La vie extra – ordinaire d’un pèlerin sur le chemin de Compostelle

18 novembre 2013,

Ce récit de pèlerinage, que nous publions depuis un mois, est original par son ton désinvolte, pratique, anecdotique, attentif aux détails, presque mystique… Nous voilà loin des effusions publicitaires de certains pipoles qui trimbalent au même moment leur égo enflé sur les chemins de Compostelle. Merci Jean-Luc.

Cinquième épisode

Rob, Alma,Jean-Luc,  Donna, Tony, Aurora, Hugo, Sarah -

Rob, Alma,Jean-Luc, Donna, Tony, Aurora, Hugo, Sarah –

par Jean- Luc Fessard

Le 25.05.2013 Départ à 9H00 de Bourriot Bergonce pour Gaillères

Hélène et Patrick me déposent à Retjons devant la borne 1000km qui a été sculptée par une pèlerine qui blessée avait dû rester plusieurs jour sur place avant de pouvoir repartir. Je rejoins assez rapidement par un joli sentier, le chemin qui continue sur une ancienne voie de chemin de fer. Je croise un couple d’écureuils et de chevreuils. Puis sur le chemin qui oblique en forêt vers Roquefort, je retrouve Hugues. Avec Kévin et Layla, hier ils sont partis très tard, c’est pourquoi je ne les ai pas revus puis ils ont dormi dans un gite à Retjons. Hugues à mal aux pieds, il prévoit d’arrêter demain. En quittant Roquefort je m’égare à cause d’un balisage qui conduit à un accueil jacquaire et d’une explication pas suffisamment claire du guide. Mes chaussures me font mal aux pieds, heureusement le chemin est de bonne qualité et j’ai eu très peu de pluie. J’envisage sérieusement de marcher avec mes sandales. J’arrive fatigué à 16H20 à Gaillères. Le propriétaire de l’hôtel est en train de faire la cuisine pour un groupe nombreux qui a réservé pour le repas de ce samedi soir. Il m’ouvre la porte immédiatement alors que l’hôtel ne devait ouvrir qu’à 17H30, j’apprécie. J’apprendrai qu’il s’appelle Julien. Avec sa femme Virginie, ils font un vrai travail d’animation pour Gaillères qui est un tout petit village. Ils font hôtel, restaurant, bar, épicerie, poste, dépôt de pain…Julien a un vrai charisme, il crée une bonne ambiance dans sa boutique multifonctions. Je paie 62€ pour la chambre, le dîner et le petit déjeuner.

Parcouru : 25km (612km)

Le 26.05.2013 Départ à 8H40 de Gaillères pour Saint Sever

Ce matin c’est la fête des mères, Julien offre des roses à ses clientes. Sur le chemin je retrouve Hugues. Il marche avec moi jusqu’à Bougue puis va rejoindre Mont de Marsan pour rentrer chez lui. Sa femme vient à nouveau de faire un accident cardiaque il doit écourter sa marche. Pour ma part, j’ai décidé de couper au plus court en quittant le chemin sans repasser à Mont de Marsan. J’espère toujours avoir des nouvelles de la seule chambre d’hôtes aux alentours, elle est située à 24kmde mon point de départ. Mais rien, je n’ai pas le choix, il n’y pas d’autre solution pour moi que d’aller jusqu’à Saint Sever soit en tout 34km. Heureusement la journée est très belle, ensoleillée sans chaleur excessive. Mieux en descendant vers Saint Maurice sur Adour, j’aperçois au loin les cimes enneigées des Pyrénées. J’arrive à Saint Sever après 9H30 de marche, très fatigué mais content. Je suis épuisé car la départementale que je longe à partir de Saint Maurice sur Adour est très passante et beaucoup plus longue que ce que j’ai imaginé en lisant la carte. Puis en arrivant à proximité de l’étape, après avoir visité une petite chapelle qui était ouverte, je crois être arrivé. En fait le chemin longe pendant encore plus d’un kilomètre l’Adour puis il me faut monter pendant près d’un kilomètre pour enfin atteindre mon hébergement au cœur de la ville. J’y arrive à 18H après une courte visite à la grande et belle abbatiale.

Cette ancienne maison de maître, avec un grand jardin est magnifique, c’est à nouveau la vie de château (l’anti Jean-Christophe Ruffin J). Madame H., mon hôtesse, me fait une salade avec jambon de pays, magret et confit de canard, puis une copieuse et goûteuse omelette aux asperges et à l’ail nouveau. Enfin de l’ananas frais avec une glace à la vanille maison. C’est somptueux, je me régale.

Elle me demande 85€ pour la chambre, le dîner et le petit déjeuner, un prix tout à fait justifié.

Aujourd’hui j’ai parcouru 34km (646km), ce sera ma plus longue étape, très au-delà des 28km que je ne souhaite pas dépasser. Mais je marche maintenant depuis quatre semaines et j’ai un jour d’avance sur mon tableau prévisionnel de marche aussi tout va bien.

Le 27.05.2013 Départ à 8H20 de Saint Sever pour Labastide-Chalosse

Mon hôtesse m’a fait un petit déjeuner très copieux dont des madeleines maison. Lorsque je lui dis que je vais emmener les 2 dernières pour une future pause, elle m’en rajoute d’autres. En quittant Saint Sever je passe par un amusant carrefour entouré de magasins d’antiquaires, dont un mur peint. Au loin j’aperçois Luth qui part sur la route. Je suis le chemin pendant 17km et dans un petit village je croise deux pèlerins dont Boris un Belge qui ne parle pas, mais que je reverrai. Lors d’un bref arrêt au bord d’un talus, je partage une madeleine avec un chien qui vient gentiment quémander et s’en va dès qu’il comprend qu’elle est finie. Exceptionnel, en cours de route ? Deux voitures vont s’arrêter pour me demander où je vais et d’où je viens. J’apprécie, cela change de tous ces débiles qui ne ralentissent pas lorsqu’ils me doublent. Ou qui me klaxonnent pour m’indiquer que je gène en occupant une partie de la chaussée, qui, c’est bien connu, appartient aux seules voitures. Entre ces comportements, les anciennes lignes de chemin de fer, dont les ponts ont été détruits, les autoroutes qui s’entendent à 5 km à la ronde, le tribut payé à l’automobile est lourd.

Lorsque j’arrive à Hagetmau où j’ai prévu de m’arrêter, je tombe sur Luth qui est très contente de me voir. Elle a décidé d’allonger ses étapes pour arriver au plus vite en Espagne. Elle en a marre de marcher seule sur la route. Alors qu’elle et censée avoir déjà mangé, je lui offre un repas qu’elle apprécie. Elle fait honneur aux buffets d’entrées et de desserts. Elle décide de marcher avec moi et de ce fait j’annule ma réservation pour aller avec elle 5,5km plus loin. Ainsi nous équilibrons les deux étapes et celle de demain sera plus courte (22,5km dans les deux cas). J’apprends qu’elle a trois fils et que l’aimé, Philippe, qui a 30 ans est tétraplégique depuis sa naissance. Nous arrivons à Labastide-Chalosse, où le maire nous fait les honneurs de son hébergement dans la salle des fêtes municipale. Avec lui nous installons les lits de camps dans la tribune pour être un peu plus tranquilles et heureusement il y a des couvertures. Il colle sur nos crédenciales un très beau timbre en couleurs fabriqué spécialement pour les pèlerins qu’il accueille. Nous passons une soirée sympathique, au soleil, dans la cour de la salle des fêtes. Le repas est sommaire, Luth prépare une soupe cresson nouilles avec quelques biscuits apéritifs que nous trouvons sur place, car j’ai refusé de faire 2 km de plus pour aller dans un supermarché et que nous n’avons rien pour manger.

Incroyable, dans ce coin perdu, le réseau marche, il y a même la 3G. Je peux recevoir des mails et en envoyer. J’espère vivement que demain je vais pouvoir acheter de nouvelles chaussures car les miennes me font toujours mal, en alternance sur le dessus du pied droit ou gauche et aux chevilles.

Parcouru 22km (668km)

Le 28.05.2013 Départ à 8H30 de Labastide-Chalosse pour Orthez

Cette nuit, il n’a pas fait froid, par contre j’ai été un peu gêné par la lumière, car nous n’avons pas éteint l’éclairage extérieur en l’absence d’interrupteur visible, Luth a dit que cela devait se déclencher automatiquement. Alors que sans s’en rendre compte elle l’a allumée en cherchant à éclairer la cuisine où se trouvait le tableau électrique. Après avoir déposé notre donativo et la clef dans la boite aux lettres du maire, nous prenons la route sous la pluie.  Nous marchons toute la matinée ensemble sur le chemin qui est pour l’essentiel goudronné, jusqu’à un village où ne trouvons pas à manger, puis elle choisit de prendre la route. Je l’accompagne pendant 3km avant de chercher à rejoindre le chemin. Lorsque nous nous séparons, il commence « à pleuvoir des cordes ». Quand j’arrive 500m plus loin, au village qui est en haut d’une colline par où passe le chemin, je suis bien trempé car je n’ai pu m’abriter. Le soleil réapparait et après une brève halte dans l’église Saint Jacques, je m’égare dans le village en cherchant le chemin. En fait, il passe sur les hauteurs et je suis trop redescendu de l’autre côté de la colline. Comme il y a du soleil et du vent, je suis à peine sec lorsqu’une pluie violente tombe à nouveau. Je m’abrite à moitié et lorsqu’étant reparti, j’arrive dans un hameau où un homme étrangement arrose son jardin avec un jet d’eau ? Le soleil réapparait, je sèche rapidement lorsqu’une troisième fois le déluge se déclenche. Mais cette fois, j’ai trouvé un vieux chêne qui m’abrite bien. J’arrive enfin à Orthez et passe près d’une belle tour moyenâgeuse. Luth est installée dans un refuge jacquaire situé au 2ème étage d’une très vieille maison. Elle est attablée avec une Genevoise, qui commence à Orthez et n’arrête pas de parler, cela me casse très vite les oreilles. Avec Luth nous partons à la recherche d’une boutique pour m’acheter de nouvelles chaussures et pour manger car il est 15H30 et je n’ai quasiment rien mangé depuis ce matin. J’ai beaucoup de chance car je trouve tout de suite dans un petit magasin les chaussures Salomon que je recherche. Incroyable, il ne reste qu’une paire en taille 9 ½ et elles me vont bien. Alors que celles avec lesquelles je marche depuis le départ sont en 8 ½, soit déjà une taille au-dessus de ma pointure habituelle. Je suis passé du 42 au 44. Luth est sidérée que je laisse dans le magasin mon ancienne paire de chaussures. Mais comme elles me font mal, je prends le risque et je n’aurai d’ailleurs pas à le regretter car à partir de ce moment je n’aurai plus du tout mal aux pieds. Celui qui m’a vendu les chaussures m’explique qu’il a adoré les années qu’il a passées à Tours, ce doit être un signe. Après trois tentatives infructueuses nous finissons par trouver une brasserie qui nous sert des sandwichs au camembert, le bonheur. De retour au gite, Maurice est arrivé (et non Boris comme j’avais cru). Il parle toujours aussi peu. Par contre Geneviève n’arrête pas, je suis excédé. Luth lui demande de se calmer. Arrivent deux messieurs. Ce sont d’anciens pèlerins qui gèrent le gite. Avec gentillesse et sympathie, ils échangent avec nous pendant une heure, puis tampons apposés, ils nous demandent 7€ Rapport qualité/prix imbattable. Après qu’ils soient partis, nous dînons entre pèlerins,  au gite avec les provisions que nous avons faites un peu plus tôt.

Depuis deux jours nous avons quitté les forêts de pins au profit d’immenses champs de maïs, avec leurs énormes arroseuses. Aujourd’hui le terrain était un peu plus vallonné, avec des champs plus petits et quelques forêts d’arbres à feuilles caduques et un peu d’élevage.

Parcouru : 23km (691km)

Le 29.05.2013 Départ à 8H00 d’Orthez à Sauveterre en Béarn

Le gite avec le chauffage nous permet de repartir secs. Ce sera bien utile car ce jour-là il va pleuvoir du départ jusqu’à l’arrivée vers 13H45, avec juste de courtes séquences de quelques minutes de répit entre deux trombes d’eau. Heureusement à Sauveterre en Béarn, le restaurant de l’hôtel du Cheval Blanc nous accepte malgré l’heure tardive. Nous sommes trois (Luth, Geneviève et moi) pèlerins transis de froid, ruisselant d’eau mais nous faisons un repas réconfortant. Puis nous allons au refuge pèlerin où trois personnes, style babas cools attardés, nous accueillent. Leur maison est assez délabrée, décorée à base de bouddhisme tibétain mâtiné de zen et des bijoux qu’ils fabriquent.  Dans cette petite ville ils espèrent s’implanter auprès des jeunes en proposant des activités créatrices. L’un d’entre eux, essaie de se poser en gourou, à partir d’une sorte de prise de conscience ressentie sur le chemin. A mon avis, il est à des années lumières des préoccupations des jeunes du coin. En attendant il dessine un symbole ésotérique en guise de tampon sur notre crédenciale. Et nous prépare un bon repas végétarien. Aujourd’hui j’ai choisi de marcher sur la route et j’ai bien fait, la pluie a transformé le chemin en torrent de boue et en marécages. Ceci nous sera confirmé par Maurice qui finit par arriver à son tour au gite. Le record de pluie a été battu et tel que je n’ai pas le courage de ressortir pour visiter la petite ville. Mon seul bon souvenir sera celui de l’arrêt dans la petite église d’Hospital d’Orion. Où je m’abrite pendant un quart d’heure. Mes nouvelles chaussures me vont parfaitement, les seules douleurs sont des résidus des jours précédents. Le paysage est très vallonné, malheureusement avec ce ciel totalement bouché nous n’avons rien vu des Pyrénées.

Parcouru : 20km (711km)

Il parait que demain il y aura encore de la pluie, cela promet car j’ai 27km avec du dénivelé à faire.

Le 30.05.2013 Départ à 8H30 de Sauveterre en Béarn pour Ostabat

Le départ se fait sous la pluie. Mauvais karma ? Pour rester dans l’ambiance du gite où nous avons senti de fortes tensions entre nos hôtes. A nouveau, il va pleuvoir presque toute la journée. Je profite peu des villes et des villages que je traverse. Pourtant certains, comme Saint Palais, sont assez jolis et contiennent certainement des choses intéressantes. Mais la pluie m’incite plus à tracer la route qu’à profiter de la dimension culturelle du chemin. D’ailleurs je ne prends pas de photos de peur de mouiller mon nouveau Smartphone. Près d’une stèle, qui en fait ne serait pas très ancienne, je croise un groupe de randonneurs qui vont gravir le chemin très raide qui se présente, alors que je ferai le choix de prendre la route qui contourne l’obstacle. A 6km de l’arrivée, je m’arrête dans un bar qui fait aussi refuge pèlerin. Les gens sont très accueillants, le patron remet une bûche dans la cheminée à mon arrivée pour me permettre de me sécher. Soudain arrive un jeune Suisse avec un sac très lourd, qui fait sensation : comme ses chaussures lui donnent des ampoules, il a décidé de marcher pieds nus. Je le croiserai à nouveau en Espagne, à nouveau pieds nus, mais cette fois marchant difficilement sur un chemin très caillouteux. Il m’expliquera alors, qu’il veut s’endurcir pour marcher : Barefoot. Je reprends la route pour Ostabat sous la pluie, sans passer par le village, tellement j’ai hâte d’arriver au gite qui est à 1km plus loin. Je suis accueilli par la femme du propriétaire qui à une vraie réputation dans le milieu des pèlerins avec son béret Basque toujours vissé sur sa tête et ses chants Basques. La soirée se passera avec un groupe de pèlerins venant du Puy et qui se sont progressivement regroupés.  Le dîner sera très sympathique avec des chansons à l’apéritif et au dessert. Soirée très animée, le propriétaire nous fait une présentation du pays Basque. Puis il nous fait chanter avec lui des chants Basques, mieux encore pour l’ambiance, l’un des pèlerins présents, ce soir, qui vient de Rennes entonne à son tour  des chants Bretons.

Parcouru : 27km (738km)

Problème pour demain, il semble que le col de Roncevaux soit fermé à cause des fortes pluies. J’ai réservé un gite à 5,5km après Saint Jean Pied de Port pour raccourcir l’étape suivante qui est très longue avec un fort dénivelé. Il se peut que j’aie tout faux, si je dois passer par la route, je vais en fait m’être rallongé.

Le 31.05.2013 Départ à 8H20 d’Ostabat pour Honto via Saint Jean Pied de Port

Avec la pluie, le chemin est impraticable. Notre hôte, avec son éternel béret basque sur la tête, nous dépose en voiture, Luth et moi, à l’entrée d’un village situé à 2km d’Ostabat pour nous éviter de revenir sur nos pas jusqu’à la route. Il pleut fort et cela va continuer toute la matinée sans aucun répit et de plus en plus fort. Je suis totalement inondé. La housse de protection de mon sac, que je n’ai toujours pas percée, se remplira trois fois de suite. Sur la route il y a plus d’un centimètre d’eau au milieu et les bords sont de petites rivières. Heureusement la plupart des camions font un large détour pour nous éviter, sinon à chaque fois c’est la douche froide. A l’arrivée à Saint Jean Pied de Port la pluie s’arrête pendant que je prends mon déjeuner et que je suis à l’abri. Je fais durer le plus possible en attendant que la poste ouvre à 14H, pour expédier à Paris le guide de Mme Chassin et quelques cartes devenues inutiles.

Puis la pluie reprend alors que j’entame dans une rue la vieille ville ma montée vers Honto, à 5km, où se trouve la chambre d’hôte que j’ai réservée.  Le ciel est bouché, je ne vois rien des Pyrénées, mais sur ce chemin de montagne mon moral revient. Aujourd’hui les nombreux pèlerins, qui étaient à Ostabat comme moi, ont dû prendre la route, le chemin étant déconseillé par le gens du cru. J’étais au bord de l’abandon, las de ces journées passées sur des routes inondées, avec les voitures particulières qui vous frôlent et vous arrosent encore plus. Et sur lesquelles je n’avais même plus le courage de faire un signe pour remercier les conducteurs de poids lourds qui font un large écart pour vous éviter. La montée est rude, 390m de dénivelé), mais finalement j’arrive au gite vers 17H30. Dans la chambre je sors toutes mes affaires, tout est trempé jusqu’à mes documents dans l’intérieur de mon portefeuille. Les photos de mes filles qui étaient glissées dans la pochette plastique de mon permis de conduire sont détruites. Sur ce dernier ma photo est presque effacée. Demain je vais passer en Espagne par la route de Pampelune, le col est fermé pour cause de mauvais temps, drôle de vie pour un pèlerin.

Luth, a eu le courage de monter jusqu’à ce gite. En fait elle s’appelle Lutgarde,  c’est une sympathique Flamande de mon âge. Elle est coiffée d’une épaisse tignasse blonde, taillée comme une meule de foin. Elle est très légèrement voutée, j’imagine, à cause du poids des malheurs qu’elle porte. Elle est en perpétuelle recherche d’affection. Aussi elle va nouer une quantité étonnante de contacts, qu’elle voudrait durables au-delà du chemin, mais qui je le crains hélas, seront éphémères. Il faut dire qu’elle se taille un véritable succès avec son chariot, à deux roues, qu’elle tire derrière elle grâce à une ceinture abdominale. Je l’appelle la star du chemin, tellement sont nombreuses les personnes qui la font poser pour la photo. Il faut dire qu’elle est une publicité vivante pour ce chariot très bien conçu avec lequel elle marche très rapidement. Excepté dans les montées, où son chargement est plus dur à tracter. Elle a tendance à charger beaucoup de victuailles dans son chariot, que je désigne comme sa « petite épicerie ». Car elle est végétarienne et à quelques difficultés dans les cafés-restaurants pour trouver des plats qui lui conviennent. Et du coup elle grignote beaucoup de fruits secs, de biscuits et de fruits frais.

Nous dînons avec la propriétaire du gite, qui préfère notre table tranquille à celle d’un groupe de vingt personnes qu’elle héberge pour le week-end. Elle est partie de ses montagnes pendant quatre ans à San Francisco pour suivre son mari Basque lui aussi. Elle est revenue dans sa maison familiale, pour ne plus en repartir lorsqu’il est décédé. Elle a transformé cette ferme en un gite avec une vue imprenable sur la vallée. Lorsqu’elle s’absente, Lutgarde, se confie larmes à l’appui. Elle a le sentiment d’avoir une vie gâchée, avec son enfant tétraplégique, son divorce qui se serait très mal passé…et dit ne plus croire en Dieu. Il semble que le chemin soit pour elle, en partie, une façon de fuir cette vie pesante. Elle n’avait pas son chariot au début. Elle est allée jusqu’à Reims avec un sac à dos, mais son sac la faisait tellement souffrir qu’elle est rentrée chez elle. Et c’est l’un de ses fils qui a décidé de lui acheter le chariot pour qu’elle puisse repartir et aller au bout de son projet. Je comprends qu’elle n’a donné son numéro de téléphone qu’à ce seul fils et qu’elle est plus où moins fâchée avec le troisième.

Parcouru : 27km (765km)

Le 1.06.2013 Départ à 9H05 de Honto pour Burguete via Roncevaux

Après un petit déjeuner au minimum syndical : un croissant rassis réchauffé, quelques morceaux de pain à peine grillés, un verre de jus d’orange en bouteille, pas de yaourts ni de fruits, une seule confiture… Sans que nous en comprenions la raison, notre propriétaire nous facture 35€ chacun, au lieu des 32€ annoncés pour la chambre double. Nous ne disons rien, car ce n’est pas cher pour la chambre, le repas et le frugal petit déjeuner. Puis elle nous fait perdre beaucoup de temps car elle a oublié qu’elle s’est engagée à nous redescendre en voiture, ensuite elle cherche sans succès les clés de sa voiture. Nous nous demandons si nous n’aurions pas mieux fait de nous lancer directement sur le chemin, car voici qu’arrivent un grand nombre de pèlerins qui sont bien décidés à franchir le col malgré l’interdiction. Elle finit par prendre une autre voiture et nous dépose à Arnéguy, soit une distance équivalente à celle que nous avons fait la veille pour venir jusqu’à chez elle. Avec Lutgarde nous nous dirigeons vers Roncevaux par la route de Pampelune. Après quelques kilomètres, nous nous arrêtons dans le premier village Espagnol, pour prendre un café. Au début les montées alternent avec les descentes, c’est du goudron, mais il y a peu de voitures, le temps est couvert mais, génial, il ne pleut pas. Lorsque nous commençons la montée sérieuse, nous sommes rejoints par deux jeunes : Hugo qui est Portugais et Sarah qui est Belge. Ils commencent le chemin et veulent aller jusqu’à Santiago avant de déménager de Bruxelles à Lisbonne. Hugo envisage de créer une entreprise dans le multimédias. La montée est très, très longue mais la pente est réduite, ce n’est pas difficile sauf pour Lutgarde avec son chariot. A la fin Hugo désespère de ne jamais voir le col d’Ibaňeta ou col de Roncevaux (1067m). Lorsque finalement nous y arrivons, le col est dans le brouillard le plus total, nous ne voyons rien. Mieux, la chapelle de Roland est fermée. J’ai attendu  Lutgarde, Hugo et Sarah ont filé de peur de ne pas avoir de place dans le gite. Nous redescendons sur Roncevalles en une vingtaine de minutes. L’office de tourisme est fermé, après avoir pris un chocolat chaud (en fait un Colacao), nous nous dirigeons vers Burgete. Là nous trouvons sans problème une Casa Rurale qui nous héberge ainsi qu’une paire de Bretonnes format mini pour la taille mais maxi pour le bruit. Pour le repas ce sera empanadas dans un bar tenu par un Argentin. Le seul restaurant ouvert ne sert le menu pèlerin qu’à partir de 20 heures et nous ne voulons pas attendre.

Parcouru : 24km (789km)

Notre hôtesse, plutôt sympathique, s’exprime assez bien en Français sans jamais avoir vécu en France. Elle fait bien son travail et ne me demande que 14€ pour le lit en chambre double, 6€ pour le nettoyage et le séchage de mon linge et 5€ pour un petit déjeuner copieux. C’est parfait.

Le 2.06.2013 Départ à 8H00 de Burguete pour Larrasoaňa

Pour la première fois, depuis presqu’une semaine il ne pleut pas. Je prends le chemin et après quelques centaines de mètres, je réalise que sur une distance de 150m, j’ai plus de dix pèlerins devant moi et plus de dix pèlerins derrière moi. La plupart sont partis une demi-heure auparavant du gite de Roncevaux. Ce sera un scénario que je vais désormais souvent rencontrer, c’est un changement radical par rapport à la partie française du chemin. Le chemin est la plupart du temps agréable, mais avec des passages boueux et glissants. Et à certains endroits des ruisseaux en crue ne peuvent être franchis à sec. Au premier village, je renonce à accéder à la boulangerie tant elle est déjà envahie par les pèlerins. Au deuxième village, je prends un café, un croissant et un sandwich pour mon repas de midi. Je retrouve trois des pèlerins rencontrés à Ostabat dont celui qui avait chanté en alternance avec notre hôte basque. Ils vont bientôt me surnommer « le turbo » parce que je les double plusieurs fois après de très courtes pauses. Sur le chemin je rencontre un pèlerin Espagnol tout désemparé.  Sa poche à eau s’est rompue et le fond de son sac est trempé, malheureusement je ne lui suis d’aucune aide. Dans un hameau je partage mon sandwich avec cinq chats faméliques et affamés. J’arrive à Larrasoaňa à 15h.

Pour l’hébergement des pèlerins en Espagne il existe trois solutions : les « albergues » littéralement les auberges spéciales pour pèlerins car il faut avoir une crédenciale pour y accéder. Ce que je refuse de faire, car, nous en reparlerons, pour la plupart elles empilent de façon innommable les pèlerins et n’ont pas de couvertures. Les « pensions » en fait des chambres d’hôtes et un peu plus cher les hôtels. Cette fois je trouve une « pension », qui me propose une chambre pour deux personnes à 2×20€. Alors que je pense être seul, j’entends appeler « Jean-Luc ! ». C’est Lutgarde qui met un point d’honneur à aller dans les « auberges municipales », les moins chères, mais cette fois tout était complet. Elle a retrouvé ma trace et nous partagerons donc à nouveau une chambre. Cette nuit, quatre américains vont coucher par terre sur un matelas, dans le garage de notre pension. Tout est complet y compris l’hôtel. Il se raconte même qu’une pèlerine, déjà arrivée assez tard, a dû repartir pour le village suivant qui est à 11km pour trouver un hébergement. Depuis que j’ai franchi la frontière, je ne réserve plus mes hébergements. Mais sans duvet cela risque de me poser un problème car les nuits sont très froides. J’ai l’intention d’acheter une carte téléphonique espagnole pour pouvoir réserver, car étrangement plusieurs numéros ne fonctionnement pas sur le réseau auquel j’ai accès. En fait je découvrirai plus tard que c’est un pur problème de numérotation internationale que j’applique mal. Le soir, repas dans le restaurant du lieu en grande tablée, avec un menu à 10€ comprenant l’entrée, le  plat et le dessert avec du vin et de l’eau.

Parcouru : 24km (813km)

Aujourd’hui cela fait 35 jours que je marche, soit la moitié du temps que j’avais prévu pour rejoindre Santiago. Physiquement je suis en pleine forme. J’espère que la deuxième partie du chemin sera aussi facile que celle que je viens d’effectuer.

La pension ne sert pas de petit déjeuner, mais à côté il y a un petit commerçant qui a tout compris des besoins du pèlerin. Il sert les petits déjeuners dès 6H du matin. Propose des fruits à l’unité, ou des fruits secs en mini sachets à 1€, des produits lessiviels en petit format…etc.

Le 3.06.2013 Départ à 7H30 de Larrasoaňa pour Pampelune

Départ assez tôt car il est prévu du soleil. En fait, le ciel est couvert mais il ne pleut pas. Très agréable pour marcher. Le chemin est bien balisé et facile, excepté à un endroit où une piste cyclable cimentée longe une rivière. Et étrangement le chemin lui, passe par une sente boueuse, glissante, à flanc de colline. Il s’agit, semble-t-il, de nous faire découvrir par un village intéressant, avant de rejoindre un peu plus loin la piste cyclable. C’est alors que je trouve ce détour boueux inopportun que je reçois pour la deuxième fois un appel de Gérald.

J’arrive à Pampelune à 11H30.

Lutgarde a décidé de marcher sur la route, nous avons convenu de nous retrouver devant la cathédrale. J’attends 50’ et comme elle n’arrive pas, je vais dans un café proche, manger quelques très bonnes tapas. Avant d’aller chercher une pension, je repasse devant la cathédrale, elle n’y est pas. Je découvrirai plus tard qu’elle est arrivée mais qu’elle attend, avec son chariot, à l’intérieur de la cathédrale.

Sur les indications obtenues à un kiosque dépendant de l’office de tourisme, avec une carte de la ville, Je trouve une pension à la sortie de Pampelune à 2km du centre. Ainsi je ne m’éloigne pas trop des autres pèlerins dont les auberges sont dans le village de Cizor Minor,  à 4km du centre. En passant dans la rue qui traverse la ville et que suit le chemin, je tombe sur une boutique « del pélégrino ». J’hésite à y acheter un duvet. Parce que mon choix des chambres d’hôtes m’isole un peu des autres pèlerins, mais ce sont 750gr de plus à porter dans mon sac, aussi j’y renonce. Finalement j’estime que l’emplacement de ma pension est bien meilleur que celui des auberges. Car il me permet, dans l’après-midi, de retourner au centre-ville. Pampelune est une jolie ville, très agréable avec beaucoup de parcs. Le soleil est de la partie mais, avec un léger vent, c’est idéal. En me promenant, je finis par trouver l’office de tourisme pour le tampon sur ma crédenciale et j’achète « le Monde » de la veille. Je croise des toulousaines, que j’ai déjà rencontrées auparavant. Elles vont  passer 15 jours sur le chemin, plus ou moins guidées par un Belge. Ce dernier s’est blessé à une jambe et cherche une pharmacie ouverte. Ce n’est pas gagné en ce dimanche après-midi. Je rentre à la pension, après avoir traversé un fort désaffecté, construit tout en étoile et qui est devenu un lieu de promenade. La pension est en fait une grande chambre bien aménagée dans un appartement situé dans un immeuble au bord d’un parc. La salle de bain et les toilettes sont communes pour plusieurs chambres. Mais comme il n’y a personne dans les autres chambres, c’est pour moi seul. Prix 27€ pour la chambre seule.

Le soir je dine, très mal, avec des tapas pleins de sauce et d’huile. Pire j’ai pris des pommes de terre sautées et sous prétexte de les réchauffer la serveuse m’a rajouté une louche de mayonnaise et de sauce piquante. Je regrette mon « menu del  pélégrino » de la veille.

Le menu du Pèlerin se compose généralement ainsi

v Une copieuse entrée au choix :

  • Une salade mixte comportant : Salade, tomates, oignons, olives, œufs…
  • Une tortilla : une variété d’omelette aux pommes de terre avec divers ingrédients
  • Des calamars frits

v Un plat principal généralement accompagné de frites:

  • Un poisson souvent du filet de Panga ou une Sole
  • Du poulet frit, rôti ou en sauce
  • Des côtes de porc, d’agneau ou du bifteck (toujours trop cuit)
  • De la paëlla, pratiquement le seul plat avec du riz

v Un dessert :

  • Du riz au lait à la cannelle
  • Un fruit ou une salade de fruits
  • Une glace
  • Un gâteau de Santiago (aux amandes)

Tout ceci avec de l’eau de source ou du vin pour 8 à 12€

Parcouru : 18k (plus au moins 5km dans la ville mais sans le sac) (831km)

Le 4.06.2013 Départ à 8H00 de Pampelune pour Puente la Reina

Aujourd’hui le ciel est totalement dégagé, je vais marcher au soleil…

à suivre