Un film de Solveig Anspach, d’après une bande dessinée d’Etienne Davodeau
Par Saura Loir
C’est toujours réjouissant d’assister à l’éclosion d’un être libre et le personnage de Lulu nous offre largement cette opportunité. Mère de trois enfants dont une fille adolescente et épouse d’un tyranneau domestique mal dégrossi qui ne cesse de l’humilier, convaincue de surcroît de ne pas mériter mieux, Lulu est une femme qui ne s’appartient pas, qui a depuis longtemps appris à plier l’échine et s’est résignée à vivre une vie routinière et sans perspectives. Hésitante, godiche et mal fagotée, elle essaye maladroitement de convaincre un employeur potentiel de l’engager et se montre si peu sûre d’elle qu’on peine à imaginer la force et la détermination tranquilles avec lesquelles le lendemain, encouragée par des circonstances imprévues, elle décide soudain de retarder son retour à la maison et de s’accorder quelques jours de vadrouille solitaire face à la mer. Son mari aura beau tempêter et bloquer sa carte de banque, sa sœur l’appeler sans arrêt pour la traiter d’irresponsable, ses enfants la réclamer, pour une fois elle mettra sa capacité d’endurance au service de son propre désir. Elle respire, hume la mer, son regarde absorbe tout ce qui l’entoure avec l’émerveillement d’une enfant : le monde se révèle comme neuf quand on quitte ce qui nous maintient enfermé et qu’on est seul avec soi.
« Audaces fortuna juvat », la chance sourit aux audacieux. La chance sourit à Lulu qui, avec un entêtement plein de douceur, s’accorde enfin le droit d’écouter son désir et entame un mini road movie dont les étapes sont scandées par des rencontres qui tombent au bon moment, tendres, loufoques et chargées de sens, comme si chaque rencontre lui permettait de (re)mettre à jour des parties d’elle-même enfouies ou ignorées : la païenne, l’amoureuse, la voleuse, la grande sœur et, toujours, celle qui prend soin de l’autre. Chaque rencontre est comme une initiation au plaisir de s’ouvrir à l’inconnu en oubliant les codes de son milieu, une initiation au plaisir de se sentir vivante, sensuelle et proche de la nature, capable de recevoir autant que de donner, avec la plus grande simplicité.
Pourtant les codes ont la vie dure et vont chercher à la rattraper par l’intermédiaire de sa sœur, suivie par sa fille. Pas possible un scandale pareil, elle doit avoir perdu la tête, la voilà qui se baigne nue dans l’eau glacée et se fait réchauffer par l’amant d’un jour au passé douteux, ni jeune ni beau qui plus est, « Avec un gros ventre ! » commente sa fille écœurée. La sœur et la fille l’épient en cachette, abasourdies et finalement séduites – un rien envieuses même – par le comportement de cette femme nouvelle qui a osé l’impensable et semble si heureuse dans sa liberté fraîchement acquise….Heureuse et même pas honteuse !
Lulu est nue parce qu’elle est vraie, elle ne porte ni masque ni maquillage et son visage est le miroir fidèle de ce qu’elle vit à chaque instant ; elle ne calcule pas et réagit à l’instinct, comme elle le fait quand, affamée, elle arrache son sac à une vieille dame pour, penaude, la secourir aussitôt.
Ce film pourrait avoir tout pour plaire, l’optimisme, la tendresse, des personnages attachants servis par des acteurs excellents. Et pourtant. Tous les ingrédients y sont mais petit à petit je me suis sentie de plus en plus éloignée et même vaguement ennuyée. Quelque chose a manqué à l’alchimie nécessaire pour susciter l’adhésion et le contentement : des situations un peu tirées par les cheveux, des personnages secondaires trop caricaturaux et forcés (les deux frères de l’amoureux veillant sur lui tels des anges gardiens. N’est pas Albert Cohen et son Mangeclous qui veut………) ou convenus comme la vieille dame. Je n’y ai pas retrouvé l’allégresse et le charme ressentis en voyant d’autres films similaires, comme « La vieille dame indigne » de René Allio, « Pane, amore e tulipani » de Silvio Soldini et surtout, surtout, l’exquis « Quand la mer monte » de Yolande Moreau. Restent des jolies trouvailles de scénario, comme l’aboutissement de la rencontre avec la vieille dame, ou la chaleureuse présence de l’acteur belge Bouli Lanners et la très belle performance de la talentueuse Karine Viard, tellement juste et attachante dans un rôle totalement opposé à celui de la sœur incestueuse, puissante et sensuelle qu’elle joue dans « L’amour est un crime parfait » des frères Larrieux.
Morale de cette jolie fable ? Femmes soumises, réveillez-vous ! Osez ! La vie répond toujours à ceux qui la célèbrent. Chacune – et chacun – réagira selon son tempérament mais, qu’on y croie ou pas, qu’on apprécie le film ou pas, ça vous donnera peut-être l’envie de chanter…….
Saura Loir