Aventures en permaculture – 21, Peut-on se passer de pesticides au jardin ?

29 août 2015,

111113.Carabus.intricatus redpar Ghislain Nicaise

Un des responsables de la Société locale d’Agriculture et d’Horticulture a lancé cette interrogation, propre à engendrer un troll, pour animer les échanges internet de l’association. La question était accompagnée d’un texte se livrant à un massacre en règle de l’utilisation du purin d’orties. Après avoir vu passer des réponses assez diverses, dont certaines de solide bon sens (“Evidemment que l’on peut se passer de pesticides ! Ces produits ne sont apparus que dans les années 50-60 et que je sache, auparavant, nos cultures se portaient très bien…”) je n’ai pu me retenir d’y ajouter mon grain de sel.

Je crois que la solution n’est pas de remplacer des pesticides de synthèse par des extraits ou macérats de plantes. Je proposerait volontiers que l’effet parfois positif des purins divers porte plus sur la nourriture apportée aux plantes cultivées que sur la destruction de pestes.

La solution durable, pour moi comme pour de plus en plus de gens, la seule d’avenir contre les pestes, c’est la biodiversité.  La biodiversité c’est en pratique d’introduire ou d’encourager le plus d’espèces possibles, animales et végétales, sur le lieu. Ce n’est pas forcément facile si le jardin est tout petit mais on peut quand même essayer.

C’est pour cette raison que de plus en plus de catalogues vous proposent des “hôtels à insectes” et vous pouvez en faire vous-mêmes. Le mien est moins joli que ceux des catalogues mais en plus mon jardin entier est un hôtel, avec des cailloux en tas, des tas d’herbes et de branches, des recoins de broussaille : mon jardin n’est pas “propre”. Si vous avez beaucoup d’espèces d’insectes, vous en aurez quelques nuisibles, et beaucoup d’auxiliaires. Si après une bonne application d’insecticide les insectes reviennent, ce sera, en masse, l’espèce nuisible et vous n’aurez pas les espèces qui la mangent.

Bien entendu il y a aussi les oiseaux et j’avoue que je me suis résolu cette année à acheter des filets pour protéger certains fruits. Mais si vous éliminez les insectes, vous n’aurez plus d’oiseaux du tout ou alors des oiseaux frugivores et/ou granivores, qui se régaleront de vos productions.

En six ans de plantations de pommes de terre, je n’ai jamais vu un seul doryphore, mais je suis en lisière d’un bois où nichent des tas d’oiseaux alors que mon voisin 100 mètres plus loin, avoue être parfois obligé d’en faire la récolte à la main pour éviter les ravages.

Les magazines vous encouragent aussi à créer une mare, tout le monde ne peut pas mais quand vous pouvez, c’est un plaisir, c’est un spectacle, c’est indispensable pour les abeilles. J’ai cru remarquer que ça détournait les guêpes de manger mes petits fruits (enfin presque !).

Je vais prendre l’exemple des limaces sur mes fraisiers (1). J’ai planté les gariguettes sur la planche des myrtilles, c’est à dire un endroit qui ne doit pas sécher donc favorable aux limaces (pas très permacole tout ça sous notre climat mais je ne suis pas un permaculteur religieux, je suis aussi jardinier amateur !). Au début j’avais de réels dégâts, maintenant, depuis au moins 3 ans, je récolte une fraise entamée par les limaces pour cinquante intactes. J’ai vu des carabes. Carabus intricatus, le plus fréquent chez moi, illustre l’article, mais j’ai aussi le plus banal C. auratus. Je rencontre des crapauds qui sortent la nuit, cela fait au moins 2 espèces de prédateurs de limaces qui n’étaient pas là au départ. Il y en a probablement d’autres. Il faut un peu de limaces pour nourrir ces prédateurs et je leur laisse volontiers quelques fraises. J’ai aussi de l’aïl dans mes fraisiers (il parait que c’est bien), de l’achillée millefeuille, de la morelle noire…Plus c’est compliqué, plus c’est stable. Certaines lectrices ou lecteurs pourront m’objecter qu’on a un bon produit contre les limaces, le phosphate de fer (surtout pas le métaldéhyde !) je suis d’accord que c’est un produit chimique intéressant mais je préfère m’en passer.

La biodiversité végétale peut être dirigée. J’ai au moins deux succès éprouvés : la menthe au pied des pommiers pour écarter le carpocapse (ver rose dans la pomme), la tanaisie pour éloigner les fourmis (cultivatrices de pucerons) de mes cerisiers. J’ai commencé à mettre de la tanaisie au pied des mûriers car cette année des fourmis s’en prennent aux mûres (les mûres blanches Emmanuelle sont un vrai délice !). Je mets aussi scrupuleusement des tagètes avec les tomates. Les tomates peuvent se re-cultiver plusieurs années de suite au même endroit ai-je lu mais il y a le risque de nématodes. Les tagètes sont, selon le consensus, nématicides. Je ne sais pas si ça marche sur mon terrain et quelle serait la différence si je ne le faisais pas mais je suis le conseil. Il y a plusieurs livres sur les associations favorables ou nuisibles de plantes ; je peux recommander particulièrement celui de Sandra Lefrançois et Jean-Paul Thorez “Plantes compagnes au potager bio” (Terre vivante).

Le sujet est très vaste mais je voudrais exposer brièvement mon opinion sur les fongicides : je sais que le cuivre est autorisé en bio et je crois que c’est une sottise. Le cuivre tue les champignons certes, mais les champignons sont indispensables au sol vivant (même si l’on ne pratique pas le bois raméal fragmenté, de mieux en mieux connu sous l’appellation BRF). Le soufre en poudre est un autre fongicide, d’utilisation moins risquée que le cuivre (si l’on ne s’en met pas dans les naseaux !). Son séjour dans le sol, après oxydation, donnera de l’acide. L’acidification du sol peut-être nuisible pour certains végétaux (les pluies acides d’origine industrielle ont ravagé des forêts de résineux) mais elle ne sera probablement pas un problème si le terrain est calcaire. En terrain non calcaire l’acidification, par exemple par le soufre, est plus délicate à mettre en oeuvre, mais sera utile pour acclimater les myrtilles par exemple.

Je compte revenir dans un prochain épisode sur la relation entre la fertilisation du sol et les pestes.

L’avenir des pesticides, nous l’avons devant nos yeux, les abeilles meurent, les ouvriers agricoles en Chine pollinisent les pommiers avec un pinceau. Quand j’étais assistant en Zoologie à Lyon, un collègue biologiste (un jeune prof de fac !), est mort en traitant un arbre de son jardin parce qu’il y a eu un coup de vent inattendu dans la mauvaise direction. Faites le choix de la vie !

(à suivre)

(1) Cet exemple est illustré dans un précédent article