Refroidissement climatique

9 septembre 2013,

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Sous le titre
Refroidissement climatique dans les rédactions, et sur le site de notre confrère Libération, Laure Noualhat, dont nous avons salué à plusieurs reprises les prestations dans le rôle de Bridget Kyoto, s’inquiète du désintérêt croissant de la presse pour les questions écologiques

La couverture de l’actualité économique a repoussé à la marge celle des questions environnementales.

Si une démission est toujours une histoire personnelle, celle d’Hervé Kempf éclaire d’une lumière crue la place que les médias accordent à l’environnement. Encore faut-il bien définir de quoi on parle. S’il s’agit de montrer une terre vue du ciel, de positiver le futur à coup de courses bios et de voitures électriques, les espaces se libèrent. Dès lors qu’on s’impose de débusquer les arnaques politiques, industrielles ou marketing faites au nom de la planète ou simplement d’exposer les contradictions d’une société aux désirs illimités sur une planète aux ressources limitées, il n’y a plus grand monde. «L’écologie, par essence, lutte contre la fuite en avant productiviste, analyse Agnès Sinaï, journaliste free-lance et directrice de l’Institut Momentum, elle critique le pouvoir en place et la démesure du système.»

Faste. Dans les rédactions, la surpuissance du prisme économique a relégué la question écologique dans les limbes de l’information. Climat, biodiversité, accaparement des terres, pollution, projets inutiles, financiarisation du vivant… Autant de sujets qui tendent à se faire discrets dans les médias, en tout cas au quotidien. Le Monde a moins de pages Planète. A Libération, les pages Terre se raréfient (1). A la télé, la seule émission quotidienne jamais consacrée au sujet, Global Mag, sur Arte, a disparu en 2011. Il existe quelques îlots de résistance comme les docus d’investigation critique d’Arte ou les séries curieuses de France 5 (J’ai vu changer la Terre ou Sale temps pour la planète, qui en est à son trentième numéro). A la radio, les précurseurs (CO2 mon amour sur France Inter ou Terre à Terre sur France Culture) parviennent à conserver leurs cases et leur public d’initiés, mais l’écologie reste à la marge.

Tous les journalistes du secteur l’attestent : «Les espaces et les temps d’enquête se raccourcissent, la crise environnementale, pourtant sans commune mesure avec ce que l’on connaît, perd en visibilité», confirme Carine Mayo de l’association des Journalistes écrivains pour la nature et l’environnement (JNE). Pourtant, environnement et information ont connu une cohabitation plus faste. Après un cahier Terre hebdomadaire dans les années 90, dans Libération, dès 2003, une page quotidienne fait état de la crise écologique. En 2007, Al Gore et le GIEC obtiennent le prix Nobel de la paix. Sarkozy lance son Grenelle. Les chemins de fer se verdissent, les services environnement s’étoffent, le Monde démarre ses pages Planète, France 2 embauche Yann Arthus-Bertrand, l’environnement devient un «sujet».

Gouttes. Lors des élections européennes de 2009, EE-LV flirte avec les 16% de voix. Mais, à la fin de l’année, l’échec du Sommet de Copenhague refroidit les ardeurs, d’autant que l’ombre d’une autre crise, économique celle-là, réclame la concentration de tous les grands responsables des médias. «Il est navrant de voir ces espaces éditoriaux disparaître», regrette David Solon, rédacteur en chef de Terra Eco,mensuel entièrement consacré au sujet qui fêtera ses cinq ans en kiosque prochainement. «Ce n’est pas un scoop, la crise climatique ne fait pas vendre.» Et les annonceurs ne se bousculent pas, sinon pour des suppléments consacrés au développement durable heureux, qui ont fleuri avec le Grenelle de Sarkozy. «Entre pressions publicitaires, désintérêt collectif et surpuissance des sujets économiques, les articles environnementaux qui dénoncent sont jugés trop anxiogènes», ajoute Solon. Place à une écologie consensuelle où chacun s’enthousiasme à l’idée de changer le monde. C’est l’axe privilégié par Canal + : montrer le futur souhaitable plutôt que s’appesantir sur le constat. Mais au compte-gouttes, à raison d’un documentaire annuel. «Quand c’est régulier, ça ne se voit plus», estime Christine Cauquelin, directrice des documentaires de la chaîne cryptée. Bizarrement, l’argument ne vaut pas pour la politique et l’économie, présentes quotidiennement dans les médias… «L’année dernière, 630 films sur l’environnement ont été diffusés, pourquoi n’ont-ils rien déclenché ?» interroge Cauquelin. Dénoncer ne suffit plus, donner envie est un pari… «Les forêts poussent en silence», affirme l’initiatrice des documentaires Global (gâchis, steak, sushi et bientôt partage), citant Gandhi.

«Le problème, c’est qu’on veut projeter à la marge des mouvements qui ne sont pas si marginaux que cela. Il existe un lectorat avide de pistes alternatives», affirme Solon. Lequel trouve son bonheur online. Novethic ou Bastamag font la part belle aux sujets environnementaux. Avec son Reporterre, Hervé Kempf veut renouer avec une information indépendante sur l’écologie, embaucher et poursuivre son travail de journaliste.

par Laure NOUALHAT

(1) Libération lance la semaine prochaine une double page hebdomadaire Sciences et Environnement.