Spécial Nicolas Hulot

17 octobre 2015,

couverture Hulotpar Michel Sourrouille (1).

Depuis 2002,  Nicolas Hulot nous annonce la catastrophe : « Le titre que nous avons choisi pour ce livre est amplement justifié : Combien de catastrophes avant d’agir ? C’est-à-dire avant que les politiques prennent leurs responsabilités et donnent à la politique de l’environnement la place qui doit lui revenir. Et avant que nous-mêmes, citoyens, électeurs et consommateurs, sortions de notre insouciance pour conjurer les périls qui sont déjà en la demeure et qui préparent immanquablement, à nous et à nos descendants, une forte dégradation de nos conditions de vie. (Seuil 2002, 14 euros) »

Avec son dernier opuscule, Osons, plaidoyer d’un homme libre (Les liens qui libèrent, octobre 2015, 96 pages pour 4,90 €), Nicolas Hulot en appelle encore à la responsabilité des politiques alors que les négociations internationales sur le climat patinent. Voici ci-dessous un comparatif de ses idées très “écologie politique” à partir de trois de ses livres.

1/5) Nicolas Hulot et la question politique

2009 Le syndrome du Titanic – 2En lisant les programmes 2006 pour la présidentielle 2007, je me suis aperçu que la société française aurait avec cela bien du mal à sortir de ses ornières. Avec le Comité de veille écologique, nous avons alors soumis le Pacte écologique à tous les candidats. Très vite les propos des candidats se sont infléchis. Au point qu’une proposition aussi forte que celle d’un vice-premier ministre chargé du développement durable n’a pas semblé aberrante. pour le deuxième tour des élections présidentielles, je n’ai pas pris position en faveur de Ségolène Royal ou de Nicolas Sarkozy. Ils proposaient à leurs électeurs le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et des déplacements sans s’interroger sur leur contenu. Or la mutation écologique est incompatible avec une telle approche, purement quantitative. L’ardente nécessité de préserver les ressources naturelles nous contraint à imaginer d’autres façons de produire, de consommer, de nous déplacer.

2013 Plus haut que mes rêves

Hormis François Mitterrand qui m’a complètement snobé, j’ai échangé avec tous les responsables politiques. La Charte écologique a été votée sous mon impulsion et j’ai travaillé avec Jacques Chirac la rédaction de son discours au Sommet de la Terre en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Un jour j’ai demandé à Sarkozy : « Est-ce que tu sais comment s’appelle la cause principale de tous les désordres environnementaux ? » Silence. « C’est le libéralisme », lui dis-je. Il tique, bien sûr.

2015 Osons, plaidoyer d’un homme libre

Chefs d’Etat, osez ! Osez admettre que les engagements actuellement sur la table des négociations ne sont pas suffisants pour limiter le changement climatique à 2 °C. Osez vous astreindre à des moyens financiers, des indicateurs de contrôle, des réglementations et à des feuilles de route précises qui vous engageront dès aujourd’hui. Nous, citoyennes et citoyens du monde, appelons les responsables politiques des pays les plus riches et les plus émetteurs de gaz à effet de serre à enfin relever le défi climatique. La force de l’accord de Paris tiendra d’abord dans les mesures que vous mettrez en œuvre. Nouvelles réglementations, prix du carbone, taxe sur les transactions financières, changement de modèle agricole… Ce qu’il faut faire est connu et ne dépend que de votre courage politique. Osons dire que tant que chaque Etat raisonnera à l’aune de ses intérêts nationaux, tant que chaque individu se projettera à travers le prisme de son seul bien-être égoïste, alors il n’y aura pas d’issue heureuse.

2/5) Nicolas Hulot et la question climatique

2009 Le syndrome du Titanic – 2

Nous ne pouvons qu’être effarés de notre propre aveuglement. Les hommes peuvent exprimer leurs inquiétudes sur la dégradation du climat d’un ton fort grave pour aussitôt les oublier, acheter une nouvelle voiture, mettre la climatisation ou prendre l’avion pour partir en vacances.

2013 Plus haut que mes rêves

Au moment où il faudrait anticiper la sortie des énergies fossiles, pour que la transition soit socialement la plus douce possible, nous sommes dans une sorte de frénésie pour aller exploiter toutes les ressources fossiles possibles et imaginables avec les techniques les plus dévastatrices. Il existe des forêts primaires où l’homme n’avait jamais posé le pied, et qui sont aujourd’hui complètement dévastées. En cinquante ans, la biomasse a été divisée par dix. Au lieu d’être raisonnables, c’est la fuite en avant, ce que les sociologues appellent la « tentation de la ruine ».

2015 Osons, plaidoyer d’un homme libre

Les sommets sur le climat se succèdent, les conférences sur l’état de la planète se multiplient, nous croulons sous l’avalanche de rapports plus alarmants les uns que les autres. Et l’on se rassure avec une multitude de déclarations d’intention et de bonnes résolutions. Si la prise de conscience progresse, sa traduction concrète est dérisoire face à l’accélération des phénomènes que nous sommes censés juguler. Nous sommes technologiquement époustouflants, culturellement affligeants. Nous assistons en spectateurs informés à la marche vers la catastrophe globale. Notre survie dépend d’une petite couche d’humus sous nos pieds et d’une infime pellicule délicate, l’atmosphère, au-dessus de nos têtes. L’une comme l’autre, nous les saccageons. Je veux crier que le réchauffement climatique n’est pas une simple crise que le temps effacera. Il est l’enjeu qui conditionne tous les enjeux de solidarité auxquels nous sommes attachés. Il affecte ou conditionne tout ce qui a de l’importance à nos yeux.

Elle frappe d’emblée les plus vulnérables

3/5) Nicolas Hulot et la question de la croissance

2009 Le syndrome du Titanic – 2

Lorsque j’écrivais en 2004 le premier opus du Syndrome du Titanic, je n’imaginais pas lui donner une suite si vite. Mais la crise boursière est venue rappeler aux hommes que les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel. A mes yeux comme à ceux de tous les écologistes, la question centrale qui se pose désormais est celle-ci : la croissance est-elle la solution ou le problème ? La réponse ne souffre guère de doute, nous nous heurtons aux limites de la planète. Un élève de CM1 peut comprendre que si notre appétit augmente alors que notre potager demeure à taille fixe, il ne peut y avoir de dénouement heureux. Et pourtant ! Tous les jours j’entends ou je lis l’affirmation que l’économie va repartir comme avant. Existe-t-il une alternative entre la décroissance subie et la décroissance conduite ? A défaut de la notion idéale qui reste à inventer, celle de croissance sélective doublée d’une décroissance choisie peut rester l’ultime voie. Elle contient en elle-même le principe du choix : décider quels sont les flux compatibles avec la contrainte physique et quels sont ceux qu’il faut tarir. Le dénominateur commun à l’ensemble des crises que nous traversons – économique, financière, alimentaires, écologique, climatique -, n’est autre que notre incapacité chronique à nous fixer des limites, c’est-à-dire notre goût de la démesure. L’homme a besoin de limites pour se construire, se repérer.

2013 Plus haut que mes rêves

On sait maintenant que nos ressources sont en récession et que la planète nous impose des limites. Les lois humaines ne peuvent pas s’affranchir de la loi de la nature.

2015 Osons, plaidoyer d’un homme libre

Osons dire que toutes nos crises n’en sont qu’une : une crise de l’excès. Fixons-nous des limites, car la limite n’est pas une entrave à la liberté, mais sa condition. La liberté, c’est la loi qu’on se fixe à soi-même. Sans limites, l’homme s’enivre, divague et se perd. sons la mesure dans toute chose, haïssons la démesure.

4/5) Nicolas Hulot et la question droite/gauche

2009 Le syndrome du Titanic – 2

On ne m’en fera pas démordre : les enjeux écologiques se situent au-delà de l’affrontement traditionnel entre droite et gauche. Nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais l’humanité tout entière. Quel que soit le vainqueur des élections, il s’agissait pour moi de continuer à ouvrir l’espace de l’impératif écologique. Par tempérament autant que par conviction, je refuse de prendre mes interlocuteurs de manière frontale et m’emploie à maintenir un dialogue confiant. Il est important de maintenir le lien avec un Olivier Besancenot au contact des plus démunis et porteur d’une véritable alternative politique, comme il est important d’avoir des conversations avec les conseillers de Nicolas Sarkozy parce que ce sont eux qui exercent actuellement le pouvoir et siègent dans les instances décisionnaires internationales. Pour le deuxième tour des élections présidentielles, je n’ai pas pris position en faveur de Ségolène Royal ou de Nicolas Sarkozy. Je n’ai pas vocation à dicter des consignes aux consciences libres de mes concitoyens. J’ai toujours mené un combat de conviction qui, par nature, m’oblige à rester orienté vers la société tout entière, à parler à chacun sans opérer de distinction idéologique, à chercher le rassemblement des énergies.

2013 Plus haut que mes rêves

Dans la presse, je suis « l’homme de Chirac » un jour, ou « l’homme de Sarko », demain celui de Hollande. Les esprits chagrins ne comprennent pas que j’incarne ainsi ma transversalité, parce que l’écologie est transversale et ne peut pas s’accommoder des divisions politiques. J’avais lancé le Pacte écologique pour la présidentielle 2007. Je demandais aux politiques de ne plus s’affronter systématiquement mais de valider les idées pertinentes d’où qu’elles viennent. S’il n’existe pas un esprit de concorde entre la droite et la gauche, nous assisterons impuissants à l’effondrement de notre planète. Lors des primaires de l’écologie en 2011, il aurait fallu que je proclame ma symbiose absolue avec la gauche alors que, sur les sujets écologiques, elle n’est pas plus éveillée ou instruite que ne l’est la droite. Si leurs priorités diffèrent, leurs modalités sont identiques.

2015 Osons, plaidoyer d’un homme libre

Osons dire que l’écologie ne doit plus être un vulgaire enjeu partisan, elle est un enjeu politique au sens le plus noble. Ce n’est un sujet ni de gauche, ni de droite, ni du centre, c’est un sujet supérieur. C’est simplement l’avenir et la sauvegarde de la famille humaine et de son écosystème, la planète. enser écologique, c’est penser intégral. L’écologie, c’est accepter les limites de notre planète et en tirer les leçons.

5/5) Nicolas Hulot et la question du rapport à la nature

2009 Le syndrome du Titanic – 2

Le besoin de spiritualité ne serait-il pas, comme l’affirmait Albert Schweitzer, le « respect de la vie sous toutes ses formes » ? La solidarité concerne aussi l’ensemble du vivant. Nous sommes frères et sœurs de sang avec l’ensemble des espèces vivantes. Ce lien profond avec la nature et l’univers, il nous faudra le restaurer.

2013 Plus haut que mes rêves de Nicolas Hulot

J’ai voulu avec Ushuaïa montrer la beauté du monde pour recréer un lien émotionnel entre l’homme et la nature. Le postulat : l’émerveillement comme premier pas vers le respect. Si personne ne montrait ce qu’il y avait de merveilleux sur cette terre, comment créer de l’adhésion à quelque chose qu’on ne visualisait plus ? Quand nous sommes bouleversés par un paysage, la vie est belle. Montrer le rapport désastreux entre l’homme et la nature, les journaux d’information le font très bien et beaucoup mieux que moi. Beaucoup de gens résument l’environnement à quelque chose d’extérieur au sort de l’homme. Peu ont conscience que c’est un sujet majeur qui conditionne l’avenir de l’humanité. Pour moi, tout est lié et Ushuaïa a scellé mes convictions et mon engagement, nourri en moi un respect intransigeant pour toutes les formes de vie. De là est né un attachement, une appartenance singulière et indestructible avec la nature. Ce respect n’est pas sélectif, il vaut pour la vie en général. J’ai le même amour pour l’homme, il fait partie intrinsèque de la nature. La combinaison de paramètres nécessaire au développement du vivant sur cette Terre tient du miracle ! Appartenir à cette planète est une chance rare que nous n’avons pas le droit de négliger.

2015 Osons, plaidoyer d’un homme libre

Plus l’homme pense se libérer de la nature, plus il devient fragile. Osons affirmer que la planète peut se passer de nous, mais que nous ne pouvons pas nous passer d’elle. Osons honorer l’océan, l’humus, l’eau et l’air. Osons admettre que la nature n’est pas là seulement pour satisfaire nos besoins ou accomplir notre destin. Osons nous affranchir d’un anthropocentrisme ravageur. Nous avons développé une attitude de médiocrité, de vulgarité même, vis-à-vis de la nature. Notre avidité nous égare. Sauver les bonobos, c’est nous sauver nous-mêmes !

M.S.

(1) Cet article est la reproduction de l’article constituant le numéro 358 de Biosphère-Info, blog d’accès gratuit.