Un noisetier extraordinaire
En entrant dans le jardin d’Edo Malloggi, à Cagnes-sur-Mer, on commence par une allée bordée de superbes Hydrangea, ce qui m’a surpris. Des hortensias roses classiques (Hydrangea macrophylla) mais aussi des moins ordinaires avec les plus grosses fleurs à la périphérie des capitules (Hydrangea quercifolia). Ce ne sont pas mes fleurs préférées mais je sais au moins qu’elles supportent mal le calcium : notre prédécesseur dans le jardin de Nice en avait planté par ignorance et elles se sont empressées de dépérir. A Nice comme à Cagnes, le sol repose sur un sédiment riche en calcaire. Edo m’explique qu’il a composté des aiguilles de pin en surface pour acidifier le sol.
Au bout de cette allée, un grand arbre bien vert fait une ombre épaisse. Son tronc ramifié depuis la base en trois très grosses branches supporte une cabane d’enfant (fig. 1). A mon grand étonnement, c’est un noisetier : si on pouvait en douter il suffirait en s’approchant de lever les yeux, il est chargé de superbes noisettes. Edo questionné me dit que cet arbre a trente ans et qu’il a taillé la cépée classique buissonnante d’un noisetier pour le conduire en arbre. Il a certainement bénéficié du climat doux de la Côte d’Azur mais c’est quand même une prouesse. Moi qui traverse une phase de “il ne faut pas tailler les arbres, ils trouveront le port qui leur convient le mieux”, je suis du coup en train de revoir mes projets. Mon parti-pris de laisser -faire est la conséquence de la lecture de Fukuoka et aussi de mes propres observations sur les pommiers francs et l’échaudure du tronc (voir l’épisode 22 ). Justement, mes noisetiers plantés il y a six ans, trop serrés doivent être taillés, quand j’aurai récolté les noisettes je ne garderai que quelques troncs et ferai une provision de piquets. L’interaction de l’homme avec les végétaux n’est pas forcément mauvaise, c’est une question de dosage au cas par cas.
La visite organisée de jardins
L’an dernier j’ai été contacté par une association dont j’ignorais l’existence, le Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) dans le cadre d’une opération intitulée “Bienvenue dans mon jardin au naturel”. J’ai appris par la suite qu’il y avait des CPIE un peu partout en France, qu’ils étaient clairement soutenus par le gouvernement, et que ce CPIE particulier, le seul des Alpes Maritimes, était basé à Cannes. J’ai assuré au téléphone que je n’utilisais aucun pesticide, aucun engrais de synthèse et que j’encourageais la biodiversité. Après une visite préliminaire, et malgré la distance de plus de 60 km entre ce CPIE et mon jardin, j’ai été retenu ; la visite a été organisée en deux groupes un samedi de début juin. Cette visite était gratuite mais l’expérience a été gratifiante et j’ai accepté de recommencer cette année. Sur le site national des CPIE j’apprends que nous étions en 2016 plus de 600 jardinières et jardiniers dans ce cas, dans plus de 50 départements. Parmi mes visiteurs de 2015, il y avait quelques jardiniers expérimentés et en particulier Edo, dont j’avais noté l’activité au sein de la SCAH. Il a rempli le questionnaire distribué par le CPIE qui demande aux visiteurs s’ils voudraient faire visiter leur propre jardin et cette année, appuyé par un article dans Nice-Matin, il a accueilli 60 personnes en un week-end.
La SCAHA ou SCAH pour les familiers
La Société Centrale d’Agriculture, d’Horticulture et d’Acclimatation est une institution niçoise, et très vénérable. Vénérable par son ancienneté (elle fut créée en 1860) et par l’ancienneté d’une majorité de ses membres. Elle bénéficie d’un local prestigieux sur la promenade des Anglais. Encouragé par des ami-e-s j’y ai adhéré mais je participe très peu parce que leurs activités ont toujours lieu les jours où je m’épanouis dans mon jardin de l’arrière-pays. Le jour où j’ai adhéré pour la première fois, un mercredi où j’étais à Nice, j’ai assisté à un exposé dans lequel le conférencier, à propos de la taille de la ronce, a utilisé des photos de mon jardin qui étaient disponibles sur le site du Sauvage. J’étais plutôt flatté et je n’ai pas pu me retenir de le faire remarquer, mais le conférencier était gêné, j’aurais mieux fait de me taire.
Les rares conférences auxquels j’ai pu assister étaient basés sur l’intervention anthropique maximale du jardinier : taille, engrais de synthèse, pesticides. C’est pourquoi j’avais noté l’exception d’exposés sur la permaculture ou sur le traitement bio des oliviers délivrés par Edo Malloggi mais je n’avais pas pu y assister. Quand j’ai su que son jardin était dans la liste de la CPIE, j’ai pris contact et je me suis retrouvé lundi dernier avec un petit groupe de sursitaires, qui venaient en plus des foules qui avaient défilé pendant le week-end.
Après le noisetier géant, une serre enfouie sous les vrilles de chayote (Sechium edule) que je préfère appeler christophine comme aux Antilles (fig. 2). C’est un légume qui a surtout le goût de la sauce mais je me suis laissé dire qu’il avait une valeur nutritive réelle et je m’en suis servi plusieurs années dans notre serre de La Penne jusqu’à ce qu’il décline tout seul. Il faut que j’en remette car la patate douce que j’ai voulu installer en remplacement reste naine. Dans la serre d’Edo, des plants de tomate qui ne nécessitent pas d’arrosage, qui me rappellent que j’ai essayé de passer une commande de graines à Pascal Poot et que je suis arrivé trop tard, tout était vendu.
Ensuite quelques fruitiers, figuier, agrumes, mais surtout le potager, il n’est pas immense, sur 400 m2 pour 3 maisons et 4 familles, il est typique de ce que des français chanceux mais moyennement fortunés peuvent cultiver en zone urbaine pavillonnaire.
Il est assez bien aligné mais il n’est pas “propre” (a good garden should not be tidy disent les permaculteurs anglophones), les légumes spontanés sont respectés, et surtout le sol n’est jamais nu. Du trèfle blanc (Trifolium repens), un trèfle pérenne qui est assez ras pour ne pas faire d’ombre aux légumes enrichit le sol en azote par ses bactéries symbiotes (Rhizobium sp.), et nous apprenons que de la moutarde (Sinapis alba) est semée comme engrais vert pendant l’hiver.
Edo gratte le sol avec un outil et nous montre l’humus sous la couche de débris végétaux omniprésente, le mulch, ce que les pédologues appellent la litière (fig. 3). Cette couverture résulte en grande partie de l’utilisation de broyats de branches feuillues, le BRF, bois raméal fragmenté des canadiens, assez proche de ce que le regretté Jean Pain appelait du compost de broussailles. Bien entendu les épluchures, résidus de culture et légumes inutilisés rejoignent ces broyats. Edo nous explique le non-labour, l’abandon des racines dans le sol, et la luxuriance des végétaux parle aussi d’elle-même pour renforcer son propos (fig. 4). Je remarque une rangée de très sains framboisiers à fruits jaunes, comme j’ai essayé d’en implanter (sans succès) chez moi, dans l’espoir de tromper les oiseaux ; Edo me dit que le seul oiseau avec laquelle il cohabite est le merle. Je me demande si c’est un avantage ou un handicap quand je pense à la douzaine d’espèces qui nichent à la lisière du bois dans ma campagne. Je remarque aussi trois belles touffes d’oignon rocambole, un légume pérenne (donc permacole !) que j’ai adopté depuis quelques années et utilise dès le printemps pour améliorer les salades.
Je sais que des jardiniers qui pratiquent depuis longtemps le non-labour et le couvert végétal pour régénérer le sol sont agacés lorsque l’on dit que ces pratiques relèvent de la permaculture. Je sais aussi que l’ambition de Mollison et Holmgren lorsqu’ils ont lancé ce mot dépassait les aspects agricoles mais je trouve excellent que les pratiques “bonnes pour la planète” se généralisent doucement et trouvent de nouveaux ambassadeurs. La révolution du non-labour, cruciale pour notre survie alimentaire, fait son chemin, y compris pour les grandes cultures ; il faudra quand même convaincre certains que cela ne nécessite pas l’usage d’herbicides.
Notre groupe fait une pause devant un grand olivier aux branches duquel sont pendus deux sortes de pièges contre la mouche de l’olive (Bactrocera oleae), qui fait des ravages sur toute la bande littorale. En plus des pièges et de manière très efficace, Edo pratique, et enseigne dans le cadre de la SCAH, le traitement au kaolin, une fine argile dont la couleur blanche trompe la mouche, à raison d’un traitement mensuel de juillet à octobre ou novembre.
En fin de visite nous passons devant un abri ombragé à compost. J’ai oublié de faire ma propagande habituelle pour l’ajout de terre argileuse sur le compost afin de réaliser le complexe argilo-humique célébré par Claude et Lydia Bourguignon mais j’imagine qu’il ne doit pas être très facile de trouver de l’argile pour le compost en milieu urbain.
Nous nous attablons autour d’un vin de Bellet artisanal et de jus de fruits bio, ambiance conviviale et détendue. Quand les autres visiteurs sont partis, je promets à Edo de lui passer des plants de consoude stérile (Symphytum x uplandicum) et de chalef (Eleagnus angustifolia) pour faire de la biomasse.
Ghislain Nicaise