Biodiversité

15 mars 2015,

BiodiversitéSur le site de Libération économie le 13 mars 2015, sous la signature de Coralie Schaub , un article intitulé

La biodiversité en voie de réapparition à l’Assemblée

Le premier projet de loi sur le sujet depuis 1976, présenté lundi, est encourageant. Tel un gastéropode rhumatisant, il a pris son temps. D’abord prévu pour l’automne 2013, le projet de loi sur la biodiversité arrive enfin lundi à l’Assemblée nationale, qui l’examinera en première lecture jusqu’au 19 mars. Le sujet étant négligé car peu compris – voire pas du tout -, il a eu un mal fou à se frayer un chemin dans le calendrier législatif. Pourtant, il est majeur. Au moins autant que le climat, les deux étant d’ailleurs en partie liés.

Préserver la biodiversité, c’est préserver les humains

C’est simple, sans biodiversité, pas d’humanité. Quand on comprend qu’il ne s’agit pas de sauver les ours blancs, les pandas roux, tel papillon ou telle fleur au nom improbable, mais bien de garantir l’avenir de notre espèce, on a tout compris. Car, qu’on le veuille ou non, Homo – autoproclamé – sapiens fait partie de la nature. Nous en dépendons pour respirer, manger, boire, nous soigner, nous approvisionner en énergie et matières premières, protéger nos côtes, stocker le carbone et mille autres choses encore. Nous ne sommes que l’un des fils de ce tissu vivant, qui recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, champignons, bactéries, virus…), mais aussi toutes les interactions entre organismes vivants, comme entre ceux-ci et leur milieu. La biodiversité est un trésor inestimable. Or, que faisons-nous ? Nous la saccageons à un rythme ahurissant, inédit. «Nous coupons la branche sur laquelle nous sommes assis, nous détruisons les cadeaux que la nature nous offre, comme les marécages, les pollinisateurs ou les vers de terre qui assurent la fertilité des sols. C’est nous qui sommes dans le collimateur de cette destruction ! C’est immensément grave et il est grand temps qu’on s’en occupe», se désolait jeudi Hubert Reeves, président de l’association Humanité et Biodiversité, lors de la présentation du projet de loi par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal. La France, parmi les dix pays au monde abritant le plus d’espèces, surtout grâce à l’outre-mer, figure au sixième rang pour le nombre d’espèces menacées.

Ce que préconise la loi

«Cette [nouvelle] loi est fondamentale. Elle permet de ramener ces questions essentielles dans le débat social et politique», estime Gilles Bœuf, président du Muséum national d’histoire naturelle. «Seule une petite minorité d’élus a conscience de l’ampleur du massacre en cours»,soupire le député UMP Serge Grouard. Peut-être parce que cela implique de penser à long terme. Pour Royal, cette loi, la première sur le sujet depuis 1976, «a pour objectif de construire, valoriser et accélérer une nouvelle harmonie entre la nature et les humains». Car c’est «un nouveau modèle de société qui est en jeu». La loi se fonde sur «quelques idées fortes» : la biodiversité est une source d’innovation, un outil de lutte contre le changement climatique et un élément fondamental de notre patrimoine naturel. Outre des mesures de simplification administrative, elle prévoit de renforcer les sanctions contre le trafic illégal d’espèces (éléphants, rhinocéros…). Elle étend à l’animal sauvage le délit pour sévices, existant pour l’animal domestique. Pour éviter notamment la biopiraterie, la loi encadre l’exploitation des ressources génétiques naturelles : si une société commerciale exploite une molécule, elle fera bénéficier le territoire d’une partie des avantages. Le texte de 72 articles instaure le principe de «solidarité écologique» pour «prendre en compte dans toute décision publique ayant une incidence sur l’environnement, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés». Le principe «éviter, réduire, compenser» les impacts environnementaux y est aussi inscrit pour les grands projets d’aménagement. La loi est censée favoriser le maintien des haies et des mares. Et interdire le rejet en mer des eaux de ballast sans traitement. Mesure phare et principal outil : la création au 1er janvier 2016 de l’Agence nationale de la biodiversité (ANB), sur le modèle de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Elle regroupera quatre établissements existants, dont l’agence des aires marines protégées. Et disposera de «60 millions d’euros parmi les investissements d’avenir»,a promis Royal. Ils s’ajouteront aux 226 millions de crédits prévus.

Bien, mais peut mieux faire

Les ONG réclament plus de moyens pour l’ANB, pour les porter à 400 millions d’euros. Autre sujet d’inquiétude, y compris pour la rapporteure Geneviève Gaillard (PS), l’absence de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage dans la future agence. Les chasseurs ont dit «niet». Or, «c’est un acteur majeur pour la biodiversité terrestre», juge la députée. Royal a promis une convention pour que, «sur le terrain, les équipes travaillent en commun». Elle déposera deux amendements : l’un pour impliquer davantage les agences de l’eau, l’autre concernant un plan national en faveur des insectes pollinisateurs. A ce propos, les ONG ont appelé à interdire tous les insecticides néonicotinoïdes. La députée Europe Ecologie-les Verts Laurence Abeille aimerait que soit abordée la biodiversité en milieu urbain, «qui a un grand lien avec le climat» et plaide pour l’interdiction des delphinariums et de la chasse un jour par semaine. Pour Allain Bougrain-Dubourg, de la Ligue pour la protection des oiseaux, «cette loi n’est pas révolutionnaire, mais elle est indispensable. Il ne faut surtout pas y voir des contraintes supplémentaires, c’est au contraire une chance». A bon entendeur…

Coralie SCHAUB