par Ghislain Nicaise
18- La pomme de terre en hauteur (d’après La Gazette des Jardins n° 99, septembre-octobre 2011)
Une plante annuelle incontournable
Pour obtenir les sucres lents, ce que ma grand’mère appelait le bourratif, j’ai commencé par planter des châtaigniers. Un arbre c’est l’idéal pour une culture permanente mais je savais que pour cette nourriture de base je devrais m’attaquer tôt ou tard à une plante annuelle que les permaculteurs et permaculturices les plus endurci-e-s ne peuvent ignorer, la pomme de terre, Solanum tuberosum pour les intitié-e-s.
” C’est de loin le légume qui produit le plus de matière nutritive par jour d’occupation des sols, donc de travail et surtout par jour de consommation d’eau” selon Bernard Jouan de l’ONG “Agro sans frontières” (1). La surface de sol nécessaire pour couvrir les besoins en calories d’une personne pour une année est de 509 m2 avec des haricots secs, 543 avec du blé et…146 avec des pommes de terre (2).
Au lycée j’avais un copain né à Saïgon qui mangeait tous les jours du riz, un copain né à Nice qui mangeait tous les jours des pâtes, ma mère originaire de Belgique nous servait tous les jours des pommes de terre. Dans ma vie d’adulte j’ai appris à apprécier davantage les céréales et aussi à réduire ma ration d’hydrates de carbone, mais une bonne pomme de terre bien préparée, pas en frite si possible mais par exemple dans sa pelure au four à micro-ondes, m’a toujours paru appétissante. A côté des sucres lents (3), elle est dix fois plus riche en sels minéraux (potassium, magnésium…) et vitamines (B1, B6 et particulièrement vitamine C) que les pâtes ou le riz. La pomme de terre contient aussi des protéines, près de 10 % du poids sec. Si l’on en croit Wikipedia, ces protéines sont riches en lysine mais limitantes en méthionine, comme celles des légumineuses, et peuvent donc être complémentées par des céréales.
Un mode de culture original
Dans un numéro spécial de La Gazette (4), j’avais remarqué l’utilisation de pneus pour une culture de pommes de terre sur une petite surface. Cette idée avait été publiée initialement dans “Permaculture magazine”, ce qui ajoutait une respectabilité indiscutable à une méthode originale. Le principe en est simple : pour obtenir plus de racines et donc plus de tubercules, on enterre la tige. C’est ce que tous les jardiniers font quand ils buttent les rangées de pommes de terre. Le perfectionnement consiste à réaliser une super-butte en empilant progressivement les pneus au fur et à mesure de la croissance des parties aériennes. On peut arriver ainsi à la hauteur de 4 pneus et l’on récolte quand le feuillage jaunit. Je n’étais pas enthousiaste pour les pneus à cause des polluants divers que, peut-être à tort, je les soupçonnais de libérer dans le sol. A la place des pneus, j’avais des cadres en bois laissés par l’ancien propriétaire, sortes de caisses sans fond de 73 sur 53 cm utiles, portant la marque SKF, rendues gerbables par de petites plaques métalliques (Fig. 1).
Ce mode de culture économise la surface : en principe je n’en manque pas mais en pratique j’ai peu de terrain prêt pour la plantation (sans chiendent). Il me semble intéressant pour la permaculture en ville, dans de tous petits jardins ou sur un balcon. Plus que toutes ces raisons, ce qui m’a décidé à passer à l’acte, c’est la découverte d’une dizaine de pommes de terre rouges (Roseval ?) germées, oubliées sous l’évier de la cuisine.
Début Juin j’en suis à la troisième hausse de 20 cm. Premier problème, tous les plants ne sont pas à la même hauteur. Tous n’ont d’ailleurs pas la même exposition avec l’ombre des hausses. Je me demande si je pourrai vraiment remplir de bonne terre la troisième hausse mais je n’irai pas plus loin. A la suite d’une absence de plus d’une semaine, je reviens et tous mes plants de pommes de terre ont disparu. Ils ne sont pas fanés comme en fin de production, ils ne sont plus là du tout. C’est une déception, alors que je rêvais de récolter des graines pour faire comme Sepp Holzer, permaculteur d’excellence dont les films font rêver.
Notre voisin qui produit toute son alimentation sans engrais chimiques ni pesticides se plaint d’avoir dû faire des récoltes fréquentes de doryphores. En l’absence de preuve, j’attribue la disparition de mes pommes de terre à ces coléoptères voraces. Ce n’est qu’à la mi-août que je démonte les cadres pour découvrir qu’il y avait quand même des pommes de terre, assez petites mais quand même 1,6 kg. Sur une surface de 0,38 m2, cela fait un rendement de plus de 41 tonnes à l’hectare, alors que le rendement moyen en France, toutes variétés confondues, est de l’ordre de 45 tonnes/ha selon Wikipedia. La Roseval (?) est une pomme de terre chère donc probablement peu productive, mon résultat peut donc être considéré comme honorable.
Un an plus tard
J’ai gardé les plus petites à la cave comme semence et je recommence l’essai l’année suivante, bien plus tôt et avec un accessoire supplémentaire : j’achète une plaque de polycarbonate (plastique transparent) pour faire chassis. Le démarrage en avril est bien plus rapide que pour leurs semblables mises de manière classique en pleine terre. Je remplis progressivement le coffrage avec un mélange d’argile pulvérulente, de sable fin et de compost, que je suppose à la fois léger et fertile.
Fig. 1. Culture des pommes de terre en hauteur, fin mai 2011, le haut du coffrage en bois est à 60 cm du sol.
La troisième hausse n’a pas été vraiment remplie de terre mais les parties aériennes luxuriantes (Fig. 1) semblent plus prometteuses que celles de l’an dernier ; vers mi-juillet, elles se fanent et j’entreprends l’excavation avec la prudence d’un archéologue. La couche de 5 à 10 cm de la troisième hausse ne donne rien mais je n’en attendais pas plus. La deuxième hausse déblayée précautionneusement avec un plantoir recèle un seul tubercule de taille commerciale, plus un débutant de 1 cm de diamètre. La première hausse n’est à ma grande surprise pas plus riche sauf complètement au fond, au niveau du sol.
La récolte cette fois est de 2,9 kg, ce qui me donne un rendement voisin de 75 tonnes à l’hectare. La formation de tubercules le long des tiges enterrées n’a pas marché mais le fort rendement me console. Après discussion avec mes voisins permaculteurs de la Ferme du Collet, on pourrait expliquer ce résultat inattendu de la façon suivante : les racines des pommes de terre ont besoin d’humidité, j’ai mis trop de sable, le mélange était trop drainant et n’a pas favorisé la ramification des racines ni la formation de tubercules. Par contre, le compost entrainé par la pluie ou l’arrosage s’est accumulé au fond, au contact de l’argile compacte, où les conditions d’humidité et d’une nourriture abondante étaient réunies, ce qui explique le rendement exceptionnel. J’essayerai l’an prochain de remplir les hausses en omettant le sable et me contentant de la terre argileuse bien lourde qui constitue le substrat premier de notre jardin.
Une autre année plus tard
En 2012, j’entreprends la même opération mais avec des Amandine et un sol très argileux. Maintenant que je n’ai plus de contraintes professionnelles, je cède aux tentations du mauvais chercheur qui change plusieurs paramètres à la fois d’une manip à l’autre (et le plus souvent ne peut rien en conclure). De toutes façons, je ne contrôle pas les paramètres climatiques, que je suppose assez contraignants. Cette fois la terre est lourde, bien que généreusement enrichie en compost. Le résultat est désolant : 1,1 kg, et tous les tubercules sont au fond. Ce sera mon dernier essai de patates en hauteur, de toutes façons j’ai eu le temps en 3 ans de nettoyer du terrain (Fig. 2) : le retour à la tradition est réconfortant.
Fig. 2. De nouveaux espaces s’ouvrent à la culture de pommes de terre. Dans l’axe des buttes, des troncs de bois mort et du fumier, le tout recouvert par des cartons immobilisés par des pierres. Au fond, les ouvertures en forme de + dans les cartons sont destinées à laisser sortir les parties aériennes des tubercules “sous carton”.
Un autre essai : les pommes de terre sous carton
Les figures 2 et 3 illustrent un essai de culture des pommes de terre sous carton, assez réussi. La récolte est grandement facilitée par cette pratique qui économise aussi les arrosages mais la plantation est plus minutieuse et contraignante.
Fig. 3. Quand les parties aériennes sont fanées, il suffit de soulever le carton et les tubercules sont en surface bien propres dans la paille. La récolte se fait à la main sans risque d’endommager les pommes de terre avec des outils. Il arrive que certains tubercules soient légèrement verdis, comme cela arrive aussi quand les pommes de terre n’ont pas été suffisamment butées. Il faudra dans ce cas les peler soigneusement car ce pigment vert, la solanine, est toxique.
(à suivre)
(1) Science et Vie n° 1094 (Nov. 2008) pp. 96-101. La pomme de terre peut-elle sauver le monde ? Rafaële Brillaud
(2) The sustainable vegetable garden, John Jeavons & Carol Cox, 1999, Ten Speed Press, Berkeley (CA).
(3) Selon Claude Aubert et Nicolas Le Berre (Faut-il être végétarien ? Pour la santé et la planète, Terre Vivante 2007) c’est à tort que l’on range les glucides fournis par les pommes de terre dans les sucres lents, elles sont aussi peu lentes que du pain blanc.
(4)”L’abécédaire du jardinier bio”, p.61