Le 11 janvier au soir j’ai participé à distance à une conférence organisée par la société Permafforest. L’objet en était la promotion de stages de formation pour la mise en place de « microforêts Miyawaki ». L’ambition de ces plantations est de recréer sur une variété de surfaces à partir de 100 m2, en 20 à 30 ans, une forêt primaire ou plutôt un peuplement d’arbres qui s’en rapproche. Des chercheurs ont fait remarquer que le terme de bosquet serait plus approprié que celui de forêt. Les anglophones parlent de tinyforest.
Je me suis senti concerné à double titre, d’abord ces entrepreneuses et entrepreneurs se réclament de la permaculture, ensuite je suis membre de l’Association Francis Hallé pour La forêt primaire. Le Sauvage a eu l’occasion de saluer cette association, elle aura bientôt 4 ans. L’association Francis Hallé a pour but de préserver un espace naturel de toute intervention humaine pour laisser se recréer spontanément une forêt primaire en Europe de l’Ouest sur environ 70 000 hectares (1). L’arrivée à l’équilibre pourrait prendre 800 ans mais on considère que l’essentiel du développement devrait se faire en 200 ans, ce qui est déjà long à l’échelle d’une vie humaine.
Les deux approches sont diamétralement opposées mais pas nécessairement incompatibles, avec chacune sa part de science botanique et sa part de nouveauté. Toutes les deux traduisent la prise de conscience de l’utilité de la biodiversité et du fait que l’humanité est allée bien trop loin dans la déforestation.
La forêt primaire visée par la méthode Hallé, surtout par la contrainte de surface, est seule capable d’abriter à terme la faune de mammifères nécessaire à la restitution complète de l’écosystème forestier européen.
La méthode Miyawaki, répandue dans le monde entier par l’entreprise indienne Afforest, est particulièrement adaptée à réaliser rapidement des îlots de verdure et de fraicheur en milieu urbain, bienvenus pour réduire la pollution. Elle permet à des bénévoles d’agir concrètement en plantant des arbres, elle favorise le militantisme ainsi que l’on s’en rend compte en visitant par exemple le site dédié sur Toulouse en transition. Elle génère aussi une activité économique et crée des emplois comme en témoigne la multiplication des entreprises et associations qui organisent des stages et des plantations selon la méthode Miyawaki. Une recherche rapide m’a permis de repérer comme associations basées sur la région parisienne Boomforest et Semeurs de forêts, ainsi que Minibigforest à Nantes. Permafforest qui a motivé cet article est une entreprise localisée en Charente-Maritime. La Belgique héberge Urban forests, qui met à notre disposition une antenne française ainsi qu’une introduction bien documentée que vous pouvez télécharger ici. Ce foisonnement est parfois porté par un optimisme exagéré comme certains articles l’ont fait remarquer (https://reporterre.net/Des-forets-en-ville-La-methode-Miyawaki-n-est-pas-la-solution-miracle).
À la différence de l’arboriculture traditionnelle, la méthode Miyawaki plante serré (on trouve souvent le chiffre de 3 plants par m2), ce qui offre aux jeunes arbres une protection réciproque contre l’excès de soleil tant qu’une canopée n’est pas établie et favorise la croissance en hauteur. Il y a très probablement d’autres bénéfices comme l’échange d’eau et de nutriments au niveau des racines.
Il y a une autre manière de cultiver la forêt, qui repose sur les 7 étages de végétation décrits pas Robert Hart (la méthode Miyawaki conseille aussi 3 étages de plantes ligneuses) et sur un choix utilitaire des espèces. On crée ainsi une forêt-jardin ou forêt nourricière. Si cette notion est obscure pour vous, vous pouvez vous reporter à quelques articles du Sauvage, par exemple ici ou là. Tout apprenti permaculteur qui en a les moyens devrait visiter la forêt-jardin de Martin Crawford (Agroforestry Research Trust) dans le Devon. Mais comme l’avait précisé Martin lors de notre visite, le but d’autarcie alimentaire (nourrir 8 personnes sur 8000 m2) serait impossible à atteindre si l’on se limitait aux espèces locales. Avec leur objectif de trouver des espèces pérennes, les permaculteurs et permacultrices rivalisent parfois dans la plantation d’espèces étranges dont aucun agriculteur n’avait jamais entendu parler. Un des meilleurs permaculteurs français Franck Nathié a dénoncé justement la « collectionnite » des débutants qui font la course aux végétaux bizarres. Je plaide coupable de ces errements (ils n’apparaissent pas souvent dans ma chronique parce que les espèces les plus exotiques sont rarement les plus intéressantes) tout en me réjouissant d’avoir essayé avec succès les feijoas ou les asiminiers et en me régalant de la confiture d’argouses et coings.
Il y a quelques mois j’avais eu un dialogue de sourds avec un jeune promoteur de la méthode Miyawaki. Selon lui, cette méthode entrainait la réalisation d’un jardin nourricier. J’ai retrouvé la même affirmation surprenante lors de la conférence de Permafforest, largement reprise sur leur site. Je suis convaincu de l’intérêt de planter serré certaines plantes ligneuses jeunes (quitte à élaguer par la suite) mais reste sceptique quant à la capacité nourricière de nos espèces locales sauvages. Tant que je n’aurai pas vu une plantation Miyawaki de 8000 m2 nourrir 8 personnes sous nos climats, je ne croirai pas cette performance possible.
Ghislain Nicaise
(1) soit environ 10 % de la surface d’un grand département français comme l’Aisne, le Cher, ou les Côtes d’Armor