La musique adoucit-elle les moeurs ?

5 septembre 2013,

par Saura LoirUnknown
 « A late quartet », un film de Yaron Zilberman.

Silence. Quatre musiciens, trois hommes et une femme, prêts à jouer. Les visages sérieux, concentrés –  un peu tendus peut-être ? Les regards se cherchent.  Un léger signe de tête et…. Magie de la musique. L’instant d’avant, le silence. Puis soudain les corps et les  instruments s’animent, l’air s’emplit de sons et la musique EST. Cela semble si naturel, si aisé,

une telle harmonie peut-elle exister sans une connivence totale, une entente parfaite  des musiciens entre eux ? Comment font-ils ? On ne sait rien d’eux, qui ils sont, quels liens les unissent, depuis combien de temps ils se connaissent et travaillent ensemble. Petit à petit, par touches successives, le rideau se lève et l’histoire se dévoile. On découvre leurs noms, deux d’entre eux sont mari et femme, le plus âgé vient de perdre la sienne et……. tous ne sont pas forcément d’accord sur la façon d’interpréter l’Opus 131, un des  «  Late Quartets »  de Beethoven.

Il a sans doute fallu aux quatre musiciens beaucoup de discipline et de maîtrise de soi pour atteindre ce niveau d’harmonie en dépit des frustrations et des colères rentrées. Robert, le deuxième violon (magnifique Philip Seymour Hoffmann) n’en peut plus de devoir se soumettre aux décisions du premier violon, Daniel (Mark Ivanir, extrêmement convainquant), sans pour autant s’y opposer ouvertement. Ce dernier, lui,  a consacré sa vie entière à la musique, avec une rigueur presque ascétique – son personnage est d’ailleurs très bien servi par une tête de moine à la Savonarole – sans qu’on sache si c’est par inclination naturelle ou comme conséquence d’un drame intime. Juliette, l’alto, épouse de Robert (Catherin Keener) apparaît comme celle qui réagit surtout avec son cœur – mais elle va nous surprendre ! Last but not least Peter, le violoncelle (Christopher Walken), le plus âgé et fondateur du quartette, qui incarne la sagesse, l’esprit de bienveillance et la capacité à s’élever au-dessus des conflits personnels. On apprend très vite que sa femme, ancienne cantatrice, vient de mourir et que lui-même est atteint de la maladie de Parkinson. Cela va sonner le glas de sa vie de musicien et confronter le quartette à la nécessité du changement.

Apparaît un peu plus tard un autre personnage de taille, la fille du couple, Alexandra (Imogen Poots), violoniste rebelle et passionnée qui va jouer un rôle déterminant dans le drame qui se prépare.

Comme souvent en musique, l’action  démarre «adagio », tellement adagio qu’on s’ennuie un peu, d’autant plus qu’on voit mal qui est qui et où on va. Mais au fil de l’histoire les caractères se révèlent, les sentiments et les passions cachés apparaissent au grand jour, allant d’un « andante con moto » à un « andante furioso » (pas sûr que cela existe en musique mais cela rend bien l’idée), au point que le sage Peter, écœuré, quitte la scène et monte dans sa chambre, en soulignant haut et fort son geste d’un : « Je monte dans ma chambre ! » tout en sommant les bagarreurs de se ressaisir. Jolie métaphore pour illustrer la nécessité d’apprendre à s’élever au-dessus des passions et des intérêts personnels qui les divisent, pour servir ce qui les rassemble, la Musique.

Détail intéressant (voulu par le scénariste ?), c’est par les femmes que la crise éclate et que s’ouvre la boîte de Pandore. Eve, toujours elle, qui vient tenter Robert en la personne de Pilar, la succulente danseuse de flamenco : “Don’t you have the urge to play the solo part once in a while? » Autrement dit : « Tu ne goûterais pas un petit morceau de cette pomme ? »  Bien sûr que si, mais depuis 25 ans que Fugue, le quartette, existe, Robert n’a jamais osé le dire. Ce n’est pas pour rien qu’Alexandra, sa fille, décrit ainsi la fascination que les trois autres éprouvent pour Daniel, le premier violon : » « They follow you like a cobra follows a snake charmer ».

Eve tentatrice donc, mais aussi la dévouée, Alexandra toujours qui, telle une héroïne de tragédie grecque, sacrifie son amour tout neuf pour que Fugue continue d’exister. « Fugue », un nom pareil a-t-il été choisi par hasard ? Ou a-t-on voulu illustrer une façon de fuir  dans la musique les risques que l’on encourt quand on laisse la voie libre à l’expression de ses émotions ? « Enleash your passion ! » crie Robert à Daniel le moine ascète. Mais lorsque celui-ci le fait, cela ne lui plaît plus tellement…

 Le vivre ensemble, le choix des priorités, la notion de sacrifice, les passions niées ou  libérées, voilà les thèmes qui courent tout au long du film et qui, par leur universalité, nous émeuvent. Exprimé ainsi cela peut paraître pesant mais il n’en est rien car l’action et les coups de théâtre se succèdent de plus en plus rapidement et parce que les acteurs nous subjuguent par leur conviction et leur charisme. Les dialogues jouent un rôle capital, ils sont percutants et d’une grande justesse. Un exemple pour terminer, Peter expliquant aux autres qu’il y a deux façons possibles de jouer le quatuor : “We begin with Beethoven’s Opus 131. It has seven movements and they’re all connected. For us, it means playing without pause, no resting, no tuning. Our instruments must in time go out of tune each in its own quite different way. Was he maybe trying to point out some cohesion, some unity between random acts of life? What are we supposed to do, stop or struggle to continuously adjust to each other up to the end even if we are out of tune? I don’t know.”

Il ne sait pas. Comme dans la vie, c’est une question de choix personnel. Tellement humain,  c’est cela qui nous touche

 Saura Loir

“A late quartet”, un film de Yaron Zilberman, avec Christoper Walken, Catherin Keener, Mark Ivanir, Imogen Poots

 

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