Ados des villes et constructions des champs.

13 février 2013,

Par Marc Ambroise-Rendu
Champagnac, un hameau de 15 maisons en calcaire doré, juchées en désordre à l’extrémité d’un causse. De là-haut on n’aperçoit, sur 30 kilomètres à la ronde, que le moutonnement de collines fourrées de chênes. Dans les vallons se croisent les invisibles frontières de trois départements de la France rurale: la Dordogne, le Lot et la Corrèze.
C’est dans ce décor que s’est déroulé cet été, durant une semaine, un stage destiné à former des adolescents urbains à la préservation des modestes bâtiments ruraux d’autrefois: pigeonniers, cabanes à outils, fours à pain. Pour certains de ces gamins et de ces gamines surgis du métro, un saut dans l’inconnu et même dans l’exotique.
Pas pour tous : depuis trois ans  j’essaie d’offrir à mes petits-enfants et à leurs copains d’autres perspectives de vacances que de se dorer les fesses sur une plage. Dans ma vieille ferme de Champagnac je leur propose une semaine d’immersion dans la vie campagnarde. On visite des élevages y compris ceux de cochons qui sentent si fort, on plonge dans la Dordogne, on  rouvre de vieux chemins embroussaillés, on reconstruit des murs avec les maçons du village, en pleine nuit on tente de comprendre les rumeurs de la forêt. Pour ce quatrième juillet campagnard nous avons été un peu plus loin.
Une singulière association locale nous en a donné l’occasion. Il y a dix neuf ans s’est crée en Dordogne un groupe de citoyens passionnés par l’étude et la conservation de ce qu’ils appellent le « petit patrimoine rural ». Châteaux, églises et manoirs, ont, depuis un siècle, leurs défenseurs appuyés par les fonctionnaires des Monuments historiques. Mais les petits édifices utilitaires qui ont rendu tant de services aux paysans sont aujourd’hui ignorés de tous et, faute d’entretien, menacés de démolition. L’association, nommée « La Pierre Angulaire », s’est donnée pour mission de recenser ce patrimoine-là sur l’ensemble du Périgord. Pour en conserver au moins les images. Vaste programme ! A la limite et même au-delà du raisonnable malgré les encouragements du Conseil général. Ces bâtiments vernaculaires seraient au nombre de 10.000 dans le département.  Eh bien, nous avons enfourché cette chimère-là. Pour chaque bâtiment le travail consiste à constituer un dossier quasi « scientifique »: localisation sur la carte IGN et sur les cadastres (modernes et napoléonien), dessins cotés, photos numériques, historique, appréciation sur l’état de la bâtisse, coordonnées du propriétaire ainsi que son accord pour l’archivage de ces données, etc.
Nous avons déniché quatre volontaires – deux filles et deux garçons – pour se lancer dans cette
aventure. L’ainé, 17 ans, venait de passer son bac littéraire en Seine-et-Marne, la suivante, 15ans, sortait de seconde scientifique dans un lycée des Hauts-de-Seine, les deux autres passaient leur quatorzième année dans des collèges de l’Aude et de Haute-Garonne. Après une journée d’initiation par des militants de la « Pierre Angulaire »  les voilà partis en deux équipes – avec un adulte pour chauffeur –  pour une semaine de crapahutage sur le terrain.
Il est vrai qu’il y avait de quoi faire. La commune de Borrèze, sur laquelle se trouve Champagnac, est constituée d’un bourg en fond de vallée avec église, cimetière, mairie, artisans et marchand de matériel agricole. L’essentiel des 300 habitants se trouve ailleurs, disséminés dans une dizaine de hameaux perchés sur les coteaux d’alentour. Chacun avait jadis besoin d’une source-lavoir, de fours à pain, de la proximité d’un moulin, de pigeonnier-poulaillers, d’un appareil à ferrer les bêtes de travail, d’une croix pour protéger les passants, etc. Et pour les construire on ne disposait que du savoir-faire et des matériaux locaux (poutres de chêne, chaume, lauzes, plus tard ardoises, pierres de taille et moelons de calcaire). Résultat: un foisonnement de petits miracle de simplicité et d’ harmonie.
La commune, fort étendue, et qui n’a jamais été bien riche, compte aujourd’hui plus de 70 « monuments »  qui peuvent figurer dans le « petit patrimoine rural ». Nos adolescents en ont couché une vingtaine dans leurs dossiers. Il fallait les voir armés de mètres à ruban, d’appareils photos et d’écritoires, cerner les pigeonniers et interroger leurs propriétaires. Ils ont découvert ce qu’était un « travail » ces armatures de solides poutres en chêne dans lesquels on entravait les bœufs de labour pour leur poser des fers. Ils et elles ont compris le labeur que constituait la lessive qu’il fallait descendre à 100 mètres plus bas à la fontaine lavoir, traiter au battoir puis remonter en équilibre sur la tête. Les quatre blancs-becs ont même enrichi l’archéologie locale. Sur un sommet gréseux la commune comptait un polissoir néolithique connu de longue date. Un second avait été repéré par un archéologue amateur local. Nos  gamins ont non seulement consigné ces deux outils ruraux préhistoriques mais ils en ont découvert deux autres à proximité. Le territoire de Borrèze a abrité voici 5000 ans un atelier de production de haches polies qui mérite parfaitement de figurer dans le « petit patrimoine rural » .
Finalement 15 dossiers ont été constitués et transmis à « La Pierre Angulaire » pour expertise. Celle-ci les a jugés, pour la plupart, conformes à ses exigences. Elles les a transmis aux archives du Conseil général. Du coup, les autorités s’intéressent à cette petite commune    ignorée jusqu’ici en raison de son éloignement du chef-lieu mais qui recèle autant de trésors archéologiques et historiques que les stars comme Lascaux ou les Eyzies. On envisage la restauration de certains de ses édifices « paysans » avec l’aide financière de la Fondation du patrimoine. Non, les jeunes citadins venus explorer l’ancienne vie rurale du Périgord n’ont pas perdu leur temps. Séduits par ce qu’il ont vu, ils ambitionnent maintenant, pour l’été 2013, de donner la main à un chantier de restauration d’un moulin à huile de noix.


Marc Ambroise-Rendu