Deux partis politiques ont vraiment progressé lors du premier tour des élections municipales 2014 : le Front national et les Ecologistes. Comme le fait remarquer notre confrère Reporterre, les écologistes s’en tirent nettement mieux, avec une moyenne de 11,6 % des suffrages exprimés sur les communes où il y avait une tête de liste Europe Ecologie Les Verts (EELV) contre 7% pour le Front national dans les mêmes conditions. Le second tour amènera probablement bien davantage de maires écolos que de maires frontistes, alors que les médias s’accordent à souligner la configuration tripolaire des élections en cours. L’effet délétère de l’alliance d’Europe Ecologie Les Verts avec le principal parti du gouvernement ne s’est fait sentir que sur les listes d’union locale avec le PS. Par contre à Grenoble les écologistes alliés au Front de gauche arrivent en tête avec 29,4 % des suffrages devant le PS à 25,3 %.
Je me souviens clairement qu’il y a une vingtaine d’années, je prédisais à qui voulait l’entendre que la bipolarité Parti socialiste versus RPR allait être remplacée par le tandem antagonique Verts/Front national. Je me garderais bien de faire la même prédiction, j’essaye de ne pas faire deux fois les mêmes erreurs et la prudence vient avec l’âge. Au début des années 1990, il me semblait que les “grands” partis de gauche et de droite n’avaient plus rien à dire et allaient s’effacer politiquement devant ce nouveau couple qui illustrait les deux choix possibles pour l’avenir : schématiquement la paix sobre pour panser les blessures de la planète ou le régime autoritaire pour sauver les acquis des nantis. Ces deux pôles incarnent aussi les deux attitudes extrêmes sur l’Union européenne : fédéralisme ou rejet radical.
En 1989 les Verts avaient obtenu 10,6 % et le FN 11,7 % aux élections européennes. En 1993, les écologistes (sous plusieurs drapeaux) avaient totalisé plus de 10 % des suffrages exprimés aux élections législatives, un scrutin qui leur était d’habitude défavorable, et le FN 12,9 % (par comparaison, en 1981, ces chiffres étaient respectivement de 1,1 et de 0,3). Aux municipales de 1995, le FN a emporté les mairies de Toulon, Orange et Marignane.
Ce n’est peut-être pas un simple bégaiement de l’histoire. Entre temps, la crise économique et environnementale s’est affirmée, ce qui renforce l’inquiétude, et la défiance envers les partis de gouvernement, et d’autre part les écologistes ont pu faire leurs preuves dans la gestion locale de plusieurs villes. Les maires FN de 1995 eux, n’ont pas été renouvelés (à part Jacques Bompard à Orange mais il a quitté son parti).
Pour un Hénin-Baumont (27 000 habitants) qui est l’objet d’un battage médiatique exceptionnel, combien de maires écolos au premier tour de 2014 : Loos en Gohelle (7 000 habs), L’Ile-Saint-Denis (7 000), Mouans-Sartoux (11 000), Vauréal (17 000) Arcueil (20 000), Bègles (25 000) et de plus petites communes comme Guillestre, Kaysersberg, Muttersholtz, Pussay, Puy Saint-André, Venizel… Cet ancrage dans la réalité durable est illustré par un livre récent de Pascale d’Erm, “Ils l’ont fait et ça marche. Comment l’écologie change déjà la France”. C’est le moment de faire appel à notre biais d’optimisme pour espérer que la descente des ressources en pétrole, minerais, eau et terre fertile ne ridiculise pas ces efforts de gestion soutenable.
Ghislain Nicaise
Post scriptum ajouté après le 2e tour : un maire écologiste dans 27 villes de plus de 1000 habitants (probablement plus du double du nombre des nouveaux maires FN). A Grenoble Eric Piolle a gagné 11 points entre les deux tours malgré le maintien du candidat socialiste. Le deuxième tour a confirmé le soutien de l’électorat annoncé ci-dessus en bilan du premier tour.