Qu’avons nous à faire de Phèdre en notre temps? Les passions incestueuses se sont banalisées par l’abus de la séduction du scandale.
Inceste, jalousie,vengeance sont les ingrédients de la tragédie racinienne. Bien. On ne retient que les cris qu’ils autorisent. Mais lorsque ces cris déferlent en alexandrins, ils réveillent dans notre mémoire de formidables échos. Ce fut le lait culturel dont nous avons été nourris. Nous en avons le goût persistant dans l’oreille. L’alexandrin est une forme absurde et sublime par la contrainte qu’elle impose à la langue et à l’esprit. C’est notre chant grégorien. C’est pour le meilleur et pour le pire, une des manifestations de ce qu’on appelle l’esprit français.
On peut en ce moment se régaler d’alexandrins au théâtre Mouffetard à Paris. La mise en scène d’Ophélia Teillaud et de Marc Zammit est une absolue réussite. Sobriété et folie conjugués. Nous échappons à ces absurdes tentatives de “modernisation”. Les personnages sont en toge, plutôt qu’en jean. Un soupçon de chorégraphie anime le mouvement scénique. Eclairage et musique sont parfaitement dosés. La taille du théâtre beaucoup plus restreinte que la Comédie Française permet d’être en proche contact avec les acteurs. Tous sont excellents. On ne peut les citer un à un. Il n’y a aucune faiblesse. Ils interprètent leur classique avec fougue sans excès. Si je me suis endormi un moment pendant l’ultime tirade de Thésée, c’est la faute de Racine qui a fabriqué un trop long tunnel. Et j’étais bercé par l’extase alexandrine.
Alain Hervé