« Stèles », pour ceux qui mangèrent leurs enfants morts

15 janvier 2013,

par Alain Hervé

Ce Stèles n’a que peu à voir avec celui que Victor Ségalen nous a laissé. Que l’on croit avoir oublié. Qui mouronne en nous comme des braises jamais éteintes.

Le Stèles de Yang Jisheng est une patiente entreprise (625 pages) de rectification de l’histoire, et d’effondrement du mythe de Mao Tse Toung. Le sous titre de l’ouvrage explique à qui ces stèles sont élevées. Aux victimes de la grande famine en Chine (1958-1961).

Que faisiez-vous en ces années ? Souvenez-vous. Mais si, vous étiez partis en vacances en Italie ? Vous aviez découvert les pâtes à la putanesca ? Le soleil brillait. L’Europe se vautrait dans ses trente glorieuses.

Pendant vos vacances,  trente six millions de Chinois mouraient de faim. Victimes de l’application d’une idéologie dévoyée intitulée le « Grand bond en avant », une soit disant réforme agraire. Dégénérée en directives administratives coercitives, aveugles, impitoyables. Victimes de la sénilité d’un tyran.

Yang Jisheng, né en 1940, a survécu à ces années d’épouvante. Son père en est mort en 1959.

Pendant douze ans il a enquêté sur le drame. Il a réuni des milliers de témoignages qui sont évoqués dans son livre. Dans toute la Chine, des représentants de l’Etat communiste ont tué, torturé, violé, détruit…  anéanti des villages entiers.

Les mêmes hommes que l’on chargeait de remplir les chambres crématoires quelques années plus tôt. Il y a toujours, partout, pléthore de bourreaux disponibles, prêts à exécuter les basses œuvres. C’est une des caractéristiques de l’espèce mammifère, simiesque à laquelle nous appartenons.

Au fil des pages, on assiste à la contagion de la haine, du goût du sang, du sadisme… Il en résulte un chaos humain. Les victimes à leur tour se suicident, s’entre dénoncent, mangent les cadavres de leurs enfants, de ceux qui meurent, mangent de l’argile, meurent à leur tour. Dans de nombreux villages, il ne restera pas un seul survivant.

Mao est mort dans son lit, de la maladie de Charcot, à Pékin, âgé de quatre vingt trois ans, le 9 septembre 1976

La seule consolation de ces trente six millions de morts, si l’on peut dire, c’est que c’est un Chinois encore vivant, qui a eu la liberté d’apporter cet effrayant témoignage.

Alain Hervé

Stèles de Yang Jisheng, Seuil 28€