par Ghislain Nicaise
On constate une certaine consternation dans les rangs écologistes au vu des sondages portant sur les intentions de vote aux présidentielles. Le pourcentage des personnes sondées qui voteraient pour Eva Joly baisse. Bien entendu tout le monde cherche des explications. Une réunion récente de responsables d’EELV a semble-t-il résolu de “hulotiser” la campagne, ce qui n’est pas une mauvaise idée mais ne remontera pas forcément le score. Le programme pèse peu. Il y a je crois au moins deux raisons à cela : le show télévisé, et le vote utile.
Le programme pèse peu dans les intentions de vote
Le programme présenté par les Verts au cours des élections présidentielles de 2002 et 2007 était identique et on ne peut pas dire que l’intérêt de la population française pour l’écologie ait baissé pendant ces cinq années mais en 2002, Noël Mamère a fait 5,25 % et en 2007, Dominique Voynet 1,57 %. Les raisons en sont multiples, Noël a bénéficié de son passé de journaliste de télévision et de “l’effet Jospin” (tout le monde étant certain que Lionel Jospin serait élu, le vote utile n’a pas bien fonctionné et l’électorat s’est lâché, ce qui a causé le fameux 21 avril). Dominique qui parle aussi bien sinon mieux que Noël de l’écologie, a eu le contre-coup du 21 avril 2002, plus les séquelles de sa déclaration sur le naufrage de l’Erika (“ce n’est pas la catastrophe du siècle”, ce qui était la stricte vérité), enfin le petit handicap qu’il y a toujours à être une femme en politique (1).
Le show télévisuel
La dynamique médiatique efface les positions programmatiques. En tous cas le programme politique pèse peu en regard des évènements ou déclarations que les media ont choisi de mettre en évidence. Il faut vendre du papier, il faut susciter des parts d’audience…Le marketing l’emporte sur le politique. Il vaut mieux être un homme grand et jeune qu’une femme petite et vieille. De ce point de vue, les lunettes rouges sont un bon point, l’accent étranger une tare. Son insistance sur le nucléaire à son retour de Fukushima a eu moins de succès auprès des journalistes que son passé de juge sévère qu’on lui renvoie régulièrement comme une tarte à la crème.
On peut illustrer plus avant cette affirmation en notant l’écho qu’ont eu dans les media les déclarations d’Eva Joly sur le défilé du 14 juillet ou plus récemment sur le choix des jours fériés religieux proposé par la Commission Stasi. L’intérêt politique de ces déclarations est insignifiant vis à vis de la présentation du contre-budget qu’elle a fait début octobre, et qui a été superbement ignoré des media. C’est peut-être l’occasion d’en parler. J’en retiens les passages suivants :
“… un budget pour la transition écologique de la société. Il nous faut investir massivement, en effet, pour une société plus sobre, plus efficace, plus durable et une économie moins vulnérable aux chocs énergétiques. Nous pouvons mobiliser dès cette année 15 milliards d’euros supplémentaires.
Je pense en particulier à l’équipement des logements pour les rendre plus économes en énergie. Je propose ainsi que, dès 2012, l’équivalent de 315000 logements soient ainsi rénovés. Je propose que, dès 2012, 150 000 logements sociaux soient construits sur les normes les plus élevées d’efficacité énergétique.
Plus globalement, notre projet de budget prévoit la création de centaines de millier d’emplois durables et non délocalisables, grâce aux aides de l’Etat vers les entreprises qui investissent dans la conversion écologique de notre société. Les PME pourront également bénéficier davantage d’aides à l’amélioration des conditions de travail de leurs salariés….
Nous voulons faire le choix d’une véritable qualité de vie pour toutes et tous. Il est possible de la retrouver dès 2012.
Enfin, la fiscalité doit être à son tour remise au service de tous les citoyens. Par exemple, nous disposerons de deux milliards d’euros supplémentaires en créant deux nouvelles tranches d’impôt sur le revenu : 60% pour les revenus au-delà de 100 000 euros par an et 70 % pour les revenus au-delà de 500 000 euros par an.
Une fiscalité au service de toutes et tous, c’est aussi nous mettre enfin sur la voie d’une fiscalité écologique. Nous voulons en cinq ans, hisser la France au niveau du Danemark, qui est aujourd’hui le meilleur élève de l’Europe en matière de fiscalité écologique. Cette grande réforme fiscale devra dès 2012 comprendre notamment une taxe sur les énergies non-renouvelables, fixant le prix du carbone à 36 euros la tonne de CO2 …
Là encore, il ne s’agit pas de pénaliser les plus défavorisés, mais d’engager la transition écologique en incitant les citoyens au changement nécessaire et en organisant la nécessaire redistribution écologique, en instaurant des chèques verts , qui aideront les couches les plus défavorisés à financer les investissements nécessaires au changement.”
Ce texte est paru alors qu’aucun-e autre candidat-e n’avait encore présenté de projet et on peut souligner que ce projet était chiffré.
Le vote utile
Le vote “utile” est parfois déploré mais ce n’est pas une absurdité, c’est la conséquence directe de ce scrutin national destiné à élire directement une seule personne. Le but des rédacteurs de la Constitution était de polariser la vie politique en une majorité et une opposition. Cette élection du président de la République et la vision bipolaire qui en découle m’ont toujours semblées anti-démocratiques (que mes amis étatsuniens me pardonnent) mais il parait que les Français s’y sont attachés. En tous cas il y a consensus sur l’importance des présidentielles comme en témoigne le faible taux d’abstentions.
Il suffit de comparer les résultats des premiers tours de présidentielles à ceux des européennes, régies par un scrutin proportionnel de liste à un tour, pour voir à quel point l’électorat se réfrène lorsqu’il s’agit d’élire le/la président-e. Quand le scrutin arrive, les électeurs et électrices censurent leur part de rêve. Souvenez-vous que José Bové était crédité de 10 % des intentions de vote fin novembre 2006 pour tomber à 1,32 % des suffrages en avril 2007.
Le vote utile va certainement jouer cette fois-ci encore, avec une inconnue de taille : le score du Front National. Les chances pour Eva Joly de sauver un score honorable sont réelles si les sondages en faveur de François Hollande sont au plus haut à l’approche des élections, mais je serais étonné que l’effet Jospin joue à plein comme en 2002.
Il y a un piège tendu régulièrement par les journalistes aux candidat-e-s : si vous n’arrivez pas au deuxième tour (sous entendu “c’est ce qui va arriver”) pour qui appellerez-vous à voter ? Eva est tombée dedans, alors que la seule réponse possible est de ne pas répondre à cette question ; les “petits candidats”, n’ont le choix que de prétendre vouloir être au 2e tour, ce qui relève, convenez-en, d’une langue de bois assez ridicule.
La victoire de l’écologie politique sera culturelle
Tout ceci ne devrait pas décourager les partisans d’Eva Joly de faire une campagne percutante. L’écologie politique doit se saisir de la tribune offerte, expliquer aux Français-e-s que le but est une prospérité sans croissance, qui préserve le bon état de la planète et un climat vivable, et que cela nécessite une redistribution conséquente de la richesse (voir ici). Si dans la foulée on pouvait parler des territoires en transition, de la biodiversité, de la sortie du nucléaire et du pic pétrolier, ce serait l’occasion de montrer que tout ne sera pas résolu par les urnes…
Ghislain Nicaise
(1) Quelqu’un qui lit par dessus mon épaule me souffle que le pacte écologique de Nicolas Hulot ayant été signé par tou-te-s les prétendant-e-s à la fonction présidentielle, la candidature écologiste en 2007 perdait beaucoup de sa pertinence. C’est en tous cas une considération qui a joué dans le vote défavorable à Nicolas Hulot lors des primaires écologistes de 2011.