par Alain Hervé
“... Camus est horrible et Sartre est pire, Dostoïevski est un journaliste verbeux, un comédien de boulevard. Ezra Pound est un crétin, Pasternak un pauvre romancier comme Thomas Mann ou Faulkner. Gorki, Romain Rolland et Tagore sont des médiocrités formidables. Balzac et Stendhal sont plats et Joseph Conrad scintille comme une boutique de souvenirs exotiques…” “Freud est un charlatan viennois avec un parapluie râpé”
Gilles Lapouge* s’amuse à répertorier les appréciations de Vladimir Nabokov sur les littérateurs ses semblables. Un carnage. L’auteur du génial Ada ou l’ardeur vole au dessus des conventions communes. Il vit à sa propre hauteur, qu’il estime vertigineuse. Heureux homme imbu de sa personne et de sa capacité à exprimer des analyses uniques des sentiments humains.
Ce qui ne l’empêche pas de se planter douloureusement. A nouveau appâté par son titre mirobolant, je relis en ce moment Regarde, Regarde les Arlequins! Un très ambitieux ratage, qui consiste, selon moi, à diagnostiquer les symptômes précurseurs d’un Alzheimer chez un personnage semi autobiographique. Raté pour le récit mais constamment génial par les perspectives inattendues qu’il explore chez ses personnages. Entre autres l’écrivain au centre du récit qui s’épuise dans la composition d’un ouvrage intitulé Voir sous: réel.
Et si cette tentative désespérée d’atteindre une autre réalité n’était pas le but caché de toute l’oeuvre de Nabokov.
Aristocrate déchu par la révolution russe, l’émigré Nabokov s’est vu retirer le sol de son enfance de sous ses pieds. Il ne s’en est jamais remis. L’himalaya de ses écrits de toute une vie, en russe puis en anglais, ne sont-ils pas une tentative désespérée de le reconstituer? Allez voir.
*Gilles Lapouge: Maupassant, le sergent Bourgogne et Marguerite Duras