Curieuse aventure que celle du Nouvel Obs, commencée en 1964 et qui se poursuit encore aujourd’hui. Aventure menée par deux hommes : Claude Perdriel et Jean Daniel.
Nous y portons une attention particulière au Sauvage, car nous y avons participé de 1971 à 1981. Le livre de Jacqueline Remy, minutieusement documenté et rédigé à la manière d’un roman policier, a malheureusement négligé le Sauvage. Dommage mais pas irréparable, on pourra se référer à notre histoire sur ce site même.
Certes nous n’étions pas au cœur du sujet de Jacqueline Remy.
Au delà de la chronologie événementielle, elle se livre à une analyse psychologique des acteurs. Perdriel, Daniel, ou Daniel, Perdriel ? Frères ennemis ou rivaux amis ? L’homme d’affaires, le gestionnaire face à face, ou côte à côte avec l’intellectuel, le politique. Leur compétition a entretenu la chronique et les rumeurs pendant toutes ces années. Perdriel est un entrepreneur au sens premier du terme, audacieux, imprévisible, quelquefois casse cou. Il a alimenté la caisse sans interruption, jusqu’à 2014. Il a mené l’hebdo jusqu’au premier rang des hebdomadaires français avec un tirage de 600.000 exemplaires. Daniel a donné à l’Obs sa personnalité, en se référant sans cesse à Camus. En en restant à Camus.
Libéral de gauche, mais à mon avis empêtré de manière obsessionnelle dans la problématique proche-moyenne-orientale, au point d’en avoir fait le centre du monde. Pas faux mais pas suffisant.
La planète tourne, le temps court, des monstres démographiques se réveillent, les ressources s’épuisent, des technologies révolutionnaires bouleversent le cours de l’Histoire, les changements climatiques menacent de devoir faire évacuer des milliards d’humains. Daniel n’y trouve qu’un intérêt secondaire. Je me rappelle l’avoir entendu me dire dans les années 70 : « L’écologie n’est pas un système fondateur ». Il ne s’est jamais intéressé au Sauvage, malgré l’avis de ses amis Bosquet/Gorz et Morin. A cet égard, Perdriel fut plus perspicace, qui permit que j’invente le Sauvage en 1972 et qui le soutint jusqu’en 1981.
Cependant Daniel m’a laissé libre d‘exprimer une parole écologique, sans aucune limitation de liberté. Qu’il en soit remercié.
Daniel sut réunir autour de lui des journalistes, des écrivains, des penseurs de grand talent. Le bonheur de plume était une condition sine qua non d’intégration dans l’équipe. On se reportera au livre de Jacqueline Remy pour retrouver cette troupe de mousquetaires, leurs coups d’éclat, leurs querelles. Une bande de mégalomanes, de mythomanes, de délirants, quelques obscurs, jamais d’ennuyeux ou de plats, sauf exception.
Daniel a su mettre à sa botte des universitaires et des politiques, qui d’habitude méprisent la gens des journaleux. Ce n’est pas un mince mérite.
Les Français qui lisent, qui pensent, qui réfléchissent, ont lu l’Obs pendant cinquante ans. Ils l’ont adoré, l’ont haï, l’ont quitté, y sont revenus. Rarement on a vu une telle complicité entre un hebdo et ses lecteurs.
Jacqueline Remy, très jeune journaliste, à la sortie du CFJ en 1971, a passé un an au NO. Elle n’avait ni les yeux ni les oreilles dans sa poche. Plus tard elle a rencontré longuement les protagonistes pour leur faire raconter les pourquoi et les comment.
C’est un régal de la suivre de la rue d’Aboukir à la place de la Bourse.
Alain Hervé