Dans un précédent article sur le site du Sauvage (Après Fukushima : l’arnaque de la quatrième génération) j’évoquais cette activité de mes années 70 qui consistait à parcourir la vallée du Rhône pour débattre en public de la construction de centrales nucléaires. En général le débat était un duo, plus exactement un duel contre un orateur spécialisé d’EDF. EDF envoyait toujours les mêmes intervenants et des règles tacites se sont dégagées progressivement comme l’absence d’agression verbale contre l’autre orateur. Le fond du débat a aussi évolué au cours du temps. Pour éviter les assauts technniques sur les radioisotopes, leur biolocalisation et leur période, qui laissaient l’auditoire perplexe, nous avons petit à petit déplacé notre argumentation vers les arguments de société, en bref : société nucléaire = société policière.
Je me souviens après un débat devant une salle assez nombreuse, qu’un agriculteur concerné, voisin immédiat du réacteur à neutrons rapides de Creys-Malville m’avait questionné :”comment se fait-il que cette fois, vous n’avez pas parlé d’Iode131, ni de Césium ou de Strontium ?”.
Avec un certain retard, l’histoire nous a donné tort : en 1986 avec Tchernobyl, en 2011 avec Fukushima, la pollution par les radio-éléments a nourri l’argumentation anti-nucléaire et éclipsé les aspects sociétaux. Et pourtant il s’en est fallu de peu que notre prophétie inquiétante ne devienne pertinente. Le 11 septembre 2001, souvenez-vous, un des avions détournés par les pirates kamikazes d’Al Quaeda s’est écrasé au sol sans atteindre sa cible. Il a peut-être été abattu par une initiative militaire : on le saura un jour quand les archives seront déclassifiées, mais sa destination ne sera peut-être jamais connue avec certitude. Les journaux ont spéculé à l’époque que le but pouvait être une centrale nucléaire, puisque la centrale de Three Miles Island (tout près d’Harrisburg, à 140 km de Philadelphie), n’était pas loin de l’emplacement du crash.
Or les centrales américaines, comme les françaises, ne sont pas prévues pour résister à l’impact d’un avion de ligne, tout au plus un petit avion de tourisme. Si cet avion s’était écrasé sur un réacteur, nous aurions assisté dans une zone assez densément peuplée des USA, à l’accident majeur de référence, avec fusion du coeur, évacuation de la population, environ six millions d’habitants dans l’agglomération de Philadelphie, désertification du territoire d’un état américain pour des siècles, etc… Quand on considère les précautions policières qui ont suivi le 11 septembre, et qui régulent encore partiellement le trafic aérien, on peut imaginer ce qu’aurait été la réaction de la société devant cette éventualité. Dans la démarche terroriste suicidaire, plus l’attentat fait de dégats, plus le sacrifice aura été justifié. Je n’aime pas prédire un avenir sombre mais deux choses sont certaines : 1) le transport aérien de masse a encore quelques années devant lui avant que le kérosène ne devienne trop cher, 2) les kamikazes sont toujours là et se manifestent encore régulièrement.
Ghislain Nicaise