La gauche réactionnaire

24 novembre 2012,

par Ghislain Nicaise

On peut lire dans Paris-Match à propos du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes cette déclaration du premier ministre Jean-Marc Ayrault  « Nous ne nous laisserons pas dicter une vision du monde qui n’est pas la nôtre ». Je ne sais pas si, comme l’analyse sur France-Inter Thomas Legrand, l’affirmation de Jean-Marc Ayrault sur les deux visions du monde “est à la fois étonnante et potentiellement explosive parce qu’elle contribue à la  larzaquisation de Notre Dame des Landes”. Ce dont je suis maintenant certain c’est que comme le dit Jean-Marc Ayrault il y a bien deux visions du monde qui s’affrontent à propos de cet aéroport : une tournée vers l’avenir, et une autre, qu’il faut bien appeler réactionnaire, qui veut faire perdurer le passé et en particulier la croissance dans un monde fini.

Gouverner c’est prévoir.

Si l’on veut gérer le pays en bon politique, il faut déjà tenir compte du pic pétrolier : depuis 2005 l’humanité n’a pas été capable d’extraire plus de 85 millions de barils/jour, et sans les agrocarburants nous serions déjà sur la pente descendante de la production de carburant. Le kérosène qui fait marcher les avions n’est pas soumis à la taxe sur les produits pétroliers, il est donc subventionné. Les vols internationaux sont régis depuis 1944 par un accord de détaxation mais rien n’empêche l’état français de taxer les vols intérieurs, pour que ceux qui prennent l’avion paient l’impôt comme ceux qui utilisent leur automobile. Comme l’a fait remarquer une députée d’Europe Ecologie-Les Verts, on a trop subventionné la pollution. Une telle taxation sur les vols intérieurs n’aurait rien de révolutionnaire, elle est déjà appliquée en Suisse, aux Pays-Bas, en Inde et …aux USA.

Si l’on veut gérer le pays en bon politique, il faut aussi tenir compte du changement climatique. Il ne s’agit pas de revenir au char à boeufs (en tous cas pas dans l’immédiat !) mais par exemple de remplacer des déplacements en avion par des téléconférences. Non seulement nous devons économiser le pétrole et apprendre à nous en passer, mais il est fort possible comme le suggérait l’économiste Maxime Combes dans un article de Libération du 29 juin dernier que nous en ayons déjà trop avec les réserves connues, assez pour rendre une bonne partie de la planète inhabitable si nous les brûlons.

Enfin si l’on veut gérer le pays en bon politique, il ne faut pas envoyer les gendarmes contre des gens qui dans leur très grande majorité ont voté pour vous. Il faut se souvenir qu’une démocratie doit être légitime avant d’être légale. Il ne faut pas se crisper au nom de la légalité sur un débat public de 2003 qui comme le signalait le sénateur Ronan Le Dantec dans Libération de ce jour est rendu caduc par les données récentes : pour ne citer qu’un exemple, lors de ce débat on prédisait une saturation de l’aéroport actuel de Nantes et on a aujourd’hui le même trafic qu’en 2000. Pour poursuivre la citation : Le problème de la démocratie française actuelle, c’est qu’elle pense que faire un pas de côté, accepter de rouvrir un débat majeur n’apporte aucun gain politique. Or, c’est être moderne que de l’accepter. Jean-Marc Ayrault doit le comprendre. Il doit aussi comprendre que s’il est capable de reculer sur des dossiers sur la pression de la droite et qu’il n’entend pas des manifestations de gauche, un gros problème se pose.

(à suivre, avez-vous noté que je n’ai mentionné ni l’écocide de zones humides remarquables ni la nécessité vitale de préserver les terres agricoles, particulièrement à proximité des villes ?)

Ghislain Nicaise