On considère souvent que la naissance de l’écologie politique correspond à la parution du livre de Rachel Carson le Printemps silencieux en 1962. Ce livre provoqua une prise de conscience du public des problèmes liés aux pesticides et à la pollution de l’environnement. Il contribua à l’interdiction du DDT aux États-Unis en 1972. L’ouvrage traite des effets négatifs des pesticides sur l’environnement, et plus particulièrement sur les oiseaux. Le DDT occasionne une hausse de leur mortalité ainsi que des problèmes de reproduction. Rachel Carson accusait également l’industrie chimique de pratiquer la désinformation, et les autorités publiques de répondre aux attentes de l’industrie chimique sans se poser de questions.
54 ans plus tard, rien n’a changé sur cet aspect. Les lobbies poursuivent leur désinformation, sèment le doute et imposent leurs exigences, toujours avec la complicité des pouvoirs publics. Ce qui a changé c’est que les crises se sont multipliées, qu’elles s’auto-alimentent les unes les autres, jusqu’à remettre en cause à court terme l’avenir de notre société, en voici 5 exemples :
- La 6e crise d’extinction des espèces. Elles disparaissent cent à mille fois plus rapidement que par le passé. La disparation des insectes pollinisateurs pourraient entrainer une réduction de 50 % de la production agricole. Il n’y a pas d’avenir pour l’espèce humaine sans un changement radical de notre relation avec la nature. Ce n’est pas une ressource naturelle, c’est notre assurance vie. Nous ne le disons pas.
- Le changement climatique. Le GIEC a été clair, nous avons 15 ans pour changer radicalement de modèle économique, sinon nous allons être sur la trajectoire de 3 à 5 degré d’augmentation et il n’y aura pas d’avenir pour nos enfants et petits enfants. Le Guardian avait titré « Par rapport à ce qu’il aurait pu être, c’est accord est un miracle. Par rapport à ce qu’il aurait du être, c’est un désastre ». Nous ne le disons pas.
- L’épidémie de maladies chroniques. Un décès sur deux dans le monde est le fait des maladies chroniques. En France, elles progressent 4 à 5 fois, plus vite que la démographie. Le cancer touche 1 homme sur 2, 2 femmes sur 5. Notre environnement est en cause : pollution, perturbateurs endocriniens, malbouffe, travail précaire, inégalités… Cela implique de repenser complètement notre mode de vie. Nous ne le disons pas.
- Une bulle financière. En France, la croissance perd en moyenne un point par décennie, elle sera en moyenne négative à partir des années 20. La dette publique qui représentait 20 % du PIB en 78, était à 82 % en 2010 et frôle les 100 % aujourd’hui. Elle ne sera jamais remboursée. Aux USA, la masse financière a été multipliée par trois depuis 2008. Mondialement, 97 % des transactions correspondent à de la spéculation. Une bulle financière type 2008 puissance 10 va exploser dans les prochaines années. Nous devons changer maintenant et radicalement de modèle économique. Nous ne le disons pas.
- La désespérance sociale. La montée du FN est la conséquence de la trahison des élites, de leur corruption. Les lobbies ont pris le pouvoir. Les inégalités explosent. La conjonction de la mondialisation, de l’informatisation et du néo libéralisme vont faire disparaitre 50 % des emplois dans les 20 ans, ouvrant la voie à une Marine Le Pen présidente en 2022. Nous devons changer radicalement de modèle démocratique. Nous ne le disons pas.
Voici comment Dominique Bourg, philosophe, VP de la fondation Nicolas Hulot envisage cet avenir : « Le troisième scénario, c’est de penser la société de l’après effondrement, car il est probable qu’on se casse la gueule. Même si le pire n’est jamais certain. Je ne m’appelle pas Madame Soleil, mais si je voulais m’amuser à faire des prévisions, je pourrais dire qu’on risque de vivre un mélange entre le délitement de Rome, qui a pris des décennies, et le XIVe siècle, quand se sont déroulés à la fois la guerre de Cents Ans, le petit âge glaciaire et la peste noire qui a fait des ravages et a occis un tiers de la population affamée… Un mélange de ce type nous pend au nez. »
Pour le sociologue Edgar Morin : « Moi je dis : la catastrophe est probable, mais il y a l’improbabilité. J’entends par « probable », que pour nous, observateurs, dans le temps où nous sommes et dans les lieux où nous sommes, avec les meilleures informations disponibles, nous voyons que le cours des choses nous emmène à toute vitesse vers les catastrophes. Or, nous savons que c’est toujours l’improbable qui a surgi et qui a « fait » la transformation. Car aujourd’hui existent des forces de résistance qui sont dispersées, qui sont nichées dans la société civile et qui ne se connaissent pas les unes les autres. Mais je crois au jour où ces forces se rassembleront, en faisceaux. Tout commence par une déviance, qui se transforme en tendance, qui devient une force historique. Nous n’en sommes pas encore là, certes, mais c’est possible. »
Or aujourd’hui EELV est dans le déni de cette réalité, dans le courtermisme, pour ne pas effrayer les électeurs sur la gravité de la période que nous connaissions, nous nous mentons et nous mentons aux électeurs.
Voilà ce que dit du parti Jean-Paul Besset lors de son départ : « Une situation de conflit interne qui m’apparaît, en l’état, dominante, indépassable, broyeuse d’énergie et d’espérance … L’essentiel des préoccupations consiste à entretenir les suspicions ou à rêver d’en découdre pour affaiblir tel courant, détruire tel individu ou conquérir tel pouvoir … Le scénario des crispations et des jeux claniques, la comédie du pouvoir, le monopoly des territoires. Règlements de compte, délices du déchirement, obsessions purificatrices et procès en sorcellerie saturent à nouveau l’espace, au point de rendre l’air interne irrespirable et le travail politique secondaire. »
Ces trois extraits résument nos enjeux. Notre société est sur une trajectoire d’effondrement que nous devons impérativement inverser, en nous appuyant sur la société civile qui elle est créatrice et a commencé à inventer le nouveau monde. Or celles et ceux qui devraient être le pivot politique central de cette transformation sont uniquement focalisés sur leurs intérêts personnels et ont perdu le sens de l’intérêt général. Nous n’avons pas voulu entendre que le pouvoir corrompait et rendait fou. Nous n’avons pas su mettre en place les contre pouvoirs permettant de canaliser ces ambitions.
EELV est à l’image de notre société, s’il ne change pas radicalement de trajectoire il va s’effondrer.
Nous n’avons pas d’autres choix pour qu’EELV soit enfin utile que de changer d’objectifs politiques, de stratégies, de pratiques et de direction. L’actuelle porte une lourde responsabilité dans l’échec actuel de l’écologie politique. Elle doit se mettre en retrait et laisser la place à d’autres.
Pascal Bourgois, militant écologiste, déjà publié dans le Sauvage.