconque et dépenser leur temps et leur argent pour ingérer deux heures quarante cinq de cruautés en tout genre – tueries à la chaîne, flagellations, dévoration d’un pauvre hère par des molosses rendus fous par l’odeur du sang, enfermement prolongé en plein soleil d’une douce jeune fille, dans un caisson métallique … le tout baignant dans une brutalité effrayante. Et ce n’est pas l’humour « décalé » de l’ancien dentiste allemand devenu tueur-chasseur de primes, personnage qui rappelle par ailleurs celui un peu éculé du bandit gentleman, qui pourra faire de ce film une comédie pleine d’humour. Alors quoi ? La parodie des westerns ? La mise en boîte du Klux Klux Klan ? Le talent des acteurs ? Oui bien sûr, c’est grâce à tout cela et ceux et celles avec qui j’en parle le confirment, tout en ajoutant que, connaissant Tarentino et raffolant de son talent et de son humour très particulier, ils/elles peuvent prendre de la distance et avaler cette immonde soupe sanglante sans en être affectés.
Je suis perplexe. Sommes-nous à ce point habitués à la violence, est-elle devenue aussi banale, aussi omniprésente, avec le concours entre autres de la télévision et des jeux vidéo dont la plupart des enfants se nourrissent, pour que sa mise en images spectaculaire, loin de nous écœurer devienne une source d’amusement, ou faut-il lui attribuer un effet cathartique ? Faut-il voir dans ce film une louable dénonciation de l’esclavagisme ? Mais la page a été tournée, l’Etat américain a fait amende honorable, le fait de dénoncer cette violence en la magnifiant à l’écran ne risque pas plutôt de réveiller de vieux démons ? A moins que ce ne soit un effet de mode : c’est cool, c’est être dans le coup que d’aimer Tarentino. A moins que ce ne soit moi la ringarde……..Toujours est-il que j’aimerais bien qu’il vire enfin sa cuti et qu’il mette son talent au service de quelque chose de plus, disons, rafraîchissant.
Comme Alceste le misanthrope, j’ai parfois envie de râler contre mes semblables et de leur dire réveillez-vous, ne voyez-vous pas que vous applaudissez l’horreur ? Mais je ne suis pas Alceste, je tire plutôt du côté de Philinte et je vous dis le plus aimablement du monde allez donc voir « Alceste à bicyclette », ce n’est pas un film extra-ordinaire mais un bonheur pour l’esprit (mieux vaut pour le goûter pleinement avoir lu ou relu ne serait-ce que les premières pages du Misanthrope). On en sort avec le sourire et beaucoup de tendresse pour les faibles humains que nous sommes. Amen.
Saura Loir