UN SI JOLI PRINTEMPS !

29 juin 2020,

par Pascal Bourgois

Attends toi à l’inattendu [Edgar Morin]

Que nous arrive t-il ?

Le battement d’aile d’une chauve souris en Chine a déclenché un effondrement économique et financier qui balaye le village mondial. Les pays et les activités économiques les plus touchées ont été des pays fers de lance du productivisme néo-libéral (Chine, États-Unis, Espagne, Italie, Grande Bretagne, France, Belgique…) et des activités liés à l’hyper mobilité : automobiles, aéronautique, tourisme, culture; loisirs de masse, hôtellerie…

Aucune leçon n’avait été tirée de 2008. Les bulles financières gonflaient. Chacun savait qu’une nouvelle crise économique mondiale allait éclater. Les inconnues étaient : à quelle date, avec quel déclencheur et de quelle ampleur ? Aujourd’hui nous savons : décembre 2019, la covid 19, et colossale.

Ce coronavirus a été le déclencheur d’une « crise » attendue, mais il en a aussi été l’amplificateur et un révélateur. L’amplificateur, en faisant converger crise sanitaire et crise économique, ce qui a provoqué une baisse simultanée de l’offre et de la demande et a mis au chômage la moitié des travailleurs de la planète. Cette convergence imprévisible et démultiplicatrice en terme de conséquences n’est pas sans rappeler celle entre le tremblement de terre et le tsunami qui ont provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. Attends toi à l’inattendu. Ce coronavirus a aussi été le révélateur de la fragilité de notre modèle économique et sanitaire, ainsi que la lourdeur de notre modèle politique pyramidal.

Depuis 60 ans et les écrits de Charbonneau, Ellul, Illich, puis le rapport du Club de Rome, jusqu’aux travaux les plus récents, les études scientifiques sont autant d’alertes sur l’impasse de notre modèle économique. Les lois de la physique démontrent l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini.

En France nous avons détruit 60 % des vertébrés sauvages en 40 ans, 33 % des oiseaux des milieux agricoles en 30 ans et 38 % des chauve-souris en 10 ans. L’effondrement a commencé.

Pour éviter le chaos climatique, le GIEC demande que la décennie 2020/2030 soit celle où nous réduisions de 7,5 % par an notre production de CO2, et laissions sous terre 80 % des réserves énergétiques carbonées connues. Dans le même temps des experts indépendants de l’énergie prévoient vers 2025/2030 le pic de production des pétroles conventionnels et non conventionnels. Pour le rapport Meadows cette décennie serait celle du début de l’effondrement économique, social et démocratique.

Et si effectivement nous étions en guerre. Pas comme le dit notre président, une guerre des êtres humains contre une maladie que nous avons provoqué par nos modes de production et de consommation. Une guerre qui ne dirait pas son nom, une guerre de l’espèce humaine contre elle même et contre toutes les autres formes de vie. Une guerre civile entre les terrestres et les modernes [ Latour]. Chaque période historique a la crise de sa structure, ne serions nous pas en train de voir débuter la « 3ème guerre mondiale » ?

Les « crises », certaines attendues, d’autres que nous allons découvrir convergent dans la décennie qui vient. Elles vont être de plus en plus rapprochées et de plus en plus brutales et vont faire système. Par choix ou par contrainte, nous allons changer radicalement de société dans les toutes prochaines années.

Quelques postulats

  • Ce ne sont pas les gagnants du modèle économique en place (biberonnés à l’imaginaire productiviste des 30 glorieuses), qui vont être les acteurs du changement de ce modèle économique, qui est chaque jour un peu plus contre-productif [Illich]. Qu’ils soient actionnaires et dirigeants des grandes entreprises, politiciens des partis de gouvernement élus grâce à l’argent de ces entreprises ou journalistes des médias de ces mêmes entreprises, qui vivent de leurs publicités et de subventions politiques. Il n’y ont aucun intérêt.
  • Ce ne sont pas les opposants politiques à ces partis de gouvernement, à l’idéologie teintée de néo-marxisme daté et/ou néo-totalitaire, situés à droite comme à gauche des partis de gouvernement et qui n’ont pas été capables à ce jour de produire une alternative écologique, économique et démocratique crédible, qui vont y parvenir maintenant.

  • Le pouvoir corrompt, la façon dont on le prend détermine la façon dont on l’exerce. Notre modèle politique vertical inextricablement lié avec le pouvoir économique et financier est obsolète, inefficace, incapable d’apporter une réponse systémique à la crise qui émerge.

  • Nous avons besoin de beaucoup plus de démocratie, d’une démocratie beaucoup plus horizontale et directe, qui soit capable de mobiliser l’intelligence collective de façon systémique

  • Nos pays riches sont à la fois de plus en plus puissants et de plus en plus fragiles. Pour réduire les risques, la tendance de fond est la surveillance généralisée, la réduction des libertés publiques, la répression. De lois d’exception en lois d’exception nous cheminons vers le totalitarisme [Poutine, Trump, Bolsonaro…]

  • Les êtres humains sont «  accro » à la consommation. Nous en voulons toujours plus, poussé·es en cela par un harcèlement publicitaire permanent qui transforme des envies en besoins Une majorité d’électeurs vote pour les programmes qui leur promettent plus de pouvoir d’achat et de consommation à venir.

  • De plus en plus de personnes ont conscience de l’effondrement en cours, mais elles sont comme tétanisées, incapables de changer radicalement de mode de vie et de participer concrètement aux changements de modèle économique et démocratique nécessaire.

  • Nous avons atteint au niveau mondial le sommet de la courbe de l’activité économique. Elle devrait pendant quelques années se situer sur un plateau ondulant, alternant baisses brutales et difficiles remontées, avant de régresser de plus en plus rapidement [Meadows]. Cela se prépare !

Que pouvons-nous faire maintenant ?

Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise [Attribué à Churchill]. On ne change que par les « crises ». Celle qui a suivit la crise de 1929 nous a amené le pire. Celle de 2020 va t-elle permettre aux détenteurs du capital, via la « stratégie du choc » de renforcer leur puissance ? Au contraire va t-elle permettre un changement de modèle économique et démocratique faisant le choix de la sobriété et la réduction des inégalités sociales, via un changement collectif de récit et « d’hégémonie culturelle » [Gramsci], qui permettent un réveil des citoyens et leur mobilisation collective [Hopkins] ?

Trois récits clivants dominent :

  • celui « de droite », il faut rattraper le temps perdu et il faut une reprise rapide de la croissance, ce qui avec quelques corrections du système, avec quelques relocalisations de sous-traitants, va permettre de continuer à attribuer le fruit de cette croissance aux détenteurs du capital, de moins en moins nombreux et de plus en plus riches.

  • celui « de gauche », avec les mêmes attentes de croissance, mais avec un discours de verdissement superficiel et de répartition un peu plus égalitaire du fruit.

  • celui de « l’effondrement », où l’on considère que ce fruit est empoisonné [Latouche], que l’effondrement est inéluctable, qu’il nous faut ralentir et nous adapter, cela en renforçant rapidement et localement notre résilience individuelle et collective [Servigne]

Un véhicule où l’on appuie « en même temps » et fortement sur l’accélérateur et le frein ; où personne n’est d’accord sur le diagnostic, sur la direction à prendre, sur les actions à mener, où les faillites d’entreprises et le chômage explosent, va faire un tête à queue. Quand l’argent magique cessera de tomber du ciel, les troubles sociaux vont se multiplier. Cela a commencé aux Etats-Unis, va se produire en France comme dans la plupart des pays de la planète.

Si les changements radicaux qu’impliquent la réponse politique à cette crise de civilisation ne peuvent être descendants depuis des élites économique, politique, syndicale, culturelle, intellectuelle…, gagnants de la mondialisation, ayant intérêt à ce que rien ne change ; ni depuis leurs opposants politiques traditionnels ; ils ne peuvent donc être que remontants, à partir de ceux des citoyens qui ont pris conscience que le système actuel nous mène à notre perte et que le changer est une question de vie ou de mort. Nous sommes de plus en plus nombreux à le penser, probablement majoritaires dans notre pays, mais désunis.

La situation implique de mener la révolution écologique en l’absence d’une idéologie partagée (comme ont pu l’être le marxisme ou le néo-libéralisme), une idéologie capable de poser un diagnostic partagé, de définir des objectifs, des moyens et de mobiliser collectivement. Cette idéologie fait défaut, sauf à considérer que l’approche libertaire « L’ordre sans le pouvoir » [Proudhon, Kropotkine] puisse être cette idéologie. C’est probablement dans cette direction politique que nous autres écologistes radicaux, décroissants, ZADistes, transitionneurs, colibris, collapsos, gilets jaunes, anarchistes… devons creuser. Il nous faut construire en marchant.

Une révolution écologiste non violente ne pourra partir que du local, avec une alliance entre les classes moyennes et les classes populaires. Même si c’est à une moindre échelle, de Gandhi à Martin Luther King, des révolutions citoyennes remontantes et non violentes ont historiquement abouti.

Pour épargner des millions de vies, réduire la violence, nous devons anticiper, organiser la fin de la croissance et le long déclin économique qui vient. La récession que nous connaissons n’a rien à voir avec une décroissance choisie. Notre choix ultime pourrait bien être l’écologie ou la barbarie [Castoriadis]. Il ne s’agit pas de la fin du monde, mais de la fin d’un monde. Ecologistes, nous alertons depuis des décennies sans être entendus. Aujourd’hui, maintenant nous devons convaincre.

A défaut d’une idéologie commune : des valeurs partagées !

La sobriété et la cohérence – Individuellement nous cherchons à être le plus cohérent possible, nous nous engageons à réduire fortement notre production de CO2, notre utilisation de l’avion, de la voiture, notre consommation de viande, d’énergie, nos achats de produits neufs… Nous privilégions les achats locaux, la bio, les distributeurs d’énergie verte, le réemploi, le recyclage… [scénario négaWatt] Nous participons activement à la création d’une nouvelle économie sobre dans les failles de celle qui s’effondre [Charbonneau].

La résilience individuelle et collective – En fonction de l’évolution dans les prochains mois de la situation économique, sanitaire, climatique, sociale…, nous ne pouvons pas exclure des ruptures d’approvisionnement alimentaire, d’énergies carbonées, d’alimentation du bétail… Nous renforçons notre capacité individuelle et collective à subir des chocs. ils seront de plus en plus fréquents et brutaux. Nous serons résilients, si notre territoire et nos voisins le sont aussi, avoir de bonnes relations avec eux est notre meilleure assurance pour l’avenir [Les greniers d’abondance].

L’autonomie et la relocalisation – Un monde en cours « d’effondrement » se simplifie. Nous apprenons ou réapprenons à produire une partie de notre alimentation, de notre énergie, à construire, à réparer… [Afterres2050/Solagro]. Il ne s’agit pas d’autarcie mais de choisir nos dépendances, notamment en coopérant avec les territoires périphériques au sein d’éco-régions [Cochet, Sinaï]. Produire de l’alimentation en grande quantité avec le moins possible d’énergie carbonée ne s’improvise pas, moins d’énergie carbonée c’est plus de travail physique et une recherche agronomique intense. Cela implique aussi de mettre en place des espaces locaux mutualisés, de réparation, transformation, de stockage, de distribution.

La coopération et l’entraide – Nous passons d’une logique dominante de concurrence à une logique dominante de coopération et d’entraide [Servigne, Chapelle]. Nous favorisons le collectif, le partage, la mise en commun et la mutualisation. Nous mobilisons notre intelligence collective et organisons des réseaux d’entraide et de solidarité dans chaque territoire et avec les territoires périphériques. Nous anticipons la mise en place de structures d’accueil et d’aide aux personnes en difficulté [SOS maires].

La permaculture et les basses technologies – Nous nous appuyons sur la permaculture [Mollison, Holmgren, Hervé-Gruyer] qui est une philosophie qui « prend soin de la planète, des êtres humains et partage les excédents » mais aussi une méthode de conception qui permet de créer des écosystèmes équilibrés. Nous privilégions l’innovation et les expérimentations locales en utilisant des technologies douces et lentes, à faible consommation de carbone, qui nous permettent de produire de l’alimentation, de l’énergie, des logements, d’organiser la mobilité, de prendre soin de notre santé… [Ellul, Illich, Bihouix]

La démocratie et le pouvoir – Reprendre la main sur le global, implique préalablement de reprendre la main sur le local. Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi [Ghandi]. Il s’agit de déceler où sont les pouvoirs et les dominations et d’essayer de les faire tomber [Chomsky]. Afin que les prises de décisions soient les plus pertinentes possibles, nous articulons un travail collectif de recherche citoyenne à travers les sciences sociales (philosophie, sociologie, anthropologie…) et l’éducation populaire. Nous mettons en place un fonctionnement qui réduise au minimum les délégations, qui soit le plus horizontal, participatif et direct possible. Nous pratiquons l’élection sans candidat. Si nous sommes candidats aux diverses élections, nous nous engageons de ne pas faire reposer notre discours politique sur le mensonge d’une croissance infinie. Nous construisons avec les pouvoirs politiques locaux et intermédiaires en place, une relation qui soit imaginative, directe, radicale, constructive… L’objectif n’est pas de les combattre mais de les associer ou de les ignorer.

La bienveillance et la non-violence – Dans un état policier comme le notre, toute violence contre le système est utilisée pour réduire les libertés publiques. Il ne s’agit pas d’être naïf, la non violence n’est pas la lâcheté. Il s’agit d’empêcher que le retour de la violence, un des principaux risques qui nous menace, ne commence par nous. Nous sommes bienveillants et pratiquons la décision par consentement, la communication non violente et cherchons à accepter l’autre, à faire avec ce qu’il est. Ce qui dans une société individualiste comme la nôtre est un défi permanent. Si la priorité doit être donnée à la construction du nouveau monde dans les failles du vieux, afin d’arrêter ou de freiner les destructions, nous sommes aussi amenés à mettre du sable dans les rouages de la méga machine. Quand c’est nécessaire, nous utilisons l’action directe non violente à visage découvert [Ghandi]

Respect de la nature et des biens communs – Nous sommes la nature qui se défend. Une forme de spiritualité laïque est à envisager. Nous changeons radicalement notre rapport à la nature, à la vie… [Descola]. Nous considérons que la terre, l’air, l’eau, la santé… sont les propriétés communes de tous les êtres vivant sur la planète.

Pascal Bourgois

Jugazan juin 2020