L’urgence écologique

21 décembre 2015,

Yves CochetL’urgence écologique : un entretien avec Yves Cochet par Michel Sourrouille

Avant qu’un des plus anciens militants de l’écologie, Yves Cochet, n’intervienne lors de la conférence-débat à Paris le 19 novembre sur le thème « La COP 21 peut-elle éluder la question démographique ? », il a répondu à nos questions.

Michel Sourrouille : à bientôt 70 ans, est-ce le temps de la retraite ?

Yves Cochet : Depuis mon inscription aux Amis de la Terre en 1972, je n’ai jamais eu l’intention d’arrêter. Je suis toujours au conseil fédéral d’EELV, et 42e sur la liste d’Emmanuelle Cosse pour les régionales. En dernier, mais toujours présent. L’urgence écologique a besoin de nous tous, toujours.

MS : si tu devais indiquer en une phrase ton sentiment sur la question démographique, que dirais-tu ?

YC : L’évolution à la baisse de la population est un des moteurs de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il n’est pas tenable que les Américains produisent en moyenne 16 tonnes de CO2 par an, les Chinois et les Européens 8 tonnes, alors que les Africains sont à moins d’une tonne. Pour instaurer la justice sociale, il faut non seulement harmoniser le montant des émissions mais aussi diminuer le poids démographique car la population est un multiplicateur incontournable du niveau des émissions.

MS : penses-tu que la conférence sur le climat à Paris va changer quelque chose ?

YC : Nous pouvons déjà prévoir un échec bien que la méthode initiée par la France soit nouvelle. Il s’agit de partir du bas, des contributions nationales. Les Etats doivent s’engager à réduire leurs émissions dans une période déterminée, mais ce ne sont que des intentions qui de toute façon nous mènent vers une augmentation moyenne de 3° C, comme Laurent Fabius le rappelait d’ailleurs ce matin à la radio. Notons aussi que l’Arabie Saoudite se permettait de financer les fous de Daech, mais n’a pas encore rendu sa copie sur sa stratégie d’émissions.

MS : la catastrophe est donc en marche. Est-ce bientôt le rôle futur des politiques, comme tu l’as écrit, « de diminuer le nombre de morts » ?

YC : Des intellectuels comme Dominique Bourg ou Bruno Latour sont eux aussi devenus « catastrophistes ». On va tout droit dans le mur, vers le chaos climatique et donc social. Des organismes qui pensent le long terme comme les compagnies d’assurances ou les militaires se préparent au pire. On comprend mieux la gravité de la situation à la lecture de leurs rapports plutôt qu’à la lecture des journaux. Il n’y a pas assez de terres arables et pas assez d’eau pour satisfaire les besoins d’une population en constante augmentation.

MS : Tu as écrit en 2005 le livre Pétrole Apocalypse. Aujourd’hui, on ne parle que du réchauffement climatique. Quel lien fais-tu entre ces deux préoccupations ?

YC : L’articulation entre les deux, c’est tout simplement le mécanisme de transformation de l’énergie. Le pétrole est la ressource, en amont, le réchauffement climatique le résultat de sa combustion en aval. Le problème, c’est que le GIEC ne s’intéresse qu’à l’aval, l’évolution des températures mondiales. Il devrait tenir compte des travaux de l’ASPO, association qui étudie les pics pétroliers avec un budget de zéro dollar. Le plafond de production du pétrole conventionnel a été atteint en 2006, et maintenant il y a stagnation, ce qu’on appelle un plateau ondulant. De toute façon, comme l’exprime la Coalition 21, il faudrait laisser une grande partie des ressources fossiles sous terre pour limiter le réchauffement à moins de 2° C.

MS : Serais-tu pessimiste ?

YC : J’essaie d’éviter les sentiments sur l’évolution des réalités biophysiques. Si l’écologie politique (les Verts, puis EELV) obtient un mauvais score aux élections, c’est parce que nous sommes trop réformistes, alors que l’écologie, c’est violent, à l’image des phénomènes désastreux que l’action humaine a déclenchés. Il se dessine un monde de décroissance, de récession, disent les économistes. Nous devrions aussi en tant qu’écologistes parler de décroissance démographique. Mais cela reste encore un tabou. A EELV, nous avons raboté notre radicalité, et cela n’a pas augmenté notre score. On s’éloigne pour des raisons électoralistes de l’état réel du monde, que ce soit sa réalité sociale ou écologique. Nous devrions dire la vérité sur l’état de la planète alors que les autres politiciens ne cessent de mentir, comme Sarkozy qui voulait aller chercher une croissance de 3 % avec les dents et Hollande qui ne jure lui aussi que par la croissance économique. Je suis pour la décroissance de l’empreinte écologique des pays du Nord. D’ailleurs, dans le cadre du FIAP Jean Monnet où va se tenir tout à l’heure la conférence sur « démographie et climat », nous avions organisé en 2008 notre première réunion internationale sur la décroissance. Dire explicitement que l’effondrement va arriver, ce serait moralement plus juste et politiquement plus clair que notre réformisme borgne actuel.

MS : Que faire alors contre le réchauffement climatique ?

YC : Il faudrait que les Français apprennent à se tricoter un pull supplémentaire car il est plus efficace de chauffer directement son corps plutôt que de chauffer l’air de son logement. Et il y a mille autres comportements sobres à adopter face à la domination des multinationales productivistes. Il faut aussi donner une large place à la société civile, aux initiatives locales, encourager la création de villes en transition, soutenir les zadistes qui, sur les zones à défendre, combattent l’intrusion croissanciste à Notre Dame des Landes ou à Sivens.

Paru le 29 novembre 2015 sur le site des Journalistes Ecrivains pour la Nature et l’Ecologie