Aventures en permaculture – 33, La Plume

9 décembre 2020,

Fig. 1. Josef Holzer devant les Algeco du chantier

Samedi 5 décembre, par grand mauvais temps, nous avons été invités à visiter le chantier des étangs de La Plume guidés par son maître d’œuvre, Josef Holzer jr. Pour expliquer ce qu’est ce chantier, on peut commencer par citer un des documents qui nous ont été communiqués :
Un concept respectant les critères de la permaculture Holzer doit être élaboré dans le cadre d’une étude de référence pour le domaine de La Plume situé dans la localité de La Penne (06260), en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Conformément aux vœux exprimés par les propriétaires du domaine, les principales thématiques étudiées sont les suivantes : la rétention d’eau, la culture de fruits et légumes en plein air, les vergers et l’exploitation touristique.
La localité de La Penne est celle qui abrite mes « Aventures » depuis 2008. Si vous aviez la chance de lire la Gazette des Jardins en janvier 2012, vous avez peut-être parcouru mon éloge d’un précurseur de la permaculture, Sepp Holzer, et de ses remarquables réalisations dans les Alpes autrichiennes (1). Josef junior est son fils (Fig. 1), un solide quadragénaire aux yeux de porcelaine bleue, qui diffuse le savoir-faire familial dans plusieurs pays avec ses pelles mécaniques, par l’intermédiaire d’une entreprise (Holzer permaculture), secondée par un cabinet de géologues (Geo Unterweissacher). J’étais impatient de le rencontrer et j’ai été séduit par sa franchise, sa bonne humeur et, pour autant que je puisse en juger, sa compétence.

Fig. 2. Le design permacole de la Plume. Repérer les 4 étangs en bleu.

Une grande partie de la permaculture est fondée sur la conception, le design des anglophones (Fig. 2). Pour décider du design, on étudie les flux et en particulier celui de l’eau. La demande concernant la rétention d’eau n’est pas une spécificité de la Plume mais une démarche permacole classique, qui dépend cependant fortement de l’environnement. De plus tout agriculteur vous dira que le maraîchage est particulièrement exigeant en eau. Si l’on se réfère au modèle du Bec Hellouin (2), Perrine et Charles Hervé-Gruyer sont partis en Normandie d’un sol pauvre, mais avec l’eau qui coule en permanence au milieu du terrain. À La Penne, le sol au départ est à peine plus fertile mais l’eau n’est abondante que quelques mois dans l’année. Sur le terrain où s’installe La Plume, autour du pavillon de chasse qui appartenait au marquis Durand de la Penne, on voit les vestiges de deux grands réservoirs témoins d’une adaptation à la sécheresse périodique du climat local. Or c’est en grande partie par la création de petits lacs que Sepp Holzer a réussi à transformer le « désert de sapins » du Krameterhof en lieu d’abondance. Ces étangs, suivant un principe permacole bien établi, ont plusieurs fonctions, en fait au moins trois. Ils servent bien entendu de réservoir d’eau pour irriguer les cultures, mais en outre ils ont un rôle régulateur du microclimat local (source de chaleur en hiver et de fraicheur en été) et ils permettent une pisciculture écologique (3).
Le défi était le remplissage et le maintien de nappes d’eau permanentes sous le climat contrasté de l’arrière pays niçois. Les études d’ingénierie dont nous parle joyeusement Josef en anglais pendant que nous frissonnons sous un ciel menaçant (qui nous poudrera de neige en fin de visite) ont l’air solides. La documentation basée sur les archives météorologiques remonte à cent ans en arrière. Ils n’ont pas seulement tenu compte de la pluviosité annuelle mais de sa fréquence et son intensité journalière voire horaire, ce qui est judicieux si l’on veut bien se souvenir des épisodes « méditerranéens » récents qui ont frappé les Alpes maritimes. Pour le moment nous sommes au niveau du bassin supérieur (le plus grand sur la figure 2) et le paysage évoque ce que devait être Verdun en 1916. De grands tas de terre plus sombre témoignent du soin mis à préserver la couche superficielle de terre arable (Fig. 3) : elle est retirée des surfaces qui deviendront les étangs ou leurs barrages de retenue.

Fig. 3. Le troisième étang. Sur la droite 2 pelles mécaniques. Au fond le pavillon de chasse. En silhouette à l’horizon le pigeonnier qui domine le village de la Penne.

Cette terre plus riche en matière organique et biodiversité, l’horizon A des pédologues, sera ajoutée en surface des zones destinées aux plantations. Nous apprenons qu’il n’y aura pas d’arbres sur les barrages car la règlementation en vigueur les proscrit : ils pourraient fragiliser la masse de terre en cas de chute. Je ne peux pas m’empêcher de penser que si ce risque est sérieux avec des pins, il serait nul avec des feuillus à racine pivotantes et je me demande si cette règlementation est française ou autrichienne.
Par la suite nous descendons jusqu’aux troisième et quatrième bassins qui sont presque terminés. Ils étaient invisibles depuis le haut du terrain et leur découverte emporte ma (notre) conviction. Josef nous explique comment son équipe doit utiliser la très grande diversité géologique du lieu. L’argile cruciale pour imperméabiliser le fond des étangs ne pourrait suffire seule par manque de tenue, elle doit être dopée avec du sable et des graviers (je simplifie).

Fig. 4. Le 4e étang (le plus bas) dont le trop plein se déversera dans la rivière.

La figure 4 montre à gauche le plan incliné qui amènera les eaux de ruissellement vers le bassin du bas, et à droite l’utilisation de blocs de pierre pour assurer le drainage. Un système de canalisations permet l’écoulement des bassins les plus hauts vers les bassins inférieurs. Il peut être mis à profit pour la pisciculture.
Il est évident que cette démarche relève de la permaculture humaniste, dans le sens où ce mot s’oppose à naturiste. Il s’agit de collaborer avec la nature et même de la contraindre pour réaliser un écosystème favorable à l’espèce humaine. La complexité et la diversité recherchées s’opposent néanmoins à l’action simplificatrice de l’agriculture traditionnelle. L’avenir dira si ce système d’étangs est durable, si son entretien n’est pas trop exigeant. J’ai l’impression que pendant quelques années au moins, le bénéfice en sera palpable. La figure 2 qui résume le design prévoit un jardin-forêt (« forêt de fruit »), un choix permacole qui m’est cher depuis que j’ai visité l’extraordinaire forêt nourricière de Martin Crawford dans le Devon (voir ici et ). Il faut dire que l’agroforesterie est devenue tendance, même en dehors des cercles de permaculture.
Les propriétaires du domaine ou au moins responsables du projet sont Clara Gaymard (Enarque, PDG de General Electric France de 2006 à 2016, épouse d’un ancien ministre du gouvernement Raffarin, et de nombreuses autres responsabilités que vous pouvez consulter sur sa notice Wikipedia) et Gonzague de Blignières (Ingénieur, licencié en Mathématiques, Titulaire d’un DEA de Physique du solide, devenu analyste financier et investisseur en capital avec une nette orientation sociale et philanthropique). Je me garderais bien de les juger sans les connaître mais sur l’échiquier socio-politique, ils sont à l’opposé des précurseurs locaux de la permaculture installés de l’autre côté de la route à la ferme du Collet, qui se réclament de la pauvreté volontaire. L’avenir dira ce que ces deux approches de la permaculture ont en commun, et les effondrements à venir, sociaux et écosystémiques, éprouveront leurs résiliences respectives. Je ne sais pas si c’est prévu mais on peut souhaiter que les cadres venus se ressourcer à la Plume empoignent pendant quelques heures une grelinette et comprennent sinon tout le corpus éthique de la permaculture, au moins l’intérêt crucial de garder le sol vivant, d’encourager la biodiversité et la production locale de nourriture.
Si l’entreprise de la Plume réussit, ce qu’aujourd’hui je souhaite, le lieu aura probablement pour effet d’attirer l’essentiel de l’information sur la permaculture, au moins sur le département des Alpes maritimes. La permaculture des riches laissera peu de place à la permaculture des pauvres. Mais si la vocation de la Plume est d’être le « Bec Hellouin » du Sud-Est (2), il faudra pour cela qu’elle trouve ses Perrine et Charles.
Ghislain Nicaise, reportage photo Ivan Martouzet

(1) Je n’ai pas pensé utile de reproduire cet article sur le site du Sauvage. On peut lire sur ce sujet :
La permaculture de Sepp Holzer « l’agriculteur rebelle » d’Autriche. Guide pratique pour jardins et productions agricoles diversifiées. Editions Imagine Un Colibri, 2011.
Désert ou paradis : mise en place et pratique de la « Permaculture Holzer » : renaturation des paysages menacés, culture potagère et jardins urbains productifs, aquaculture naturelle et agriculture symbiotique. Marsac, éd. Imagine un colibri, 2014, 207 p
(2) Voir ici ou faire une recherche sur Internet avec les mots « ferme du Bec Hellouin ». Ce n’est peut-être pas fortuit qu’au programme de la Plume il y ait l’annonce d’une restauration gastronomique, qui m’a fait me souvenir du témoignage de Charles Hervé-Gruyer : il nous avait expliqué l’intérêt de confier la cantine du Bec Hellouin à un chef.
(3) Josef Holzer nous confie que la pisciculture dans les étangs du Krameterhof est son champ d’activité favori. C’est une source de revenus mais aussi un modèle innovant avec plusieurs espèces de poissons, des écrevisses, et une chaine alimentaire complexe, avec des abris pour que tous les petits poissons ne soient pas mangés par les gros.