Il y a déjà quelques années, lors d’un séjour dans le laboratoire de biologie marine de Woods Hole (Massachusetts) j’ai pu assister à une conférence qui n’a laissé personne indifférent dans l’amphithéatre. La conférencière, chercheuse faisant autorité dans la biologie du développement précoce des embryons, expliquait comment elle et son équipe avaient mis de côté des recherches fondamentales sur le cycle cellulaire pour se consacrer à l’étude d’une famille de polluants. Pour ses études, elle utilisait des oeufs de clams. A partir du moment où elle transvasait ces oeufs dans des éprouvettes jetables en plastique, le développement était perturbé. Au départ, elle avait tout soupçonné sauf l’éprouvette elle-même, couramment utilisée dans les laboratoires de biologie. Le plastique libérait des quantités infimes d’une molécule pouvant agir sur les récepteurs des cellules embryonnaires.
Depuis quelques années le thème de la pollution, presque oublié des écologistes dans les années 80, est redevenu un thème majeur, avec les gaz à effet de serre, les cultures de végétaux génétiquement modifiés et les pesticides. Lorsque l’on se préoccupe d’effets directs sur la santé humaine, c’est traditionnellement les notions de cancérogenèse et de mutagenèse qui sont mentionnées.
La notion de “reprotoxicité” s’est ajoutée aux précédentes lorsqu’on s’est aperçu que certaines molécules pouvaient affecter la reproduction, d’où le sigle CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique). On retrouve ce sigle dans la directive européenne REACH, tentative de contrôler la profusion de nouvelles molécules de synthèse que nous introduisons dans notre environnement. Les polluants reprotoxiques sont sortis rapidement des revues spécialisées pour apparaitre dans les media, en particulier lorsqu’il a été reconnu que le nombre de spermatozoïdes par unité de volume de sperme était en diminution significative et continue de 2 % par an depuis 25 ans. A ce rythme le nombre considéré comme insuffisant pour la reproduction pourrait être atteint assez rapidement pour l’ensemble de la population. Ce à quoi faisait allusion Dominique Belpomme dans son livre de “Ces maladies créées par l’homme”. On peut souligner qu’il s’agit de moyennes et que les individus les plus affectés sont déjà infertiles.
Ce déclin de la fertilité masculine est essentiellement observé dans les pays occidentaux industrialisés, ce qui pointe sur un rôle de l’environnement. Cette tendance a coïncidé avec l’exposition de plus en plus marquée aux xénoestrogènes. Un mot savant qui désigne les molécules artificielles possédant les mêmes effets que les estrogènes, hormones féminisantes sécrétées normalement par les follicules ovariens à partir de la puberté. Les xenoestrogènes sont rangés avec d’autres molécules actives, dont certaines d’origine naturelle comme les phytoestrogènes du soja, dans la catégorie des “perturbateurs endocriniens”.
Parmi les xenoestrogènes, on compte de nombreux pesticides comme le DDT, la dieldrine, le methoxychlore, des herbicides comme l’atrazine, des fongicides, ainsi que des plastifiants comme le bisphénol A (BPA) ou les phtalates. Il est prouvé chez l’animal qu’une brève exposition à de très faibles concentrations de ces plastifiants dans la période pré-natale a des effets marqués sur le développement du foetus et sur l’incidence ultérieure de cancers. Il est établi que les récipients en plastique rigide, comme les biberons en plastique ou les éprouvettes qui contenaient les oeufs de clam, laissent suinter ces perturbateurs endocriniens dans les liquides qu’ils contiennent, en quantité suffisante pour avoir un effet sur le développement.
La participation des xénoestrogènes dans la baisse de fertilité et l’augmentation de l’incidence des cancers (sein, prostate..) est maintenant admise par les épidémiologistes, au point d’être publiée dans les magazines. Le rôle possible des xénoestrogènes dans deux autres évolutions de santé publique, la précocité de la puberté des jeunes filles et l’obésité, est encore plutôt du domaine des publications spécialisées. Ces deux tendances, souvent associées, ont été classiquement attribuées aux seuls changements dans le régime alimentaire, mais il est très probable que la fréquentation des MacDo n’explique pas tout !
Les deux principales familles d’hormones qui contrôlent la reproduction chez les mammifères femelles sont les estrogènes et les progestatifs. Les deux sont le plus souvent impliquées dans la contraception par la pilule. J’ai lu sous la plume d’une gynécologue qu’elle repérait chez ses clientes les patientes à forte poitrine et hanches étroites comme caractérisées par un excès d’estrogènes et les patientes à poitrine modeste et bassin large comme celles qui avaient au contraire surabondance de progestérone. Cette typologie aurait son importance dans le choix de la pilule en fonction du dosage respectif des deux types d’hormones.
Il n’y a pas que les gynécologues qui attardent leur regard sur les mensurations féminines. Les messieurs ayant vécu assez longtemps pour évaluer les changements des silhouettes au cours des décennies ont peut-être remarqué la fréquence accrue des jeunes femmes évoquant la poupée Barbie : tout pour le haut du corps, de moins en moins pour les hanches. Les fabricants de vêtements de confection en tiennent compte, sans soupçonner que cette évolution est peut-être un effet de la pollution reprotoxique.
Ghislain Nicaise