Too much of a good thing ?

2 février 2017,

Hormèsepar Ghislain Nicaise

J’ai appris un nouveau mot avec l’article passionnant de Mark Mattson dans le numéro de février 2017 de Pour la Science. L’hormèse est la propriété de molécules toxiques d’avoir un effet bénéfique à faible dose. Ce n’est pas le cas de tous les toxiques, il y a des molécules toxiques non hormétiques : mon médecin à qui j’en parlais m’a dit “oui, ce sont les poisons”. Je cite Mattson : Les fruits et légumes contiennent souvent des toxines qui ont des effets bénéfiques sur notre santé lorsque nous en consommons de petites quantités… Les substances non hormétiques tel le mercure sont dangereuses même à faible dose.

Ce n’est pas si simple si l’on se fie au célèbre énoncé de Paracelse Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison.

Les dangers de la carotte et les bienfaits du vin

J’ai le souvenir d’avoir évoqué de nombreuses fois en amphi l’exemple d’un citoyen américain qui était mort d’avoir trop bu de jus de carotte (3 litres par jour quand même). La carotte contient-elle des substances hormétiques ? La quantité de vitamine A à ne pas dépasser pour un adulte est de 3 milligrammes par jour selon le National Institute of Health étatsunien. Ce n’est pas beaucoup, mais ça ne m’empêchera pas de savourer des carottes râpées (avec un jus de citron et un soupçon de crème). Cependant l’article de Mattson ne parle pas de vitamine A et mentionne plutôt d’autres substances contenues dans les fruits et légumes comme le resvératrol. Ce mot ne vous dira peut-être rien mais comme contemporain de la découverte de cette molécule, je peux témoigner de la sensation qu’elle a soulevé chez les biologistes. L’histoire a commencé par la révélation au début des années 1990 que le vin rouge (pris avec modération !) était bon pour la santé (Renaud et de Lorgeril 1992). Plus précisément, la consommation de vin rouge pouvait expliquer le french paradox : les français, bien que consommant libéralement des graisses animales, sont relativement protégés des maladies coronariennes (les artères coronaires irriguent le cœur, quand elles se bouchent on a un infarctus). Evidemment les biochimistes ont cherché à savoir pourquoi, savoir quel était le composant responsable de cet effet, vu que l’éthanol du vin ne pouvait tout expliquer. Il était à cette époque fréquent d’entendre dans les congrès que ceux qui permettraient de remplacer le vin rouge par des pilules étaient des criminels. La recherche ne s’embarrassant pas de scrupules gastronomiques, des publications ont rapidement désigné un responsable potentiel, le resvératrol. On a pu montrer bien plus récemment que cette molécule n’avait peut-être pas tous les effets merveilleux qu’on avait pu lui prêter mais c’est peut-être aussi un problème d’hormèse ?

Les bienfaits des fruits et légumes sur la santé sont le résultat d’une guerre de longue haleine menée par les végétaux contre les animaux qui tentent de les manger. Au cours de centaines de millions d’années d’histoire évolutive, ces plantes en sont venues à produire des pesticides naturels qui leur ont permis de survivre

Le stress, l’évolution et le jeûne

L’article de Mattson offre une explication à l’effet bénéfique de la toxicité des légumes : le stress. Si vous n’avez pas une idée claire de ce qu’est le stress, vous pouvez peut-être jeter un regard rapide à un précédent article sur le sujet (le-stress-pour-les-nuls). Un stress limité en intensité, mais surtout limité dans le temps, c’est le jogging de nos cellules : ce qui ne les tue pas les rend plus fortes.

Il est rare que j’aie l’impression qu’un seul article de Pour la Science contienne plusieurs informations intéressantes. En voici une troisième : Le stress lié à un jeûne temporaire incite le cerveau à privilégier la protection des neurones.

Ayant vu vieillir mes parents et étant moi-même le sujet d’un processus inexorable de vieillissement, je me suis souvent émerveillé de la relative préservation des facultés mentales avec l’âge. J’ai bien dit relative, par comparaison avec les muscles, les articulations, la peau ; malheureusement le cerveau vieillit aussi mais, j’aime à le croire, moins vite. L’idée à laquelle je n’avais jamais pensé est qu’il serait ainsi prioritaire pour notre organisme. Et bien entendu on retrouve l’Évolution : D’un point de vue évolutif, le fait qu’une privation temporaire de nourriture puisse être bénéfique n’est pas si surprenant. Le léger stress qui en résulte incite le cerveau à privilégier la protection des neurones, permettant à l’animal de préserver ses capacités cérébrales, nécessaires pour trouver de la nourriture.

Pour résumer (l’article est bien plus riche que cela), le jeûne et les légumes, avec modération dans les deux cas, sont bons pour la santé et la longévité.

Les végétariens ont globalement raison mais ils ne l’expriment pas toujours bien

Cet article est arrivé dans ma boite aux lettres au lendemain d’une soirée en compagnie d’ami-e-s végétarien-ne-s, tendance végane. Je précise ma position en tant qu’omnivore écolo : nous avons un ennemi commun : l’élevage industriel, facette la plus nocive de l’agriculture industrielle, et je me réjouis de la vogue du combat végétarien, chez les jeunes en particulier. Je ne vivrai pas assez vieux, même si je mange moins de produits d’origine animale, pour constater d’éventuels excès du végétarisme. Leur mouvement va dans le bon sens. Ça ne m’empêche pas de critiquer certains de leurs arguments si je les trouve faibles ou contre-productifs. D’une manière générale, je trouve qu’ils insistent trop sur la santé et le naturel. C’est un défaut répandu dans l’écologisme. Par exemple je trouve que la privation du droit des paysans à produire leurs semences (sans compter les déséquilibres écologiques) est une conséquence bien plus grave de la généralisation des OGM agricoles que les risques alimentaires.

Pour qu’ils soient réellement bénéfiques, les régimes végétaliens nécessitent le développement et la généralisation d’une nouvelle culture du bien manger, rien de magique ni de difficile mais cela prendra du temps. On trouve maintenant des livres de gastronomie végétarienne dont les recettes sont tout à fait satisfaisantes pour les gourmets, mais aussi des gens bien intentionnés qui se ruinent la santé en essayant une alimentation plus saine.

L’argumentation des végétarien-ne-s militant-e-s évolue, peut-être sous l’effet de dialogues avec les omnivores. Par exemple, au cours de cette soirée, un d’entre eux a mentionné en passant que les gorilles, qui ne mangent strictement que des végétaux, ont de bien plus grosses canines que nous : il y a quelques années, nos canines réduites étaient présentées comme une preuve que la consommation de viande n’était pas naturelle pour les humains. L’alimentation naturelle pour notre espèce est celle des chasseurs cueilleurs ou cueilleuses, la cueillette pouvant comprendre des escargots, des batraciens, des coquillages, des crabes, des oeufs, du miel, et même des charognes. Il y a 10 000 ans la révolution néolithique avec la culture des céréales et l’élevage a permis à notre espèce d’envahir la planète mais au prix de quelques carences que l’on peut vérifier avec le recul sur les squelettes de nos ancêtres. Trop de jus de carotte peut nuire à la santé, trop de céréales aussi : l’absorption de sucres, même lents (amidon) déclenche la sécrétion d’insuline, un facteur de croissance qui, entre autres, stimule facilement les cellules cancéreuses. Je crois donc que le trop manger est plus nuisible que la nature de ce que l’on mange. Notre organisme n’est pas adapté à ne jamais manquer de nourriture. Cela ne veut pas dire que l’on doive nécessairement se calquer sur l’état de nature sans tenir compte des adaptations permises par notre cerveau. Le propre de l’espèce humaine est de s’affranchir des contraintes naturelles et il me semble vain de vouloir effacer d’un coup cent siècles de révolution néolithique.

J’ai été particulièrement interpellé au cours de cette soirée par le cas des habitants de l’ile d’Okinawa dont les centenaires nous ont été présentés comme un exemple des bienfaits du végétarisme. Ce qui m’a frappé c’est que c’est une population insulaire isolée, avec ce que cela implique comme particularités génétiques, que ses habitants n’ont pas à lutter contre le froid (Okinawa est à la latitude de la Floride), qu’ils sont petits et maigres donc probablement qu’ils mangent peu. L’idée qu’ils ont un patrimoine génétique proche des Inuits et que la comparaison entre ces deux populations démontre la supériorité du végétarisme est pour moi tellement absurde qu’elle ne peut pas servir la juste cause d’une meilleure alimentation. Si l’on avait eu l’idée baroque de transporter des habitants d’Okinawa au Groenland dans des igloos en les nourrissant parcimonieusement de patates douces, il me semble évident que leur espérance de vie aurait été bien inférieure à celle des Inuits.

Il y a suffisamment de raisons pour manger moins de protéines animales, BEAUCOUP moins de protéines animales, pour ne pas en chercher de fausses.

Ghislain Nicaise