par Jean-Marc Tagliaferri, Ingénieur INSA
1) L’État annonce 7 milliards d’euros pour « sauver » Air France – KLM
Comme tout plan gouvernemental, c’est avant tout un effet d’annonce car il va déjà falloir que le gouvernement trouve l’argent avant de le dépenser et pour l’instant à part une augmentation de l’endettement, aucune mesure n’a été annoncée pour augmenter les recettes publiques déjà affectées par la baisse d’activité.
On nous annonce 350 000 emplois à sauvegarder. Comme d’habitude on mélange les carottes et les lapins. Il y a 6 mois le secteur hurlait encore sur la pénurie “dramatique” de pilotes face à sa prétention de vouloir doubler le trafic aérien. Voilà donc un problème normalement définitivement réglé ?
Par ailleurs il y a une grande partie d’emplois administratifs et parmi les Personnels Navigants Commerciaux (PNC), qui peuvent être reconvertis dans des tas d’autres activités… si l’activité générale redémarre. Il est clair que faire le service à la place dans un avion et dans un TGV, ou de gérer des stocks de pièces détachées, ce n’est pas fondamentalement différent. Il y a des reconversions au sein d’une même structure qui réclament bien plus d’adaptation !
Se pose donc la question du devenir du secteur entier de l’aérien français ou européen: puisque nous sommes écolos et pour la décroissance de l’empreinte écologique, il est clair que ce secteur est très mal parti.
2) La diminution du volume d’activité du transport aérien français
Nous pouvons agir à l’international en augmentant le trafic ferroviaire vers les hubs voisins afin de pouvoir diminuer nos vols internationaux et imposer en réciprocité la diminution des autres vols internationaux .
Ne craignons pas que cela nuise au tourisme international en France: cela permettra de le faire monter en gamme et d’augmenter sa rentabilité… mais il faudra pour cela que le secteur touristique français suive… ce qui va nécessiter de très gros efforts qualitatifs et la création de très nombreux emplois supplémentaires où le PNC des compagnies aériennes françaises trouvera à se recaser.
Les compagnies low-cost n’ont plus de place dans un monde écologique car elles sont basées sur du gaspillage des subventions publiques et sur l’exploitation éhontée des salariés et des sous-traitants. Et l’existence du « charmant week-end à Prague ou Venise pas cher » c’est juste intenable et au demeurant très irrespectueux pour les Pragois ou les Vénitiens excédés de voir des hordes de malappris les envahir sous prétexte que ça entre dans leur budget: il faudra réapprendre que les choses de valeur ont un coût, que cela nécessite un effort et que quitte à faire 1500 km autant le faire pour plusieurs jours. C’est de toute manière ce que sera au mieux notre avenir surpeuplé !
Certains prétendent que la technique réglera tout avec des avions au gaz naturel liquéfié (GNL) ou à l’hydrogène … Ça ne règle, parfois partiellement, que l’émission de CO2. Ça ne règle en aucun cas les autres incidences de la multiplication des vols à haute altitude, l’encombrement du ciel, le bruit aux alentours des aéroports, la congestion du trafic à terre autour des aéroports, etc…
Je pense qu’il y a deux problématiques:
I – la suppression des vols uniquement intérieurs (qui impacte Air France et ses filiales régionales mais aussi des compagnies low-cost), ce qui peut concerner aussi les zones frontalières des pays voisins, remplacés par :
– les trains de nuit confortables, directs, avec une restauration de qualité, de quoi faire sa toilette, et qui économisent une nuit d’hôtel
– les TGV de jour , à améliorer avec correspondances TER (Transport Express Régional) ou TET (Trains d’Équilibre du Territoire) à améliorer aussi en utilisant le concept THNS (Transport à Haut Niveau de Service)
II – la suppression du trajet terminal (ou initial) des vols internationaux qui impacte toutes les compagnies. Pour l’instant ce trajet terminal si l’on prend le hub parisien concerne l’automobile, la RATP, la SNCF et les vols intérieurs. Les trois premières solutions peuvent être conservées. Pour les passagers continuant en avion il y trois solutions:
– une escale en périphérie du territoire quand l’avion international survole la ville avant d’aller à Paris: c’est ce qui se pratiquait couramment dans les années 80 pour les vols Paris-Afrique, et réciproquement,
– le départ du vol long-courrier d’un aéroport périphérique avant d’embarquer la majorité des voyageurs à Paris et réciproquement,
– le départ du vol long courrier de Paris avec pré-acheminement de la majorité des passagers en train et réciproquement.
3) Et pour les longs-courriers ?
Concernant les vols internationaux, il faudrait éviter que le trafic retrouve le niveau précédent bien trop élevé et le meilleur moyen est l’augmentation du prix du kérosène pour forcer les constructeurs à faire des avions (volant avec des carburants certifiés produits de manière durable) de telle manière que le coût d’opération soit équivalent… mais avec un doublement du coût du trajet cela devrait rendre non rentables un certain nombre de déplacements en avion dont on peut questionner la pertinence.
A noter que ça ne supprime pas tous les déplacements, même pour le tourisme: on peut aller à Marrakech en prenant le TGV jusqu’à Séville (à prolonger jusqu’à Cadix, voire Algesiras) puis un ferry jusqu’à Tanger d’où part le TGV marocain jusqu’à Casablanca et ultérieurement Marrakech. Pour la Tunisie il y a des trains jusqu’en Sicile et des ferrys. Moins d’avions, c’est l’opportunité de construire enfin un réseau ferroviaire reliant Marrakech à l’Afrique de l’ouest, tout comme l’Egypte pourrait être à nouveau connectée comme il y a un siècle avec la Turquie et donc l’Europe. Pour le reste, il y a plus urgent pour les populations africaines d’avoir des productions locales répondant à leurs besoins que de se vautrer dans un tourisme de masse aléatoire ou de s’expatrier.
4) Les expériences de correspondances « directes » de l’avion vers le train
Ce n’est pas une nouveauté même en France : Air Austral pratique sur ses vols arrivant de la Réunion depuis des années à Roissy 2 la correspondance en TGV SNCF pour une vingtaine de villes, dans le sud jusqu’à Toulon mais pas Nice (pourquoi ?) et ne gère pas les bagages, dont on doit s’occuper ! Les places de train sont réservées au moment de l’émission du billet qui est remis au voyageur, en salle de réception des bagages avion, à un guichet spécial. Le service marche bien apparemment car la gare TGV est très proche du satellite 2D où arrivent les vols Air Austral.
En revanche Air France, quand elle a supprimé ses vols Lille-Paris, pratiquait à la gare de Lille l’enregistrement pour l’ensemble du voyage et s’occupait des bagages. Elle en faisait la publicité en vidéo sur ses vols internationaux.
5) Des trains aux couleurs des compagnies aériennes ?
Il y a une grosse différence entre un partenariat commercial entre deux sociétés de transport “en série” et l’irruption dans le domaine ferroviaire d’une compagnie aérienne qui n’a aucune compétence technique sauf à créer une filiale d’exploitation ferroviaire.
Il s’agit d’un tout autre exercice de « régionaliser » les TER en les repeignant aux couleurs régionales (et même en PACA aux couleurs de la Principauté de Monaco qui en a payé 6) car ce sont les finances régionales qui achètent les rames, paient les péages ferroviaires qui participent à financer l’entretien, paient la SNCF pour qu’elle fasse rouler les trains et qu’elle assure l’entretien des rames.
Repeindre des TGV SNCF aux couleurs d’Air France pour les faire rouler avec des cheminots SNCF: quelle est la plus-value ? Saura-t-on enfin vraiment 20 minutes avant sur quel quai il faudra aller le prendre (surtout quand il faut traîner sa valise sur 400 m) ? Cette durée est affichée mais à peu près jamais respectée. Est-ce pour le bling-bling comme Inoui pour faire payer plus cher la même prestation toujours aussi approximative sur la seule chose qui le différencie vraiment de l’Ouigo (ce dernier qu’on a sciemment voulu « bas de gamme » jusqu’à y supprimer les prises de courant) : la restauration à bord toujours scotchée au lamentable niveau gastronomique des gares, avec des tonnes de déchets, de sucreries, de sauces ? Et de surcroît le “bar-restaurant” aux airs de fast-food cheap manque souvent de marchandise. Les grands trains, ça doit faire rêver, pas grommeler !
6) Le nécessaire retour en force du train pour tous genres de trafic
A court terme certains proposaient d’affecter les TGV achetés par l’État, pour sauver Alstom, dont la SNCF ne sait que faire, pour remplacer les trains d’équilibre du territoire (TET), sauf que les TGV ne sont pas physiquement adaptés dans de nombreux cas. Certaines rames pourraient donc renforcer les liaisons principales, mais il vaudrait mieux que l’Etat transforme une partie de cette commande en commande de véritables TET conçus sur la base du projet THNS.
Dans la situation actuelle, rien ne justifie le maintien de vols intérieurs spécifiques puisqu’il y a des trains, ou la possibilité d’en rajouter comme des trains de nuit. Avec la suppression de l’obligation d’une nuit d’hôtel délocalisée, ces trains assurent un service très comparable, moins coûteux, plus confortable, nettement moins impactant écologiquement.
Il en est de même pour le fret, dont la part modale du ferroviaire est tombée à 9 % alors qu’elle a représenté jusqu’à 50 % quand la SNCF n’était pas encore un transporteur routier exploitant aussi des trains par obligation légale.
Une association dont je suis adhérent s’occupe du renouveau de certains trains: www.lunatrain.eu. Vous pouvez participer en soutenant et notamment en envoyant vos dons défiscalisables (ou en convainquant des gens imposables d’en faire !)
A noter que l’association Objectif train de nuit est active sur la région PACA à travers la création du projet “Etoile de Breil”, le soutien au projet ” Etoile de Veynes” qui a servi de modèle, et que son second projet après le train de nuit Barcelone-Avignon-Berne-Bale-Strasbourg-Francfort est le train de Nuit Cannes-Nice-Monaco-Vintimille-Breil-Tende-Limone-Cuneo-Fossano-Turin avec une branche vers Paris, une autre via le Simplon sur la Suisse centrale puis Francfort ou Munich et Berlin, et, parmi bien d’autres, une envie inspirée de ce qui se fait actuellement en Suisse de ressusciter l’Alpazur Genève-Grenoble-Veynes-Saint Auban-Digne-Nice avec des engins capables de passer en 20 secondes de l’écartement métrique à l’écartement normal et aptes à la “croisière ferroviaire”.
Jean-marc Tagliaferri http://tagliaferri.monsite-orange.fr/index.html