La vie extra – ordinaire d’un pèlerin sur le chemin de Compostelle

26 novembre 2013,

Ce récit de pèlerinage, que nous publions depuis deux mois, est original par son ton désinvolte,Devant la cathédrale à Santiago pratique, anecdotique, attentif aux détails, presque mystique… Nous voilà loin des effusions publicitaires de certains pipoles qui trimbalent au même moment leur égo enflé sur les chemins de Compostelle. Merci Jean-Luc.

par Jean-Luc Fessard
Septième épisode

Le 13.06.2013 Départ à 7H30 de Burgos pour Hornillos del Camino

Depuis quelques jours, je vois des cigognes. Elles ont colonisé avec leurs immenses nids les toitures des églises et de nombreux poteaux. Elles seront présentes tout au long du chemin, excepté en Galice. Le temps et couvert mais il ne pleut pas. L’auberge où la plupart de mes amis ont séjourné est superbe. J’y croise John qui a l’intention d’accélérer le rythme, pour avoir le temps d’aller jusqu’à Finisterra. Le chemin passe derrière la cathédrale que j’admire une dernière fois. La sortie de Burgos s’effectue rapidement. Je suis avec Claudine une jeune sexagénaire, plutôt bavarde, qui s’improvise cougar et se lance à la poursuite de John. Pour ma part pendant quelques kilomètres je marche avec une jeune Hollandaise fraichement débarquée et qui semble un peu désorientée. Par un chemin, ne présentant aucune difficulté, j’arrive à Hornillos del Camino vers 12H15.

J’ai revu ce matin, alors qu’il rangeait son campement à la sortie de Burgos, le « vagabond céleste », Alain qui voyage avec son âne et fait le chemin au moins pour la deuxième fois. Il est originaire de Sélestat et fait la route depuis 1968, en allant régulièrement travailler chez les « Compagnons d’Emmaüs ». Il n’accepte pas d’être photographié, seul Pompon son âne y a droit. Il déplore que les gens veuillent le prendre en photo, sans même chercher à créer un contact, ne serait-ce que de quelques minutes avec lui. Je m’en rendrai compte, cette attitude sera mal perçue par de nombreux pèlerins. Ils considèrent que  c’est une figure délibérée du chemin et qu’à ce titre, il doit se laisser photographier. Dommage qu’en ce siècle d’image, la photo souvenir prime sur la relation humaine. Je n‘ai pas osé lui donner un peu d’argent de peur de le vexer.

En face de l’église je prends un repas avec une famille d’Irlandais, les parents,  leur fils et leur fille, ils ont décidé de faire 38km dans la journée, car ils estiment avoir pris du retard par rapport à leur tableau de marche. Une américaine venant de Floride est récupérée par une ambulance pour retourner à Burgos soigner une douleur aigüe aux genoux. J’apprends à cette occasion, qu’une autre sympathique américaine, qui marche avec sa fille, vient d’être hospitalisée également pour des tendinites et un épuisement général. Je vois une dernière fois John assis avec Claudine qui a réussi à le rattraper, lorsque la propriétaire de la Casa rurale del Molino, vient me chercher pour me conduire à son gite qui est situé à 7km. Le gite est vide car les propriétaires sont partis à une fête dans un village voisin. Je bénéficie seul des canards et du paon qui se fait entendre régulièrement. Les propriétaires de cet énorme moulin posé sur une rivière sont très fiers d’avoir hébergé l’équipe du film avec Martin Sheen qui s’intitule « The way ». Ce film sur le chemin, a été diffusé dans de nombreux pays, mais pas encore en France et en Belgique. (Il ne sera diffusé qu’à partir du 25 septembre 2013). Et de nombreux pèlerins anglo-saxons ont décidé de venir sur le chemin après avoir vu ce film. Ils sont ravis de retrouver les lieux de certaines scènes et seront déçus de ne pas avoir, comme moi, été hébergés dans le moulin. L’une des filles des propriétaires s’est mariée avec le fils du producteur et la noce a eu lieu dans le moulin.

Je passe la soirée avec un couple de Sud-Africains qui vivent au Canada et sont arrivés après moi. Lui est chirurgien et elle, une très belle femme, donne dans le blanchiment des dents. La prestation de la casa rurale est moyenne pour le prix. Par exemple, le repas est totalement déstructuré, la propriétaire apportant une dizaine de plats dans le désordre, dont nous laisserons de ce fait la majeure partie. Seuls deux plats sont cuisinés, les autres sont des produits bruts censés être de la ferme, ce dont je doute. Le dessert est manifestement une salade de fruits en boite mélangée avec du yaourt. Le prix de 15€ est nettement plus cher que celui d’un habituel menu pèlerin qui oscille entre 8 et 12€. Même le petit déjeuner comporte uniquement du pain grillé, pas de jus d’orange, ni de fruits comme d’habitude. Et lorsque je demande un yaourt, le propriétaire m’apporte une sorte de fromage industriel en pot.

Parcouru : 19km (1069km)

Le 14.06.2013 Départ à 8H50 de Hornillos del Camino pour Castrojeriz

Départ tardif, car le gite se trouve à environ 20’ en voiture du chemin et que nous devons attendre d’être raccompagnés. Le chemin commence dans la brume, il est très facile. Sur une petite sente courant à flanc d’une colline verdoyante, j’ai revu Alain avec Pompon, cette fois je lui ai donné 10€ et il a apprécié. Plus loin, à San Anton, la route passe sous une arche des voutes de l’ancien couvent. Le soleil finit par bien chauffer mais mon arrivée, vers seulement 12H45, m’évite le plus gros de la chaleur du jour.

Castrojeriz est une ville toute en longueur, au flanc d’un mont dominé par un ancien château fort. Je suis hébergé dans une pension toute neuve construite dans une belle habitation ancienne. Je déjeune avec Lutgarde et un trio de très sympathiques Canadiens avec qui je marche depuis Burgete. Où j’ai aidé Alma à franchir un ruisseau en crue. Robert et Alma, sa femme, sont accompagnés de Donna, dont la chevelure frisée très blanche se repère de loin sur le chemin. Cette dernière est une survivante, vers l’âge de 7 ans elle a été brulée à 80% dans sa maison en feu. Elle raconte qu’elle a ensuite subit tellement d’opérations de reconstruction qu’elle a arrêté de compter à la centième. En attendant tous les trois sont très rapides, Robert rivalise avec Hugo, Donna en compagnie d’Alma qui a fait des marathons (33) et du triathlon ne se laisse pas distancer. Dans Castrojeriz les trois églises sont fermées dont  l’une d’entre-elles est célèbre pour ses têtes de mort qui ornent ses murs.

Parcouru : 20km (1089km)

Le 15.06.2013 Départ à 7H20 de Castrojeriz pour Fromista

A 7H je prends un petit déjeuner dans un café qui vient juste d’ouvrir, proche de l’auberge municipale. Cette dernière est déjà vide de tout occupant. Les départs seront de plus en plus matinaux, à cause du soleil, mais surtout de l’angoisse de ne pas avoir de place dans les auberges, car la plupart d’entre-elles ne permettent pas de réserver. En fait de la place il y en a, même à cette époque et cette frénésie se révèlera infondée.

Le ciel est complétement dégagé, il va faire chaud, nous entrons dans la Meseta. C’est un plateau  qui est à 900m d’altitude et que le chemin traverse pendant près de 200kms. En fait, à part la montée très raide sur le plateau, à un kilomètre du départ, le chemin sera relativement facile, même si l’étape de 26km est longue. La dernière portion se passe au long d’un canal légèrement ombragé.  A 13H30 après avoir franchi le canal, puis la voie ferrée, où je croise un regroupement de très nombreux cyclistes, j’arrive au centre-ville de Fromista. Qui est principalement un carrefour routier avec deux églises anciennes, le tout inondé de soleil.

Dans cette partie, la Meseta n’est pas aussi plate que je l’imaginais. Elle est légèrement vallonnée et de nombreuses collines sont couvertes d’éoliennes. Il y a toujours des champs parsemés de coquelicots et d‘un peu de bleuets. Les talus accueillent également des marguerites, des fleurs de Colza, des fleurs de pissenlits et des chardons en fleurs. Il y a aussi des fleurs violettes qui ressemblent à de la lavande, mais je n’en suis pas sûr. Tout au long du chemin je verrai souvent, de magnifiques rosiers en fleurs, dont beaucoup de variétés sauvages. En cette année de pluies exceptionnelles, la Meseta n’est pas aride. Les champs blé et d’orge sont encore très verts. Je n’ai pas vu de maïs et à quelques exceptions près, il n’y a pas ces systèmes d’arrosage que j’ai vu dans le sud-ouest. Par contre, du canal,  partent plusieurs aqueducs anciens, qui semblent encore utilisés, pour l’irrigation des champs.

Certes chacun fait SON chemin, mais, a mon grand dépit, je rencontre beaucoup de français qui ne sont là que pour une semaine ou deux et qui se font porter leur sac. Les Irlandais, les Belges, les américains, les Brésiliens, les Coréens, les Japonais, les Sud-africains…et même une majorité d’Espagnols font le Camino Francès, en une fois, depuis les Pyrénées jusqu’à Santiago avec leur sac sur le dos. J’ai même rencontré aujourd’hui des français qui ont une solution originale, automobile pour porter leurs bagages et alternance, en fonction du terrain, de marche ou de vélo. Dans de nombreux cas je ressens que les randonneurs prennent le pas sur ceux qui ont une démarche spirituelle. Il faut dire qu’avec la fermeture très fréquente des églises, en l’absence d’une quête spirituelle intérieure,  cela se transforme souvent  en randonnée pure, avec une recherche de records de distance parcourue et de rapidité.

Parcouru : 26km (1115km)

Le 16.06.2013 Départ à 7H20 de Fromista pour Carrion de los Condes

Pour une fois je prends un petit déjeuner, très correct et servi dès 7H inclus dans le prix de la chambre 30€. A mon départ le ciel est totalement dégagé et c’est certain qu’il va faire chaud. Heureusement l’étape est courte (20km) sur terrain plat, facile. Je marche avec deux irlandais que j’apprécie beaucoup, le père et le fils. C’est le père, qui après deux crises cardiaques, voulait faire le chemin, aussi l’un de ses fils a décidé de l’accompagner. Il a eu sept enfants, c’est un autre fils qui s’occupe en attendant de l’entreprise de plomberie familiale.

J’ai choisi le parcours en ligne droite, au long de la route, en mémoire de Francis qui disait que le pèlerin allait au plus direct, contrairement aux GR. Le Guide Rando, préconisait un chemin plus au milieu des champs, mais comme il est plus dans l’esprit GR, je ne le suis pas systématiquement. Et d’ailleurs la route que j’ai longée était quasi vide de voitures, elle m’a épargné quelques kilomètres sous le soleil, ce n’est pas négligeable.

J’arrive à 11H40. Je loge dans un ancien monastère Santa Clara, situé à l’entrée de la ville. Mais il n’y a plus de sœurs de Clarisses. Dans une autre abbaye proche, je participe à une réunion de pèlerins organisée par les sœurs. Nous sommes une trentaine venant de tous horizons, mais malheureusement sur le plan spirituel l’apport y est bien pauvre. Puis je dîne avec Aurora, ainsi que Hugo et Sarah qui viennent de nous rejoindre.

Aujourd’hui je boucle ma 7ème semaine de marche.

Parcouru : 20km (1135km)

Le 17.06.2013 Départ à 7H00 de Carrion de los Condes pour Terradillos de los templarios

C’est ma 50ème journée de marche, elle sera bien arrosée. Le temps, simplement couvert lors de la première heure, va tourner à la pluie intense pendant les 3 heures suivantes. Je marche sur une ligne droite interminable pendant de plus de 12km. Au bout, une auberge – café – bar est la bienvenue. Elle est envahie par une multitude de pèlerins ruisselants de toutes parts. Après y avoir bu un chocolat chaud pour me réchauffer, Je repars sous la pluie pendant encore une demi-heure puis j’arrive à mon étape à 12H45. Tout est à nouveau trempé, il faut procéder au séchage, par chance il y a du vent cela va vite. Je suis dans une auberge toute neuve, située à 500m de l’entrée du minuscule village, qui possède une autre grande auberge en son centre, à part cela il n’y a rien. Je paie 28€, avec les 22€ d’hier, c’est très bien, je réduis un peu mes dépenses. Par contre il n’y a pas le wifi et je constate à nouveau mon incapacité à récupérer mes mails sur les ordinateurs payants mis à notre disposition. Je ne comprends pas pourquoi. Le midi je déjeune avec Hugo, Sarah et Lutgarde. A notre table nous rejoignent bientôt, deux jeunes californiennes. La plus jeune, Robin est également une survivante. Elle est restée longtemps entre la vie à la mort à la suite d’un très grave accident de la route et fait le chemin pour remercier Dieu. Elle dégage une énergie remarquable. Je dine avec Aurora qui est dans la même auberge que moi, mais dans les dortoirs.

Elle subit, comme tous ceux qui dorment dans les dortoirs, la frénésie des départs matinaux de ceux qui veulent arriver le plus tôt possible à l’étape suivante pour être sûr d’avoir de la place dans les auberges. Aussi elle part souvent avant moi, mais je finis par la rattraper. Car elle n’arrive pas à bien régler les bretelles de son sac qu’elle porte légèrement de travers et doit s’arrêter souvent pour soulager son dos.

Parcouru : 27km (1162km)

Il doit me rester 16 étapes et je devrais être à Santiago le 3 juillet.

Le 18.06.2013 Départ à 7H05 de Terradillos de los templarios pour Bercianos del Réal Camino

A part quelques attardés lorsqu’à 6H45 je prends mon petit déjeuner, il n’y a déjà plus personne dans l’auberge. L’heure de départ est de plus en plus tôt. En l’occurrence, cela est totalement irrationnel, car notre auberge n’était qu’à moitié pleine et tous les jours nous pouvons constater qu’il reste de la place dans les auberges, à l’exception des plus connues. Mais le fait de ne pouvoir réserver crée un magnifique stress. Et déjà il se raconte que sur les 115 derniers kilomètres indispensables pour obtenir la Compostella, avec l’affluence prévisible, il sera nécessaire de partir encore plus tôt. Cela promet !

Par chance, alors que la météo avait annoncé de la pluie comme hier, le ciel n’est resté que très légèrement couvert puis s’est totalement dégagé.  Il s’est couvert à nouveau dans la soirée mais nous n’avons pas eu de pluie sur le chemin. Depuis quelques jours pour mieux équilibrer mes étapes, je ne suis plus celles préconisées dans le guide. Aussi, après avoir franchi près d’une chapelle dédiée à la vierge, un étrange portique isolé, j’ai simplement traversé Sahagun avec Hugo et Sarah. Il y a deux églises à voir mais la plus imposante est en ruines, alors pas de regrets. J’arrive à Bercianos à 13H15. Etape tranquille, sans difficultés, avec à nouveau un chemin rectiligne proche de la route qui recouvre le chemin d’origine. Cette fois encore, je ne suis pas mon guide, qui ne décrit en détails que la variante.  Pire, il prévoit une étape de 36km sous prétexte que c’est une étape facile. C’est d’autant plus idiot qu’il y a des hébergements là où je m’arrête et que l’étape suivante ne ferait, en suivant le guide, que 19km. Je suis de plus en plus en désaccord avec cette façon de mépriser le chemin qu’en fait, la majorité des pèlerins emprunte.

Bercianos est également une toute petite bourgade avec pour activité  essentielle les trois auberges pour pèlerins. Comme Sarah avait des difficultés pour marcher et qu’Hugo, resté avec elle, avait peur de ne pas avoir de place, j’ai réservé une chambre pour nous trois, du coup cela ne me coûte que 20€. Demain Sarah va prendre le bus et Hugo fera les 47km qui nous séparent de Léon pour la rejoindre, afin qu’elle bénéficie de deux jours de repos. Dans le village, une église moderne avec un clocher qui ressemble à la tour de séchage des tuyaux d’incendie des pompiers, ne fait pas l’unanimité. Argument suprême des opposants : cette tour n’a même pas été colonisée par les cigognes.

Parcouru : 27km (1189km)

Le 19.06.2013 Départ à 7H45 de Bercianos del Réal Camino pour Mansillas de las Mulas

Quelques gouttes de pluie au départ, mais elle cesse vite et ne revient plus de la journée. Le chemin, qui longe la route est totalement monotone, sur de très grandes longueurs. Cette partie de la Meseta est vraiment plate. Mansillas de las Mulas présente surtout l’intérêt de nous rapprocher de Léon. J’apprends qu’Hugo a réussi à faire ses 47kms à la moyenne de 6kmh. Bravo.

 Je retrouve les Sud-Africains qui sont passés par la variante et y auraient séjourné dans un hôtel très luxueux, ils repartent demain. Elle me fait beaucoup rire, car comme son mari est très fier de sa belle compagne il lui demande toujours de venir prendre la pose lorsqu’il prend une photo. Or il fait beaucoup de photos et elle, en pèlerine avisée, n’a pris que deux teeshirts : un rouge et un bleu. Et la coquette se dit que, lorsqu’elle leurs montrera les photos, ses amies vont s’en rendre compte. De leur côté les Irlandais prévoient, pour manager le cœur du papa de s’arrêter un jour à Léon. Et de fait je ne les reverrai plus.

Aujourd’hui plusieurs machines d’arrosage comparables à celle du Sud-ouest.

Parcouru : 25km (1214km)

Je suis arrivé à 13H30, c’est-à-dire que je marche vite, je suis en pleine forme. Premier bénéfice du chemin ! Il me reste deux semaines de marche.

Le 20.06.2013 Départ à 6H50 de Mansillas de las Mulas pour Léon

Je pars le ventre vide, je ne trouve un bar ouvert qu’après une bonne heure de marche. Mais le ciel est dégagé, il fait même légèrement froid.

Une marche de 19km sans aucun intérêt, au bord d’une route très passante la plupart du temps.

J’arrive à Léon après avoir franchi plusieurs passerelles au-dessus des voies rapides, d’où l’on a une bonne vue sur la ville. A l’entrée de la ville, un bel accueil par la Guardia Civil. Trois ou quatre policiers sont postés près d’un pont. Ils remettent à chaque pèlerin un plan de la ville puis prennent le temps d’indiquer où trouver son hébergement et les principaux points d’intérêt. Bravo.

Léon est à nouveau une très belle ville, agréable avec sa cathédrale Santa Maria, de nombreux beaux bâtiments anciens dont une très grande Abbaye convertie en un hôtel de luxe Parador. Par contre le palais de Gaudi, est décevant.

En me promenant je retrouve André qui s’était séparé de ses compagnons Bretons et depuis, comme il n’a pas été rejoint par eux, a décidé de poursuivre seul. En attendant il va voir des joueurs de boules au bord du fleuve près du Parador.

Je déjeune avec Hugo et Sarah. Cette dernière sort d’une séance avec un kiné et Hugo enthousiasmé par les explications du praticien s’improvise conseil pour les pèlerins estropiés que nous rencontrons. Je suis hébergé dans la magnifique hospédéria du Monastère de Santa Maria de Carajal Plaza Santa Maria del Camino. Où pour 45€ j’ai une chambre digne d’un hôtel 5 étoiles. Pour compenser, le soir je dine avec les pèlerins qui sont dans la partie auberge. J’y retrouve en particulier Philippe ou encore une jeune Québécoise qui, sur mon conseil a quitté un logement partagé assez glauque où elle craint d’être piégée pour s’installer dans cette auberge. Elle est partie de Burgos et son fiancé très sportif, parti lui de Saint Jean Pied de Port, fait des étapes doubles pour la rejoindre avant Santiago.

Je discute souvent avec les pèlerins de mon choix de n’aller que dans des chambres individuelles et de leurs conditions de couchage dans les dortoirs. Etonnamment la plupart ne sont pas étonnés de l’entassement pratiqué en lits superposés avec un passage étroit entre chaque lit. Avec des douches et des toilettes en nombre restreint. Beaucoup sont persuadés que ces conditions précaires font partie du chemin et que le pèlerin doit s’y soumettre. Il y a un côté démarche expiatoire dans leur vision qui me choque. Pour eux c’est moi qui ne fais pas assez preuve d’abnégation. Ils ne semblent pas conscients que cette situation, n’est que le résultat de l’histoire récente du chemin et d’un dévoiement du système du donativo, de moins en moins pratiqué, au profit d’un judicieux calcul de rentabilité de la part de ceux qui exploitent le filon. Même, s’ils ne paient que de 5à 15€ pour un lit, l’empilement est tel que la rentabilité au m2 est supérieure à celle d’un hôtel de 2 ou 3 étoiles. Que ce type d’hébergement existe pour des jeunes ou des gens avec peu de ressources, cela me parait nécessaire. Ce qui me surprend, c’est que des pèlerins aisés semblent aussi y trouver leur compte.

Parcouru : 19km (1233km)

Le 21.06.2013 Départ à 7H00 de Léon pour Villedangos del Paramo

Le ciel est dégagé, je m’arrête dans Léon pour un petit déjeuner où je consomme une des énormes viennoiseries que l’on trouve en Espagne. Puis je poursuis le chemin en restant sur le Camino Frances contrairement aux préconisations de mon Guide. Il faut reconnaitre que cette partie du chemin est sans intérêt, tellement elle passe par une zone industrielle assez laide et un enchevêtrement de routes. Mais la variante, plus belle, rajoute 4kms en sus. Fidèle à l’esprit pèlerin qui va tout droit je ne me laisse pas séduire par l’esprit GR qui fait des tours et des détours et étire les trajets.

Je découvre en arrivant à Villedangos del Paramo où je m’arrête, que la plupart des pèlerins avec qui je marche, ont poursuivi 5kms plus loin où il y a plusieurs auberges. N’ayant pas par mes guides d’adresse de pensions, ni d’hôtels je préfère rester là où j’ai pu réserver. D’ailleurs je réserve pour les deux prochains jours. C’est plus prudent, nous entrons dans le week-end et pour la première fois, les adresses données par le guide « Miam-Miam Dodo » pour Astorga me répondent toutes qu’elles n’ont plus de place.

En visitant ce village totalement désert je trouve pour une fois l’église ouverte car deux dames y installent des fleurs pour une cérémonie. Au-dessus de l’hôtel, une statue de Saint Jacques le Matamore en pleine action, plus vraie que nature. C’est un style conforme à celui de beaucoup de statues dans les églises espagnoles,  très réalistes avec beaucoup de sang et presque en taille réelle. Je suppose qu’elles étaient là pour marquer les esprits et inciter le bon peuple à la repentance et à la mortification.

A la pharmacie, je croise un pèlerin Français, venant du chemin d’Arles, qui est gêné pour marcher par un orteil de pied infecté. Je dine avec lui, Il m‘explique que dans certaines auberges il y a jusqu’à trois lits superposés. Il constate que seules les auberges, qui pratiquent encore le donativo, cherchent à entretenir « l’esprit du chemin ».

Il me reste environ 300km à parcourir, c’est-à-dire 20% du total. Au loin, j’ai vu, avec cette belle journée les monts Cantabrique. La dernière difficulté avant le redouté Cebreiro.

Parcouru : 22km (1255km)

Le 22.06.2013 Départ à 7H10 de Villedangos del Paramo pour Astorga

Il fait un très beau temps et c’est très bien car l’étape est longue : 28km. Dans le village où ont dormi mes amis, dommage, je découvre qu’il y avait plusieurs hébergements possibles pour moi, mais ils ne sont pas indiqués dans mes guides. Le principal intérêt de l’étape est la traversée du : ponte de Orbigo. Où un chevalier a défié et vaincu, pendant un mois tous les autres chevaliers alentours pour séduire sa belle. Avec André que je viens de retrouver, nous choisissons le chemin le plus direct et le plus ancien qui suit la nationale 120. Par ici il y a beaucoup de cultures de maïs et des panneaux solaires.

Astorga est une belle et ancienne ville. Dans la pension Garcia, où je suis hébergé pour 20€, ambiance étrange. A mon arrivée je rentre par le restaurant, là sont attablés quatre vieillards que l’on croirait sortis d’un film de Fellini. Ils mangent en silence, excepté l’un d’entre eux qui de temps à autre, hurle pour s’adresser à son voisin qui semble ne rien comprendre. Il y aura entre eux une violente altercation au début de la nuit, car ce dernier, manifestement sourd comme un pot, a mis le son de sa télé au maximum, ce que l’autre n’a pas supporté. La patronne viendra les menacer de les virer tous les deux de sa pension. Il n’y aura plus un seul bruit de toute la nuit et pourtant ma chambre donne sur la rue. Cette chambre au mobilier vieillot est propre et il y a une télé récente. Seul petit inconvénient, la salle de bain et les toilettes communes sont assez loin, mais pour le prix ce n’est pas un problème. La nourriture est excellente et plusieurs de ces vieillards, qui doivent habiter ailleurs, repartent avec,  dans des boites Tupperware, leur repas du soir. Le repas complet, ne coûte que 9€.

J’apprécie beaucoup Astorga, une ville majoritairement piétonnière, où comme dans la plupart des villes que le chemin traverse règne une douceur de vivre. Les villes espagnoles, excepté en milieu d’après-midi au moment de la sieste, sont vivantes. Les espagnols passent beaucoup de temps dehors, entre amis, assis à des terrasses des bancs où simplement là où c’est possible. Sur la plazza Major, une chorale répète dans l’après-midi et se produit en soirée. Cela profite aux nombreux cafés qui y ont installés leur terrasse. L’estrade est juste devant la mairie qui possède une belle horloge avec des personnages qui s’animent lorsqu’elle sonne les heures. Plus loin Gaudi a construit un massif  Palacio del Obispo dont l’intérieur serait intéressant mais que je n’aurai pas le courage de visiter. La cathédrale, encore plus imposante, est juste à côté. Sur sa façade principale, parmi les statues, se trouve celle de Saint Jacques pèlerin. Le soir je vais dîner au restaurant Gaudi en face de son palais. Hugo le midi, attiré par une réduction pour les pèlerins,  avait trouvé que c’était un très bon restaurant. Mais il me semble qu’il soit influencé par le cadre luxueux. La nourriture est effectivement bonne, mais elle reste un peu plus chère à 15€ qu’ailleurs malgré la réduction.

Parcouru : 28km (1283km)

J’ai dépassé les 500km en Espagne, par contre aujourd’hui pour la première fois j’ai ressenti une courbature au mollet gauche qui m’a gêné, espérons que cela ne s’aggravera pas.

Le 23.06.2013 Départ à 7H00 d’Astorga pour Rabanal del Camino

Encore une très belle journée. Le chemin est également très agréable. En partant dans la ville encore endormie, je croise un groupe de jeunes éméchés qui ont manifestement largement profité de la nuit. Maintenant nous trouvons des bars ouverts et bien répartis tous les 5 à 7 kms. Le paysage a complétement changé. Il n’y a plus de cultures, la terre est rouge, aride, couverte de genêts en fleurs et de petits chênes rabougris. Dont les glands, selon Aurora, qui servent à nourrir les porcs, donnent le goût particulier du jambon local. Le chemin passe progressivement dans des petites collines et au loin, les monts de Léon, ont encore des plaques de neige.

J’arrive à 12h à Rabanal del Camino, je viens d’effectuer ma huitième semaine de marche, il me reste 10 jours et 255km à faire. Pour moi, mon alerte au mollet est terminée, tout va bien. Lutgarde par contre n’a pas le moral car elle a mal aux genoux et elle envisage de réduire ses étapes. Heureusement arrivent trois Québécoises que nous côtoyons depuis plusieurs jours. Elles sont infirmières et elles lui donnent des antiinflammatoires qui feront des miracles.

Mon hôtel El Refugio est très confortable, plusieurs de mes amis sont dans l’auberge, tenue par des anglais, qui fait face à la petite église. Le soir, cette dernière sera remplie de pèlerins pour les vêpres.

Parcouru : 20km (1303km)

Le 24.06.2013 Départ à 7H15 de Rabanal del Camino pour Molinaseca

Le départ s’effectue dans une brume épaisse. Puis au fur et à mesure que le chemin s’élève, après une heure de marche nous nous retrouvons au-dessus des nuages avec un ciel totalement dégagé. C’est magnifique. Nous arrivons à la célèbre Cruz de Ferro, considérée comme l’un des hauts lieux du chemin. La plupart des pèlerins y déposent une petite pierre où un objet qu’ils ont apporté spécialement de chez eux. Au fil des années c’est devenu un véritable monticule où l’on se bouscule pour se faire photographier au pied de la croix. Plus loin, le point le plus haut du chemin (de 1515m) se distingue par l’absence de tout dispositif pour se reposer et de toute indication. Probablement parce qu’il est situé aux abords d’un terrain militaire ??

La descente sur un chemin caillouteux en ardoises, n’en finit plus et il est des plus désagréables. D’ailleurs les espagnols le nomment fort justement « rompe piernas » c’est à dire « casse pattes ».

A 14H j’atteins Molinaseca après une marche dans une très belle nature, parfumée par des hortensias sauvages qui commencent leur floraison. Une très belle journée.

Mon hôtel El Palacio se trouve à l’entrée de Molinaseca, juste après un pont ancien, qui passe au-dessus d’une rivière, dans laquelle les gens du coin se baignent. Le chemin traverse la bourgade, dans la rue principale qui est, vestige du passé, très étroite. Les auberges sont loin, à l’autre bout de la petite ville, encore une fois je ferai beaucoup de chemin pour retrouver mes amis qui y sont hébergés. Je rejoins d’abord, dans un café, Robert, Alma, Donna, Hugo, Sarah, Aurora et Tony un espagnol. Il se débrouille pour réserver pour leur petit groupe, plusieurs jours à l’avance ce qui leur évite le stress du manque de place. Puis nous dinons avec André et Lutgarde dans le restaurant de mon hôtel. Tous les deux en répartiront bien gais, bras dessus bras dessous, parce que pour finir notre repas le maître d’hôtel a été très généreux avec le digestif qu’il leurs a offert.

Parcouru : 26km (1329km)

J’entame ma 9ème semaine et il me reste 9 jours de marche.

Le 25.06.2013 Départ à 7H30 de Molinaseca pour Cacabellos

Je prends mon petit-déjeuner avec deux français dans leur pension où l’on m’accepte alors que c’est normalement fermé à cette heure matinale. L’un des pèlerins vient de Bourgogne, il a fait le chemin de Vézelay, son compagnon de marche l’a rejoint à Aire sur Adour. Une journée totalement ensoleillée pour une étape sans grand intérêt surtout après Ponferrada une ville avec un château templier très bien restauré. Dans laquelle je ne verrai pas de pont en fer alors que c’est à cet endroit qu’au 11ème siècle qu’aurait été construit le premier pont en fer de l’histoire.

J’arrive à 12H30. Je déjeune avec Hugo, Sarah et André. Comme il est encore tôt, Ils décident de continuer et nous convenons de nous retrouver demain au pied du Cebreiro.

Les pèlerins qui s’arrêtent seront logés à deux dans une sorte de placard, de petites cellules sans fenêtre qui entourent une église. Le pèlerin en auberge fait vraiment pénitence par son logement.

Ma chambre confortable et en plein centre de la bourgade me coûte 25€.

Depuis plusieurs jours je me demandais pourquoi je retrouvais aux étapes plusieurs pèlerins à vélo, qui, ainsi mécanisés, auraient dû être beaucoup plus loin. J’ai eu la clé de l’énigme en entendant ces cyclistes demander à l’aubergiste à quelle heure ils pourraient récupérer leurs vélos qu’il était en train d’enfermer à clef dans un local spécial. Il leur demanda à quelle heure ils voulaient partir ? La réponse fut 10H ! En fait ils restaient au lit très tard et faisaient les mêmes étapes que les marcheurs.

Parcouru : 28km (1357km)

Le 26.06.2013 Départ à 6H20 de Cacabellos pour Herrerias de Valcarce

Je prends mon petit déjeuner à Reitos à 2kms de Cacabellos puis en route pour une étape entre les vignes jusqu’à Villa Franca del Bierzo où je retrouve Aurora. A nouveau une ville chargée d’histoire, avec plusieurs bâtiments très anciens dont, un château fort construit par les Francs. Puis le chemin, bien ombragé, suit la rivière Valcarce dans sa très belle vallée au bord d’une route en lacets peu fréquentée. A de très nombreux endroits il est surplombé par les viaducs d’une autoroute. Ces ouvrages d’art situés plus de 100m en hauteur sont impressionnants, ils doivent être solides mais avec la distance ils paraissent bien fragiles. Après 28km d’une marche effectuée en 7 heures pauses comprises, je suis au pied du Cébreiro. Mon heure matinale de départ s’avère un bon choix puisque j’arrive à Las Herrerias à 13H30 en évitant les plus grosses chaleurs. Aujourd’hui ma chambre dans le Centro de Turismo Rural Paraiso del Bierzo coûte 38€, elle est spacieuse et ses deux fenêtres donnent sur un beau paysage de montagne à vaches.

Le soir je dine avec Lutgarde à la petite auberge municipale où l’hospitalier sert un repas végétarien. Un peu plus tôt, Hugo a fait une crise parce que l’accueillant lui demandait de tout désinfecter ses bagages pour éviter les punaises de lit. Et, bien que Sarah soit déjà épuisée, parce qu’ils étaient passés par une variante avec un très fort dénivelé, ils sont partis pour La Faba qui est 300m d’altitude au-dessus.

Parcouru 28km (1385km)

Demain j’entame par la montée du Cebreiro la dernière semaine de marche vers Compostelle.

Le 27.06.2013 Départ à 6H15 de Las Herrerias pour Biduedo

Après un petit déjeuner pris avec Lutgarde, là où j’ai diné la veille, nous entamons vers 6H30 la montée. Cela me prend 2 heures, en partie par la route et en grande partie par le chemin. Avec une halte à La Faba, je trouve que cette ascension redoutée est finalement plus facile que celle de Roncevaux. Arrivé au sommet, je fais une courte escale dans le village du Cebreiro.  Je trouve un café un peu à l’écart, j’ai fui le tout premier qui était envahi par les pèlerins et surtout les touristes venus par la route. Le chemin continue sur le sommet pour une petite heure de marche, au milieu de forêts de pins, dans un paysage magnifique. En route, près d’un village je retrouve André toujours jovial. Il a toujours la même démarche étrange avec ses bâtons. Il les manie de telle façon qu’il donne l’impression d’être une marionnette du théâtre d’ombre indonésien. Je le perds de vue lorsque je décide de passer par la route pour éviter une descente puis une montée abrupte du chemin. Enfin j’atteins le point le plus élevé Alto de Poyo. La pente pour la descente est très faible jusqu’à Fonfria où je déjeune puis Biduedo où je m’arrête à 13H30. Le paysage, de moyenne montagne, tout au long du chemin est vert et exaltant pour un pèlerin qui vient de franchir la dernière difficulté. Par contre l’atmosphère des villages qui jalonnent le chemin est parfumée par les élevages. Biduedo est minuscule, à part quelques fermes, il n’y a que deux petits hôtels qui se disputent les quelques pèlerins qui comme moi, décident d’y faire escale. Lutgard, semble-t-il encore sous l’effet des antiinflammatoires des trois infirmières, décide de poursuivre jusqu’à Triacastella. C’est-à-dire qu’elle aura fait 30km avec un dénivelé de 800m. Efficaces les médicaments canadiens ! Hugo et Sarah sont également dans cette ville. Je pense les retrouver tous demain à Sarria. Encore que je pressente qu’Hugo, fidèle à son habitude, va vouloir faire une étape plus longue.

Alors qu’à 18H, je décide d’aller au bar boire un verre, j’ai la surprise de retrouver tous les pèlerins (américains, japonais, anglais, hollandais)  présents dans l’hôtel, déjà en train de dîner.  A 19H je souperai seul, le pèlerin est matinal et se couche tôt.

Je fais l’un des deux pires repas depuis que je suis en Espagne. J’ai demandé en entrée des calamars frits. Ils me sont servis tellement cuits, qu’ils sont surtout gras et desséchés. Ensuite le filet de poisson qui m’est apporté a cuit dans une friture hyper salée. Et comme j’ai omis de demander une salade, il m’est apporté une assiette pleine de frites auxquelles je n’ai pas touché. Pour compenser je demande un yaourt en dessert. Ils m’apportent (c’est la deuxième fois en Espagne) un yaourt pasteurisé avec une date limite à plus de 5 mois. Ces produits industriels de basse qualité ont un goût totalement artificiel assez immonde. Et dire que demain je vais partir, sans pouvoir prendre de petit déjeuner et qu’il ne me reste aucun fruit.

Aujourd’hui c’était mon 60ème jour de marche. Ce matin je suis entré en Galice et la borne dans Biduedo indique Compostelle : 136,5km.

Parcouru : 23km (1408km)

Le 28.06.2013 Départ à 6H15 de Biduedo pour Sarria

Je pars dans la pénombre, entre chien et loup, en direction de Triacastella. La descente est assez abrupte et désagréable. Il n’y a aucun arrêt possible pendant 2h avant la ville, un trajet à oublier. Puis je décide, pour une fois en accord avec mon guide, de prendre le chemin le plus direct pour Sarria. Il n’y a pas d’arrêt  pendant 10km, par contre cette partie du chemin, avec un peu de dénivelé, est très belle. Je suis pratiquement seul, à l’exception de quelques pèlerins principalement espagnols, que je croise ou qui me doublent. Ceux que je croise d’ailleurs depuis  quelques jours, sont sur le chemin du retour. Je dépasse une grand-mère, une habituée du chemin, qui cette fois le fait avec son petit-fils de 10 ans.  Je passe près d’une auberge « écologique », mais je ne prends pas le temps de m’arrêter pour demander ce que cela veut dire. Un pèlerin qui y a séjourné se plaindra plus tard du manque d’hygiène. Un peu plus loin, je passe également près d’un ermitage où il me semble n’y avoir personne. Aurore qui  s’y arrêtera me racontera qu’elle a eu droit à un émouvant petit récital de chants accompagnés à la guitare. A l’entrée de Sarria je retrouve les trois infirmières qui me disent que l’abbaye de Samos est très belle et que c’est dommage que je ne sois pas passé par là. Plus tard Lutgarde enfonce le clou en m’expliquant que le chemin est très agréable et sans aucun dénivelé. Je maudis mon guide, d’autant plus que j’ai maintenant la confirmation que les Guides Français pour la partie espagnole sont de médiocre qualité par rapport aux guides Anglo-Saxons. Dorénavant je recommanderai à un futur pèlerin de se procurer les guides de John Brialey : Camino de Santiago, Saint Jean, Roncevalles, Santiago, très complet et bien documenté, ou le : Camino Guide, Maps, Mapas, Cartes. Un guide qui, comme son nom l’indique, réussit la performance de présenter pour un poids minime, d’excellentes cartes détaillées avec un commentaire en Anglais, en Espagnol et en Français. www.caminoguides.com

La ville de Sarria est toute en hauteur installée sur une colline, avec une église, un château délabré, un centre culturel dans ce qui a dû être une prison et un monastère avec un beau cloitre. En soirée j’assiste à une messe qui rassemble de nombreux pèlerins qui marchent de concert avec moi. Aujourd’hui sur les conseils des réceptionnistes de l’hôtel je fais deux bons repas. Le midi dans le restaurant d’une piscine où il n’y a que des habitués espagnols. Et le soir, je dîne au bord de la rivière dans un restaurant, où de nombreux pèlerins français se regroupent par hasard. Il y a même deux touristes français, avec une poussette pour leur caniche, le ridicule total.

Parcouru : 26km (1434km)

Demain je vais faire une étape de plus de 30km pour rattraper Hugo et Sarah qui, comme je le pressentais, sont allés plus loin. Puis il ne me restera que des étapes d’environ 20km. Dans Sarria j’ai vu une borne qui indique 111km pour Compostelle.

Le 29.06.2013 Départ à 6H30 de Sarria pour Gonzar

Mon hôtel, OCA est le premier qui me sert le petit déjeuner à partir de 6H et en buffet. Bravo à cette chaine hôtelière avec le prix de la chambre à 35€ et le petit déjeuner à 5€ c’est un très bon rapport qualité/prix. A la sortie de Sarria, je rencontre Lutgard, puis Robert, Alma et Dona, mais je ne les attends pas car, pour rejoindre Hugo et Sarah je dois faire plus de 30km. Le chemin est toujours très agréable avec une grande différence par rapport aux jours précédents. Maintenant je suis entouré de pèlerins espagnols de tous âges qui partent de Sarria pour faire les 100km indispensables pour obtenir la Compostella. Sur les bords du chemin, je ne vois plus les coquelicots, ni les bleuets mais des bruyères et des genêts.  Dans cette région d’élevage, je croise souvent des troupeaux principalement des vaches. Le chemin est bordé de très vieux chênes. Dans tous les jardins il y a de magnifiques rosiers et souvent des lys. Je passe en bas de l’escalier qui mène à Portomarin, un village construit pour remplacer celui qui a été englouti lors de la construction d’un barrage hydraulique. Mais je ne m’arrête pas, même pour essayer de voir dans le lac artificiel les vestiges de l’ancienne cité. Sur le pont que j’emprunte pour continuer le chemin sur l’autre rive, je croise un pèlerin probablement Belge avec un âne qui revient de Saint jacques après avoir fait le chemin de la Plata qui part de Séville. Il fait son retour par le Camino Frances. Les 8 derniers kilomètres sont assez durs, même s’il y a des arbres, il y a peu d’ombre, il fait très chaud. Et contrairement à ce que j’espérais, je n’ai pas trouvé de bar pour me rafraîchir. J’arrive à 13H30 content d’avoir dépassé la borne des 100km et qu’il ne me reste plus que 82km à parcourir.

Le soir repas avec André, Hugo et Sarah. Je goûte le Pulpo à la Gallega sans être vraiment séduit. André, plus avisé, se fait servir du bœuf. Et surprise, la jeune propriétaire lui apporte une magnifique côte de bœuf grillée avec une cuisson saignante parfaite. C’est exceptionnel depuis que nous sommes en Espagne. Comme nous la félicitons, elle nous apprend, qu’avec son mari ils sont d’origine roumaine.

Parcouru : 30,5km (1464km)

Le 30.06.2013 Départ à 6H15 de Gonzar pour Coto

Je pars avec Hugo et Sarah qui finalement marcheront avec moi jusqu’à Palas del Rei. Malgré plusieurs tentatives pour aller plus vite car ils doivent faire 7km de plus que moi. Mais en route ils doublent des pèlerins de connaissance et à chaque fois je finis par les rattraper. En particulier, nous retrouvons l’américaine qui marche avec sa fille et qui a dû être hospitalisée pour épuisement à Burgos. Depuis elle a suivi en bus sa fille qui a continué le chemin à pied. Et ce jour-là elle marche rapidement avec des béquilles, mais sans les sacs qu’elles font porter, elles ont décidé de faire 30km. Hugo se moque en disant que c’est un miracle de Saint jacques. Je photographie des greniers à maïs de conception ancienne, qui se trouvent en grand nombre au bord du chemin et constituent l’une des curiosités de cette région d’élevage qu’est la Galice. Par ici on trouve également des corneilles et des corbeaux dans les champs. Pour les éloigner les agriculteurs font des explosions avec des appareils à gaz semblables à ceux que j’ai vus dans le sud-ouest.

Je suis toujours sidéré de croiser les chiens les plus paisibles du chemin, en liberté et jamais agressifs avec les marcheurs. Les chiens français devraient en prendre exemple, car c’est un bonheur pour un pèlerin de passer dans les villages sans déclencher un concert hystérique d’aboiements. Les coquelicots ont totalement disparus par contre il y a beaucoup de gentiane mauve parmi les bruyères et les genêts. La journée sera totalement ensoleillée. Mais la marche est agréable, le chemin est bon et la plupart du temps très bien ombragé. Par contre le lieu où j’ai choisi de m’arrêter, exploite un peu son isolement, avec un menu del dia à 15€, alors que partout ailleurs il est entre 8 et 12€. La chambre reste d’un prix raisonnable à 35€, payable en carte bleue.

Parcouru : 25km (1489km)

Aujourd’hui cela fait exactement 9 semaines que je suis parti. Dans 3 jours je serai à Santiago, sans me mettre la pression comme d’autres pour arriver plus vite, avec des étapes d’environ 20km. Tout va très bien.

Le 1.07.2013 Départ à 7H10 de Coto à Arzua

Le temps est couvert mais il ne pleut pas ce qui est mieux pour marcher. Ces jours-ci je passe d’un chemin parfumé par les genêts en fleurs, à un chemin parsemé de bouses de vaches avec l’odeur associée. Heureusement je traverse aussi des forêts plantées d’eucalyptus et donc bien parfumées. Le chemin par ici s’effectue facilement et je comprends ceux qui sont tentés d’allonger les étapes pour arriver un jour plus tôt. Mais je préfère m’en tenir à des étapes courtes pour profiter plus du chemin qui reste.

Arzua où je m’arrête est une bourgade toute en longueur, sans grand intérêt. Même l’office de tourisme n’est pas encore ouvert, c’est probablement symptomatique, alors que nous sommes en juillet. J’y arrive à 11H30, c’est-à-dire que sur ce tronçon j’ai marché à 4 ½ KMH. Tout va bien.

Je suis censé être dans un hôtel Don Quichotte, mais ma chambre est en fait, par un étrange micmac, dans la pension attenante. Et contrairement aux indications du guide ils ne prennent que du liquide, pas de carte bancaire. Comme cet hôtel est excentré au début de la ville, je fais pas mal de chemin pour retrouver les autres pèlerins, quelque part cela m’occupe car il n’y a pas grand-chose à faire. Dans une Pulperia, je reprends du poulpe, à nouveau décevant, trop gras, trop pimenté et très caoutchouteux car trop cuit. Heureusement une troisième tentative les jours suivant sera la bonne, je réussirai enfin à manger un excellent Pulpo à la gallega.

Parcouru 19km (1508km)

Le 2.07.2013 Départ à 7H10 d’Arzua à Amenal

Le temps est à nouveau couvert mais il ne pleut pas non plus. Le chemin est toujours vallonné mais facile à parcourir. Il y a beaucoup de forêts d’eucalyptus. Je retrouve Robert, Alma et Dona. Puis je marche quelques temps avec Aurora. Ils s’arrêtent 3km avant moi et je suis content de mon choix, car lorsque j’arrive à mon hôtel à Amenal, il est encore très tôt 12H40. Et il ne me reste que 15km à parcourir. Ainsi demain je serai assez tôt à Santiago. Contrairement à la rumeur, les auberges, pensions et hôtels ne sont pas pleins. Il ne me semble pas indispensable de réserver. Mais sur le chemin, une dame distribue des prospectus pour une pension bien placée et très peu chère (30€) où je finis par réserver. Un agent dans un office de tourisme, situé dans un village au bord du chemin, pour aider ceux qui le souhaitent à trouver un hébergement, m’affirme que c’est une pension illégale. Il me dit que ce sont des voleurs et des prostituées. Que je vais me faire voler mon sac… Je suis impatient de voir cette pension. Et je pense que si elle est, comme je le pense, très correcte, je serai au zénith de la nocivité des offices de tourisme.

Sur le chemin j’ai croisé trois jeunes qui venaient de faire le Camino del Norte. Ils affirment qu’à  part deux ou trois étapes de 30km on y trouve partout des hébergements sur de plus courtes distances.

Le chemin est exigeant, les personnalités s’y révèlent. Lutgarde continue à s’enfermer dans une spirale d’échecs et s’isole de plus en plus dans une fervente pratique religieuse. Aurora dit ne rien avoir trouvé sur le plan spirituel. Hugo se lance des défis physiques et Sarah le suit fidèlement malgré des tendinites douloureuses.

J’ai pratiqué la méthode du pèlerin russe pour supporter l’épreuve physique que constitue un si long chemin. Je n’ai pas récité la prière du cœur ou prière de jésus, mais des « je vous salue Marie » en continu pour m’aider lors des passages difficiles et pour endurer les plus longues heures de marche solitaire. Ce qui est étonnant c’est que cette récitation en continu, permet de rester concentré sur la marche et de profiter du paysage. C’était très important car jusqu’au bout j’ai craint qu’une chute où un faux pas m’empêchent de poursuivre.  J’ai parfaitement conscience d’avoir bénéficié d’une protection constante sur le chemin. Et si sur le plan de la pratique religieuse, je n’ai bénéficié que de très peu d’occasions, sur le plan spirituel j’ai maintenant la certitude d’une présence divine à la portée de chacun d’entre nous pour enrichir la qualité de notre existence. J’ai la sensation que tout ce que j’ai fait, m’a été facilité. En permanence, j’ai eu le choix dans ce que je faisais, mais si cela était juste, j’étais soutenu.

Parcouru 28km (1536km)

Demain Santiago, c’est génial.

Le 3.07.2013 Départ à 6H30 d’Amenal à Saint Jacques de Compostelle

Le temps encore couvert mais sans pluie. Lorsque je pars de l’hôtel après avoir pris mon petit déjeuner, il fait encore nuit et pourtant de nombreux pèlerins sont déjà en route. Comme mon hôtel était dans le village et qu’il était presque vide, ceux que je croise sont partis et marchent depuis au moins une heure.

Le chemin est semblable à celui des jours précédents : vallonné avec une alternance de forêts d’eucalyptus et d’élevages pour le parfumer. Tous les 500 m des bornes indiquent la progression, c’est très pratique. Puis à Lavacolla, plus rien, car le chemin aurait été détourné avec l’agrandissement de l’aéroport. Etrangement les espagnols ne mettent pas en valeur Lavacolla, ni, un peu plus loin, Monte del Gozo. Ces deux lieux célèbres du chemin. Puisque dans Lavacolla coulait la rivière, où comme son nom l’indique avec humour les pèlerins faisaient une toilette complète avant de se présenter devant le tombeau de Saint Jacques. Et à Monte del Gozo c’était la course pour être le premier à voir les tours de la cathédrale. Il y a maintenant un énorme et assez moche monument à la gloire de la visite de Jean-Paul II. Par contre les arbres cachent la vue sur Santiago.

L’arrivée dans la ville est conforme à ce que l’on m’avait raconté, priorité aux voitures. Par contre il y a moins de boutiques pour touristes que ce que j’avais imaginé. Sur la place principale où j’arrive avec Lutgarde, que j’ai retrouvée à l’entrée de la ville, Hugo et Sarah nous accueillent avec une banderole confectionnée par leur soins : « Congratulations you’ve made it ! ». Les touristes grouillent et nous devons aller au plus vite dans la cathédrale pour être sûr d’avoir des places assises, car l’accès réservé aux  pèlerins est fermé pour cause de travaux. A l’issue de la messe des pèlerins, concélébrée par l’évêque et une dizaine de prêtres dont plusieurs accompagnent des groupes, nous avons droit au « Botafumeiro ». La cathédrale est encore plus rococo et surchargée de dorures que les églises précédentes. Il est perceptible que tout ce rituel est bien huilé, mais l’émotion de l’arrivée est néanmoins présente en moi et sur le visage des pèlerins que je connais.

Je reviendrai demain pour une visite plus approfondie de la cathédrale, car je viens de prendre la décision de ne pas aller jusqu’à Finisterra, trop de bus, environ 6H aller-retour, car je sais maintenant qu’il me faudra 24 heures en train pour rejoindre Paris.

Notre monde économique marche vraiment sur la tête, le billet de retour en train, la solution la moins polluante est la plus chère : 185€. L’avion le plus rapide mais le plus polluant ne coûte que 120€ et le bus est à 130€. C’est incompréhensible.

Arrivée à Santiago à 9H45

Parcouru : 16km (1552km)

Au total c’est un peu moins que ce que les guides indiquent, puisque je pensais avoir à faire 1700km. L’écart de distance vient probablement de mon choix systématique d’aller au plus direct. Et peut-être aussi parce que sur les étapes en Espagne, comme je marchais un peu plus vite, j’ai sous-évalué la distance effectivement parcourue en 63 jours.

Le soir nous faisons un repas tous ensemble : Robert, Alma, Donna, Sarah, Hugo, Lutgarde, Tony (et sa femme qui l’a rejoint à Santiago). Et un couple de marcheurs espagnols qu’Hugo connaissait. Il leur a gentiment proposé de se joindre à notre groupe alors que nous ne les avions pas rencontrés auparavant.

Hugo vient de vivre l’événement le plus marquant pour lui de tout le chemin. Ils sont rentrés avec Sarah pour être pris en photo pour un reportage sur le chemin dans le Parador qui est sur la place principale. Et là, énorme surprise, ils sont tombés sur Paolo Coehlo en promotion pour un film. Hugo est sidéré d’avoir pu discuter quelques minutes avec lui et d’avoir été pris en photo à ses côtés. C’est son jour de gloire !  D’autant plus que Paolo Coehlo est l’un de ses auteurs favoris qu’il a lu tous ses livres et qu’il lisait le dernier paru sur le chemin. A chacun ses idoles.

Par contre il est couvert de boutons car, juste avant l’arrivée à Santiago, il a fait une très forte réaction allergique à des piqûres d’insectes. Ironie du chemin, il est probable que ce sont des punaises de lits. Car d’autres pèlerins, en particulier André en sont également victimes. Aurora est repartie avec son fils et Lutgarde va poursuivre demain à pied jusqu’à Finisterra (en quatre étapes). Le repas, paëlla, poissons et coquillages est le plus onéreux depuis l’entrée en Espagne, mais c’est aussi l’un des meilleurs.

Le 4.07.2013 à Santiago

Le matin je prends un dernier petit déjeuner avec Hugo et Sarah qui partent pour Lisbonne.

J’ai bien fait de décider de rester à Santiago, j’aime cette ville, même si son ambiance est très minérale, avec ses nombreuses places pavées, ses escaliers en pierre, ses rues étroites également pavées au milieu de maisons et bâtiments anciens bien restaurés. Ce choix va me permettre de revoir, Michel et Xavier les bretons rencontrés à Ostabat où Michel avait chanté avec notre hôte basque. Cela me permet également de retourner à la cathédrale pour voir le Botafumeiro dans le meilleur sens pour apprécier l’amplitude de ses déplacements. J’en profite pour visiter la cathédrale et sacrifier à quelques rituels pèlerins, en particulier de monter derrière la statue de Saint Jacques et d’aller dans la crypte où se trouve son ossuaire recouvert d’argent. Etrangement dans deux chapelles contigües, se trouvent deux vierges noires.

Le midi je déjeune avec Robert, Alma et Dona qui viendront plus tard, avant de décoller pour le Canada, parcourir avec moi le centre de Paris. Je profite de l’après-midi pour expédier quelques cartes postales. Puis je dine avec Xavier, Michel, André revenu de Finisterra où il est allé en bus et deux autres pèlerins que j’ai déjà brièvement croisés sur le chemin.

Le 5.07.2013 Départ à 9H00 pour Paris

Je prends un copieux petit déjeuner à la Casa Felisa, juste à côté de ma pension. Et je promets à son sympathique propriétaire que si je reviens à Santiago j’irai séjourner dans sa pension. Puis en route pour la gare où un très long trajet en train m’attend.

De 10H00 à 17H30 pour rejoindre Burgos. Chance, je suis dans un siège avec une table et ma voisine, va sur presque tout le trajet aller dormir ailleurs. Puis une très longue escale dans le gare de Burgos dans laquelle je lis et je prends un repas en attendant le train couchette. Il arrive à 10H25 avec 25’ de retard. Mais chance à nouveau, dans le compartiment à quatre places où nous ne sommes que trois, j’ai le lit sans couchette au-dessus du mien. Je suis seul de mon côté. Vers 7 heures du matin je vais prendre dans le wagon-restaurant un copieux petit déjeuner. Puis revenu dans mon compartiment je discute avec un senior Espagnol et un jeune Argentin.

Finalement le train arrive à l’heure, à 9H30 à Paris-Austerlitz.

En guise de conclusion :

Si j’essaie de tirer, un bilan à chaud, de ce pèlerinage, la réussite est totale sur les quatre enjeux de départ, une démarche : physique, écologique, humaine et spirituelle.

Sur le plan physique :

 Le chemin m’a permis d’être au mieux de ma forme physique. Excepté les problèmes aux pieds que j’ai résolus en changeant de chaussures, je n’ai eu aucun souci. Pour quelqu’un plutôt hypocondriaque comme moi c’est remarquable. Pour les chaussures ce fut une grande surprise de constater qu’il m’en fallait avec deux tailles au-dessus de ma pointure habituelle. Pourtant j’avais déjà depuis dix ans beaucoup marché sur les chemins de Saint Jacques autour de Paris, mais moins longtemps et avec un sac généralement moins lourd.  J’ai maigri et je me sens bien dans mon corps. J’ai la certitude que cet état est dû à un excellent choix dans la manière de faire le chemin. J’ai rencontré de nombreux pèlerins blessés, ils le doivent à trois erreurs principales :

Un sac trop chargé, des distances trop importantes et un manque de repos.

La peur de manquer, de vêtements, de nourriture, d’eau… nous pousse à prendre un sac trop lourd. Le chemin est réalisable avec très peu de vêtements. Deux séries de sous-vêtements, trois paires de chaussettes doubles, une polaire, deux chemises, deux pantalons et un vêtement de pluie. Et ceci sans risque de sentir le putois, car à toutes les étapes il est possible de laver ses vêtements. Et il existe des vêtements faits dans des matières qui sèchent rapidement, qui permettent d’avoir toujours du linge sec dans son sac. Pour la nourriture il y a toujours, sur de courtes distances, moyen d’en trouver sur le chemin. Il n’est pas nécessaire d’emmener beaucoup de provisions. Pour l’eau comme je pensais souffrir plus de la chaleur, j’avais pris une poche permettant de mettre jusqu’à 3 litres d’eau. Avec le temps qu’il a fait je n’y ai jamais mis plus de 2 litres et même à chaque étape je reversais près d’un litre dans l’évier en ayant suffisamment bu, car dans chaque café où je m’arrêtai je demandais en plus de la consommation que je commandais, un grand verre d’eau fraiche. J’apporterai néanmoins à seul bémol à mon choix radical de ne prendre que le strict nécessaire. En dehors des guides pour m’orienter, je n’ai emporté aucun livre. Et comme j’adore lire, cela m’a manqué.

Les distances trop longues sont un véritable piège. Comme après quelques jours de marche, le pèlerin se trouve bien en forme, il a tendance à allonger les étapes. Et inéluctablement les tendinites, les ampoules, les blessures… apparaissent. J’ai fait plus de 1500km sans nécessité de prendre un jour de repos, car j’ai délibérément limité les distances. A trois exceptions près, j’ai fait des étapes comprises entre 18 et 28kms avec une moyenne de 23km par jour. Alors que je sais que je peux faire des étapes de 36 kms voire plus, mais je sais aussi que dans ce cas, avec l’accumulation des journées de marche, immanquablement mon corps me le fera payer cash. A l’opposé, les étapes relativement courtes permettent à l’arrivée de pratiquer les rituels quotidiens du pèlerin : La douche, la lessive, le tampon sur la crédenciale, la sieste, quelques achats de nourriture. Et de disposer de beaucoup de temps encore pour visiter les lieux intéressants.

Le manque de repos m’a été épargné par mon choix d’hébergement.

Lorsqu’un pèlerin va systématiquement dans les auberges « pas chères ». Il le paie, en fait d’une autre façon, par un manque de sommeil. Ses nuits sont perturbées par les ronfleurs, par celui qui est dans la couchette du dessus ou du dessous, par les hyper-matinaux…etc. Et lorsque l’on dort mal, sur le chemin la concentration est moindre et le faux mouvement proche. Et ceci de façon répétée avec les distances parcourues finit par  provoquer des blessures.

Une démarche écologique :

J’ai vécu et j’en suis fier pendant deux mois et demi avec un minimum d’objets et une grande sobriété énergétique, au milieu de la nature. Dans des conditions, qui je le crois préfigurent bien, avec la quantité de pluie que j’ai reçue au mois de mai, des effets néfastes, le dérèglement climatique en cours. Je n’ai eu recours qu’à deux occasions et pour des raisons indépendantes de ma volonté, à une voiture. Avant Roncevaux, car l’accès au col par le sentier était interdit à  causes des conditions météorologiques. Et  à Hornillos del Camino, où la seule pension se trouvait à 7 km du chemin. Et je n’utiliserai que le train pour les trajets d’aller et de retour. A mon grand regret seule une minorité des hébergements où je me suis arrêté est impliquée dans une démarche de préservation des ressources naturelles : énergie, eau…De même, c’est dommage, mais  la plupart des repas  qui me seront proposés ne seront ni bios ni locaux. Par contre, mon engagement pour la préservation des ressources halieutiques m’a rattrapé à la sortie de la cathédrale de Santiago. Moi qui ai tout fait pour manger un bon plat de poulpe, je me suis  trouvé en face d’une manifestation de pêcheurs galiciens qui protestaient contre les nouveaux quotas fixés par Bruxelles pour limiter la pêche au poulpe. Pourtant, par ici on ne compte plus les restaurants qui proposent du poulpe et j’ignorais qu’il y avait un problème sur cette espèce.

Une démarche humaine :

J’ai beaucoup apprécié les villes espagnoles, plus ou moins vertes ou minérales, mais dont le riche cœur historique est bien préservé du règne du « tout automobile » par de vastes espaces piétonniers. Où les espagnols semblent prendre le temps de vivre au milieu de ce beau patrimoine.

La partie française et la partie espagnole du chemin sont très différentes sur le plan humain. En France la richesse provient du contact avec les propriétaires des chambres d’hôtes qui mettent un point d’honneur à offrir un accueil personnalisé. En Espagne le contact avec les hébergeurs est limité, par contre le flux important de pèlerins crée une fantastique opportunité de contacts avec des personnes venant des tous les pays. J’ai pu parler à longueur de journée, l’espagnol et l’anglais. J’ai adoré cette « mondialisation du chemin », J’aime tellement cela, qu’en plagiant le titre d’un livre de Nicolas Bouvier,  je sais qu’: « Il me faudra repartir »

Par contre sur le plan sexuel, ce fut l’abstinence la plus totale. Etonnamment, cette absence n’a jamais été problématique. Je n’ai jamais ressenti de pulsions sexuelles impératives à assouvir. J’ai eu parfois une forte attirance pour certaines des personnes que j’ai rencontrées.  Mais il semble que mon corps a tranquillement et de façon totalement inconsciente, géré cela par des rêves érotiques vites oubliés.

L’aspect affectif ne fut pas négligé, si je n’ai pas rencontré l’âme sœur, j’ai par contre fait beaucoup de belles rencontres dont je garderai longtemps je pense un excellent souvenir. Même si la probabilité de se revoir à nouveau reste faible.

Une démarche spirituelle :

Excepté à Saint Jacques, tout au long du chemin, j’ai été surpris du caractère confidentiel de la pratique religieuse. En de rares occasions, il a fallu que d’autres pèlerins, plus pratiquants que moi me préviennent pour que je puisse participer à une messe ou un office dont l’horaire me convenait. Mais, par exemple la plupart des bénédictions avaient lieu à partir de 21H30, à une heure ou généralement j’allais me coucher.

Je n’ai pas vécu le choc de l’éveil spirituel auquel j’aspire. Avec un sentiment océanique de pleine harmonie avec tous les éléments de l’univers. Cela fut plus subtil, j’ai, en permanence, eu conscience d’une présence bienveillante. La plupart des pèlerins l’attribuent à Saint Jacques, moi du fait de mon histoire personnelle, c’était plutôt la Vierge Marie. J’ai ressenti sur le chemin, une grande sérénité, alors que je suis d’un naturel angoissé, assez couard et souvent stressé. Je ne me suis jamais senti en danger ou en insécurité malgré mon fréquent isolement. Mieux, plusieurs évènements, sont comme par hasard, intervenus au moment opportun. Ainsi, dans les premières semaines, lorsque je commençais à être lassé de solitude, ont commencé mes premières rencontres avec d’autres pèlerins. Ou encore, la disparition soudaine d’une douleur récurrente sous la plante du pied droit au niveau du talon, qui me gênait depuis de nombreux mois. Ceci alors qu’elle me préoccupait car, depuis quelques jours elle semblait un peu plus aiguë et pouvait m’empêcher de continuer le chemin.

J’ai également pu apprécier la puissance de la répétition ininterrompue d’une prière en marchant. Etonnamment, le cerveau se charge des préoccupations du moment, douleurs, angoisses…qui s’atténuent et laissent tous les sens disponibles pour profiter de l’instant.

Maintenant, fort de tous ces acquis, la question reste entière :

Que faire désormais d’essentiel dans ma vie ?