« Omar » Chevalier sans peur et sans reproche

4 novembre 2013,

 

Omar_portrait_w193h257Un film de Hani Abu-Assad

Par Saura Loir

Palestine. Territoires occupés. Un pays coupé en deux, une population coupée en deux, des êtres intérieurement coupés en deux, par la méfiance, le soupçon, la peur de la trahison. Symbole omniprésent et incontournable de cette division, le Mur. Un jeune rebelle têtu le défie : Omar. Dès la première séquence les voilà face à face : l’énorme  paroi en béton et, tel David affrontant Goliath, le petit humain intrépide et résolu.

Rien ne semble pouvoir arrêter le jeune Omar dans sa volonté inébranlable de faire fi de cet obstacle dressé  par l’occupant  israélien,

qui le sépare de ses amis d’enfance et de la jeune fille qu’il aime. Rien, ni l’interdiction, ni les balles, ni l’exploit physique et ses mains ensanglantées. Dans ce monde où la division règne, Omar a trouvé son unité intérieure dans sa rage contre l’occupant et  dans l’amour qu’il porte à Nadia. Tout au long de son parcours douloureux cette unité lui permettra de garder son cap en dépit des trahisons et des apparences trompeuses, en dépit des pressions physiques et mentales mises en œuvre par l’occupant pour le faire plier. Oui, la vie est dure et devient vite insupportable quand il n’y a pas de liberté, même celle d’aller et venir sans crainte dans son propre pays. La nécessité d’être
tout le temps sur ses gardes, de faire attention à ce qu’on dit et à qui on le dit finit par pourrir les relations, même les plus proches et les plus intimes. Avatar moderne du « Chevalier Bayard, sans peur et sans reproche », Omar oppose à toute cette horreur une âme droite et intrépide, entièrement dévouée à son pays, à ses amis et à la femme qu’il aime.

Écœurés et révoltés, lui et ses deux amis décident à leur tour d’entrer dans la rébellion. Cela nous vaut une série d’épisodes de violences et de poursuites haletantes, alternant avec des moments d’échanges de blagues avec les copains ou de tendresse avec la bien-aimée. A la suite d’Omar, nous pénétrons dans cette Palestine meurtrie, cadenassée de partout, nous entendons ses habitants rêver tout haut du vaste monde là dehors, monde interdit dont seuls des échos leur parviennent à travers le cinéma, la radio, les récits de quelques happy few. Il nous entraîne dans des ruelles étroites, des terrains vagues, des murs effondrés, des maisons en ruine, pour s’arrêter soudain devant une porte close et nous introduire dans des intérieurs douillets où les membres d’une même famille plaisantent paisiblement ou parlent football, où l’on gronde gentiment mais fermement les enfants qui disent des gros mots. Mais soudain des soldats en armes surgissent et la fuite commence, les balles sifflent, les coups pleuvent, le sang coule. C’est alors la prison, les interrogatoires, les flatteries sournoises alternant avec les menaces et les coups. Plus loin et au même moment, des jeunes filles en uniforme papotent joyeusement dans la cour d’une école.

Un univers schizophrène, ainsi nous apparaît la Palestine à travers les yeux d’Abu-Assad. Un univers rongé par la peur, la suspicion, les trahisons, réelles ou fantasmées mais  hélas toujours possibles. Un univers infernal où pourtant les signes d’humanité abondent, même là où on les attend le moins, comme dans le regard que pose un responsable israélien de la sécurité intérieure sur son prisonnier, censé être l’ennemi qu’il faut réduire et que pourtant on respecte, quelqu’un avec qui, dans d’autres circonstances, d’autres temps, on aurait pu prendre un verre ou regarder un match de foot. Je pense à la scène où ce responsable,  visiblement touché par la qualité humaine d’Omar et ne pouvant se permettre de l’exprimer,  se laisse aller à un geste furtif, celui de tendre vers lui une main hésitante, comme pour ôter de sa veste une pluche invisible. On se prend alors à rêver d’un monde où la fraternité et la paix succèderaient à la haine et la violence……….On peut ironiser sur le thème éculé de la sympathie qui se fait jour entre deux ennemis qui se respectent…..Thème éculé ou pas, la scène est juste et la fin du film détruira toute illusion.

Thriller ? Policier ? Film d’action ? Pamphlet politique ? Mélodrame psychologique ?  Un peu de tout à la fois et chacun selon son goût mais ce qui m’a frappée et le plus touchée c’est le personnage d’Omar. Avec sa jeunesse, sa force, sa droiture, la pureté de ses sentiments, son refus de plier devant l’injustice, la ruse ou la trahison, il m’apparaît comme l’archétype universel du Héros. Dans notre culture, ce pourrait être non seulement le Chevalier Bayard mais Lancelot du Lac, des Chevaliers de la Table Ronde.  Lancelot et son amour impossible pour sa « dame », la reine Guenièvre ; Omar et son amour pour Nadia, persécuté par le sort. Leurs brèves rencontres font si bien sentir la douceur d’un sentiment amoureux qu’il faut encore cacher – nous sommes dans un pays musulman – et qui ne peut s’exprimer que par des petits mots échangés furtivement et des gestes tendres à peine esquissés où la pudeur le dispute au désir. Quelle fraîcheur ! Cela nous change des scènes de « baise » dont le cinéma occidental nous abreuve constamment…….

Avec ce film très beau et émouvant, tourné avec des acteurs pour la plupart non professionnels criants de vérité, Hani Abu-Assad parvient à nous captiver, à nous faire vibrer à l’unisson des émotions contrastées qui submergent Omar, malgré une intrigue qui aurait gagné à être plus claire.  Film écrit, réalisé, financé et joué par des Palestiniens, il parle de la souffrance du peuple palestinien et parvient pourtant, en renonçant à appuyer lourdement sur l’aspect  pamphlet politique, à nous faire accéder à l’universalité de cette  souffrance. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

 Saura Loir