Archive pour la catégorie ‘Gloire à nos illustres pionniers’

Hommage à Stephane Hessel

27 février 2013,

Il s’est endormi à quatre vingt quinze ans , après avoir essayé de réveiller la classe politique française. Il n’y est pas parvenu. Lui avait compris l’urgence de l’abandon immédiat des vieilles lunes croissantistes et l’ouverture immédiate de la transition écologique. Nous perdons une grande voix lucide.

Le Sauvage

Le facteur Cheval, héros du XXème siècle

1 novembre 2012,

Saluons Ferdinand Cheval né en 1836, mort en 1924, dont on fête cette année le centenaire de l’achèvement de son Palais idéal à Hauterives dans la Drôme.

Si vous ne le connaissez pas, allez d’urgence voir Hauterives, après avoir vu Chambord. Il s’agit d’une création grandiose, faite avec deux mains, une brouette et un esprit fertile.

Ce facteur était habité d’une profusion de formes qu’il a minéralisées. Rarement un esprit humain s’est exprimé avec autant d’indépendance, d’individualisme, de mépris de la société qui l’entourait. Equipé d’une culture de cartes postales, Cheval est un Wagner du béton.

Le sympathique musée de la Poste, 34 boulevard de Vaugirard à Paris, lui rend un très très maigre hommage , qui ne mérite pas le détour.

Alain Hervé

Barry Commoner (1917 – 2012)

18 octobre 2012,

par Jacques Grinevald

“Maîtrisons-nous vraiment les pouvoirs considérables et tout neufs dont nous a dotés la science,

ou devons-nous craindre de voir cette dernière échapper, peu à peu, à notre contrôle?“

Barry Commoner (1966/1969, p. 22)

“La question, maintenant, est de maîtriser la maîtrise, et non plus la nature.“

Michel Serres (1972/1974, p. 93)

Barry Commoner a rendu son dernier souffle le 30 septembre 2012, à New York, sa ville natale. Il était revenu s’y installer, avec sa seconde épouse, et son Centre pour la biologie des systèmes naturels, au début des années 80. Il était malade depuis un certain temps et il avait 95 ans, de sorte que l’annonce de son décès n’a pas été une surprise brutale. Cela dit, les hommages à la mémoire du professeur Barry Commoner vont raviver opportunément la figure et le message de cet éminent scientifique non-conformiste qui, plus que tout autre, et en avance sur son temps, contribua à fonder l’écologie politique. Il a initié l’attitude de veille critique vis-à-vis des “techno-sciences” de la société industrielle avancée. Contrairement aux hippies qui rejetèrent en bloc les sciences modernes issues de la révolution scientifique de l’Europe des “temps modernes”, Barry Commoner développa un genre de critique théorique et pratique qu’on (suite…)

Roger Belbéoch

5 janvier 2012,

par Laurent Samuel

Ce début d’année est endeuillé par le décès de Roger Belbéoch, l’un des pionniers, avec sa femme Bella, de la lutte antinucléaire en France. (suite…)

Henri Charnay

22 décembre 2011,

Nous voudrions saluer Henri Charnay que nous avons rencontré dans les années 70 tandis que nous publiions Le Sauvage. Nous passons des soirées chez lui dans le 15ème arrondissement à l’écouter et le (suite…)

Un salut tardif à Arthur

23 mai 2011,

par Laurent Samuel

Henri Montant, alias Arthur, est mort l’été dernier, emporté par un cancer, comme il avait vécu : avec discrétion et élégance.

Arthur fut pourtant l’un des meilleurs journalistes de sa génération, et l’un des premiers, dès le début des années 1970, à parler d’écologie. Cet ancien du « Dauphiné Libéré », qui avait claqué la porte de ce quotidien après Mai 68, fut l’un des fondateurs, aux côtés de Pierre Fournier, de « La Gueule Ouverte », qui était, avec « Le Sauvage », l’autre titre écologiste diffusé à l’époque dans les kiosques. (suite…)

André Gorz/Michel Bosquet

29 avril 2011,

Comme nous tous Gérard Horst, Michel Bosquet, (un pseudo prémonitoire ?) André Gorz, arrivait du Rift africain, via Lucie. Mais, malgré un détour par les Balkans, lui se souvenait du long voyage de l’Espèce humaine et des souffrances endurées.

Gérard était un petit corps, une grosse tête et un gros cœur.

Je me souviens d’un repas organisé par Claude Perdriel, avec des Polytechniciens  de la direction d’EDF, boulevard Saint-Germain dans un restaurant aujourd’hui disparu, au coin de la rue du Dragon,. Gérard écoutait le chœur des anges nous prêchant l’innocuité du Nucléaire. Il écoutait modestement, puis on entendait sa voix basse qui claquait comme une serrure bien huilée : il ne les croyait pas.

Lui-même avait été ingénieur.

Gérard  n’était pas un intellectuel arrêté. Il avançait en silence.

Je me souviens d’une conférence de presse dans une chambre de l’hôtel Bersolys rue de Lille, en 1970. Gérard était assis par terre et écoutait un des prophètes de l’écologie américaine David Brower, qui venait de quitter la direction du Sierra Club et de fonder Friends of the Earth à San Francisco. Il débarquait à Paris pour saluer la création des Amis de la Terre. Il égrainait ces constats qui sont devenus des banalités et que Paul et Anne Erhlich venaient d’énoncer : l’épuisement des ressources, la prolifération humaine, l’empoisonnement des milieux de vie, l’emballement des technologies. Il reprenait la formule de Buckminster Fuller du Vaisseau Spatial Terre…

Gérard se taisait. Il appartenait à un cercle de pensée parisien en particulier des Temps Modernes, où aucun de ces concepts n’était considéré, ni même soupçonné. Mai 68 avait laissé d’autres échos.

Lui il réfléchissait.

Dans les années qui suivirent, dans le Nouvel Observateur et dans le Sauvage, il développa des idées scandaleuses, extrémistes, « écologiques »pour les tenants de l’orthodoxie de la croissance, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Il les théorisa ensuite dans des livres fondateurs.

Jamais il ne se laissa intimider par les aparatchiks de l’extrême gauche qui considéraient l’écologie comme réactionnaire, avant de se peindre en vert pour entreprendre la reconquête d’un électorat qui leur échappait.

Pas plus qu’il ne se soucia des accusations d’être un ennemi du progrès par les tenants de l’establishment économique et financier.

Je me souviens de Gérard et de Dorine dans le bureau des éditions Galilée rue Linné, où elle travaillait, me lisant les dernières et ébouriffantes envolées d’Illich sur l’école, la santé, l’urbanisme…

La dernière injure faite à Gérard fut la construction d’une centrale nucléaire dans la région de Vosnon, où il avait décidé de se retirer avec Dorine.

Là s’est terminée avec grandeur, leur migration depuis le Rift.

Alain HERVE


Françoise Biro

15 janvier 2011,

Elle a écrit dans le Sauvage dès les débuts. Nous nous sommes connus à Rome en 1968,  lorsqu’elle vivait avec Andras Biro. Puis elle a travaillé à Paris à Jeune Afrique. Mais pourquoi parler se sa carrière?

Françoise était une héroïne, une Jeanne d’Arc laïque. La vie l’avait accablée de tous les maux physiques. Elle avait un corps en ruine qu’elle menait comme un étalon à la bataille. Elle piaffait en trainant la jambe. Elle écrivait avec ses larmes et son sang pour produire une prose heureuse, joyeuse. Vous lirez ci dessous un de ses articles. Elle était généreuse sans un sou. Elle était heureuse de vivre, elle est morte lorsqu’on ne s’y attendait plus. Discrètement.

C’est un des êtres humains que l’on a eu la chance de rencontrer au cours de sa vie.

Monsieur Georges

par Françoise Biro

Les « Parisiens » l’appellent Monsieur Georges. Pour les gens du pays, c’est Georges tout court.

Le pays, à une douzaine de kilomètres de Barcelonnette, c’est un massif de montagnes de Haute-Provence. L’une d’elles s’appelle les Maures ; et sur son flanc s’étagent quelques fermes éparses. Une fois franchie l’Ubaye, on contourne le village de Méolans, puis on arrive au lieu-dit Gaudessart et, par une route en lacets, puis par de simples chemins de plus en plus étroits, on parvient au sommet, fait de pâturages. 1 600 m d’altitude.

Le clos de l’Aigle marque la dernière halte avant le sommet. Stupeur : un canal sur ce versant aride ! De l’eau potable même qui coule dans un canal bien tracé. Ensuite, elle va se perdre dans les sous-bois, le long d’un joli chemin.

Le clos a été entièrement débroussaillé. On y cueille des fleurs. On ramasse le genêt. Les grandes prairies ont été fauchées et un potager a même été aménagé en contrebas, asperges, persil, salade.

Qui est le paysagiste ? Qui a amené l’eau ?

Monsieur Georges, bénévolement, et pour le plaisir de tous. Cette montagne, il l’aime farouchement et comme il ne recule devant rien…

Monsieur Georges est un homme tout petit, sec et vif, comme savent l’être les montagnards. Enfant trouvé, il a suivi l’itinéraire habituel de l’Assistance Publique : placé dans une famille, il est allé à l’école jusqu’au Certificat, puis a fait de menus travaux. Il est ensuite devenu ouvrier agricole dans le Vercors.

Attiré par les Maures, il y est devenu facteur. C’est de cette époque et de ce métier qu’il a gardé pour habitude de dévaler la montagne à la verticale, écartant branches et taillis et aboutissant là où il le souhaitait. Ignorant les chemins en lacets, il la remonte pareillement. Sinon, qui d’autre que lui aurait pu, hiver comme été, par la neige, pluie et grand soleil, aller porter des lettres sur le versant d’en face ?

Peu bavard, il pose un regard clair sur les choses et les gens. On est surpris de le voir soudain surgir d’un fourré. Il pend sa veste à une branche de pommier, accepte un verre d’eau, aime rire et écouter, se fait prier pour rester manger la soupe, et puis se met au travail. On fait appel  lui pour couper le bois, tailler les arbres, faucher, faire du jardinage.

Je l’ai observé un jour qu’il avait à arracher un cytise qui s’était mis en travers d’un sapin et d’un mélèze. Avec quel soin il a commencé à coups rapides d’émondoir à couper les branches du haut, puis celles du bas, les rangeant à part avant de s’attaquer au tronc avec une tronçonneuse.

De haut en bas, c’est ainsi qu’il raisonne quand il réfléchit à un travail qu’il n’a jamais fait. Le démonter mentalement, et la solution est là.

Monsieur Georges est un sacré bonhomme.

L’été, il habite le Clos de l’Aigle (il dit de l’Aigre, comme les habitants de la montagne, allez donc savoir pourquoi ?). Une cabane au toit pentu en tôle ondulée, on y accède par une échelle. Première pièce servant d’atelier, avec une paroi entièrement réservée à ses outils et tous ses clous, astucieusement disposés de façon à voir vite et à prendre vite. Ensuite la chambre, un poële, un lit surmonté de quelques vêtements pendus à des clous, un buffet, une belle table et, accrochée, une branche de tilleul qu’il renouvelle chaque année.

Des photos au mur et, je le sais, rangés quelque part, des poèmes que Monsieur Georges écrit lorsqu’il ressent quelque vague à l’âme. Sous le plancher de la pièce se trouve la réserve de bois. Le tout très propre, soigné, aimé.

La première fois que je me suis trouvée à mi-flanc du versant — c’était en plein été vers onze heures du matin —, on m’a dit « Regarde ! ». J’ai eu le souffle coupé. Scintillant au soleil, j’ai vu ces montagnes qui forment comme un cirque autour de la vallée : le grand et le petit Sénar, Séolane, l’Ailette, l’Aupillon. Je ne trouvais pas mes mots.

Monsieur Georges fait corps. Il veille sur chaque brin d’herbe. Il est attentif.

Françoise Biro

(Le Sauvage — De la simplicité —n° 9-10, août-septembre 1991)

Hommage à Jean-Paul Gibiat

22 novembre 2010,

Jean-Paul Gibiat est décédé le 16 novembre 2010

Sa grande silhouette ne passait pas inaperçue. Dans les dernières années, elle lui donnait un petit air de Monsieur Hulot (celui de Jacques Tati).
Dans les années 70, Jean-Paul Gibiat fut l’une des plumes les plus talentueuses du « Sauvage », pour lequel il s’était penché sur des sujets aussi divers que les jumelles ou les excréments de bébé, et interviewé des personnalités comme le peintre Fromanger ou la philosophe Noëlle Châtelet.

Après l’arrêt du « Sauvage » en 1980, cet individualiste-né s’intégra – à la surprise de certains de ses amis – dans le cadre plutôt contraignant et formaté du groupe Prisma Presse. A « Ca m’intéresse », où j’eus le bonheur de travailler avec lui pendant plus de dix ans, cet urbain dans l’âme – ironie du sort ? – se retrouva en charge des animaux et de la nature. Après un bref détour au « Temps Retrouvé », mensuel destiné aux seniors, d’où il nous adressait ses « meilleurs vieux », Jean-Paul revint dans le giron Prisma, au sein de l’équipe de « Géo Histoire », où son fils Balthazar marche aujourd’hui sur ses pas.

Grand professionnel de l’écriture, Jean-Paul Gibiat était aussi un homme d’une immense culture. Littérature, musique, cinéma, photo et surtout peinture… Ses connaissances étaient immenses, sans qu’il les « étale » jamais. Et ses jugements, parfois féroces, étaient toujours solidement étayés.

Mais Jean-Paul était surtout un ami fidèle, parfois provocateur, mais toujours pudique. Un ami hélas lointain dans les dernières années, car sa santé s’était beaucoup dégradée et qu’il ne voulait pas le montrer…

Parmi ses amis, nous sommes sans doute beaucoup à regretter que Jean-Paul n’ait jamais écrit le(s) roman(s) qu’il aurait pu (dû ?) nous donner.

Mais son empreinte discrète et profonde restera à jamais marquée dans nos coeurs.
Laurent Samuel