Les précurseurs de l’écologisme

20 mars 2012,

par Michel Sourouille

Certains auteurs ont compris que notre société s’engageait sur la mauvaise voie : Malthus, Veblen, Howard, Leopold, Osborn, Mumford. Ci-dessous un récapitulatif avec liens Internet vers ces auteurs.

1798 Essai sur le principe de population de Robert Malthus (Flammarion, 1992)

Cet Essai est la première interprétation « écologiste » de notre société : Malthus compare l’existence des humains et le fondement de sa survie, les nourritures terrestres. Il considère que la Terre constitue un espace clos, il précède ainsi le Club de Rome et ses courbes exponentielles. Sa problématique reste actuelle : « Si l’on cherchait à prévoir quels seront les progrès futurs de la société, il s’offrirait naturellement deux questions à examiner :

1. Quelles sont les causes qui ont arrêté jusqu’ici les progrès des hommes, ou l’accroissement de leur bonheur ?

2. Quelle est la probabilité d’écarter ces causes qui font obstacle à nos progrès ? »

Sa conclusion est intemporelle : « Le principe de population, de période en période, l’emporte tellement sur le principe productif des subsistances que, pour que la population existante trouve des aliments qui lui soient proportionnés, il faut qu’à chaque instant une loi supérieure fasse obstacle à ses progrès. »

1899 Théorie de la classe de loisirs de Thorstein Veblen (Gallimard 2007)

Ce livre est un élément fondateur de la compréhension des sociétés modernes. Au lieu de cultiver l’esprit collectif où l’essentiel consiste à faire comme tout le monde, il s’agit de se différencier, soit pour affirmer son pouvoir, soit pour faire preuve d’une illusoire vanité. Hervé Kempf* présente clairement la portée écologique  de Thorstein Veblen :

« La seule façon que vous et moi acceptions de consommer moins de matière et d’énergie, c’est que la consommation matérielle, donc le revenu, de l’oligarchie soit sévèrement réduite. En soi pour des raisons d’équité, et plus encore, en suivant la leçon de Veblen, pour changer les standards culturels de la consommation ostentatoire. Puisque la classe de loisir établit le modèle de consommation de la société, si son niveau est abaissé, le niveau général de consommation diminuera. Nous consommerons moins, la planète ira mieux, et nous serons moins frustrés par le manque de ce que nous n’avons pas. »

* Comment les riches détruisent la planète (Seuil, 2007)

1940 Testament agricole (pour une agriculture naturelle) de Sir Albert Howard (éditions Dangles, 2010)

Sir Albert Howard prévoit déjà les méfaits de l’agriculture productiviste de l’après-guerre : « Notre mère, la terre, qui se voit spoliée de ses droits à la fertilisation, se révolte. La perte de fertilité s’annonce par le danger croissant de l’érosion des sols. L’érosion est probablement, à l’heure actuelle, la maladie la plus importante, une étape de la stérilité du sol. L’érosion du sol n’est rien d’autre que le signe visible de l’échec complet de la politique agricole. La cause de cet échec, c’est en nous-mêmes qu’il faut la chercher. Les chasseurs de profit peuvent travailler impunément jusqu’à ce que la fertilité de la terre, le capital du pays, commence à disparaître d’une façon alarmante. »

Les thèses de l’agriculture biologique se situent aujourd’hui dans la droite ligne du Testament agricole.

1946 Almanach d’un comté des sables d’Aldo LEOPOLD (Flammarion, 2000)

Publié en 1949 à titre posthume, Aldo Leopold a pour la première fois dans cet « Almanach » considéré que le problème écologique était aussi un problème éthique :

« Il n’existe pas à ce jour d’éthique chargée de définir les relations de l’homme à la terre, ni aux animaux, ni aux plantes qui vivent dessus. Une éthique (écologiquement parlant) est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence. Il faut valoriser une éthique de la terre et montrer sa conviction quant à la responsabilité individuelle face à la santé de la terre, c’est-à-dire sa capacité à se renouveler elle-même. L’écologie, c’est cet effort pour comprendre et respecter cette capacité. »

Pour lui, toute créature est membre de la communauté biotique, et comme la stabilité de celle-ci dépend de son intégrité, elle doit avoir le droit d’exister.

1948 La planète au pillage de Fairfield Osborn (Actes  sud, 2008)

Sa présentation du livre est prémonitoire :

« L’humanité risque de consommer sa ruine par sa lutte incessante et universelle contre la nature plus que par n’importe quelles guerres » et la dédicace parfaite, « à tous ceux que l’avenir inquiète ». Juste après Hiroshima, il est quasiment le premier à prendre conscience d’une catastrophe écologique en marche.

Il ne pouvait avoir l’idée du pic pétrolier et du réchauffement climatique, il consacre donc surtout son analyse à l’appauvrissement des sols. Mais certaines de ces analyses ont été reprises de multiples fois, par exemple : « Aujourd’hui les villes en ruine de l’Ancien empire maya témoignent avec éloquence que jadis il y a eu là les centres d’une population nombreuse et florissante. Cet épisode des Mayas nous apparaît comme un avertissement, auquel par malheur personne ne prend garde ».

1956 Les transformations de l’homme de Lewis Mumford (Encyclopédie des nuisances, 2008)

Lewis Mumford nous présente à la fois une critique de la civilisation technicienne comme Ellul et une nouvelle éthique comme Aldo Leopold :

«  Déjà en Amérique, de par sa sujétion à l’automobile, l’homme a commencé à perdre l’usage de ses jambes. Les mères américaines sont désormais encouragées par de nombreux médecins à ne pas allaiter leurs nouveau-nés. Le destin final de l’homme posthistorique est de se transformer en un homoncule artificiel dans une capsule autopropulsée, voyageant à la vitesse maximale et ayant éliminé toute forme spontanée de vie de l’esprit. »

« La nature n’est plus qu’un stock de matériaux inertes, à décomposer, à resynthétiser et à remplacer par un équivalent fabriqué mécaniquement… Mais la nature est un processus qui se déroule à la fois dans le cosmos et en l’homme :  comme l’expose Lao-tseu, c’est la Voie. Seuls les primitifs et les ignorants, les nobles sauvages et les petits enfants sont assez proche de la Voie pour vivre dans la plénitude de leur nature. »