Prédiction

9 juin 2019,

Par Ghislain Nicaise

Dans sa dernière chronique (le 7 juin) Dominique Seux déplorait sur France Inter que la ville de Paris renonce à la publicité de Total pour les jeux olympiques. Ce peut paraitre injuste : on peut comprendre qu’Anne Hidalgo n’ai pas eu envie de se faire huer ; peut-être que Total investit dans le renouvelable mais son enseigne est un étendard de la combustion de fossiles. Dominique Seux a, comme il l’assume, la tâche ingrate de défendre le productivisme néo-libéral, il ne le fait pas de manière agressive et il est sincère, très probablement. Cela ne l’empêche pas de ressortir un bobard (fake news en français) récurrent sur le prétendu échec des prédictions de l’équipe Meadows dans le rapport The limits to growth demandé par le Club de Rome. Les famines prévues ne seraient pas arrivées. Dominique Seux fait juste une erreur de date. Nous sommes en 2019 et l’effondrement de la population mondiale n’est pas prévu par le modèle World 3 avant 2030. C’est l’occasion de rappeler une fois de plus que le rapport Meadows a été réévalué 30 ans plus tard par un auteur indépendant, dans un autre laboratoire. Ce modèle qui fonctionnait de 1900 à 1970 date de sa mise en oeuvre, fonctionne assez correctement de 1970 à 2000, il a donc été prédictif, c’est ce qui est représenté sur le graphique ci-dessous.

Fig. Réexamen du modèle World3 publié initialement par Meadows et al en 1972. Ce modèle permettait d’intégrer les relations entre population et ressources, nourriture, services, production industrielle et pollution de 1900 à 1970. Ses prédictions jusqu’en 2100 sont en pointillés. La comparaison entre prédiction et réalité a été figurée sur ce graphique par Linda Eckstein- pour la revue en ligne du Smithsonian Institute – à partir des données publiées par G. Turner pour la période 1970-2000 (en traits pleins). Cette mise à l’épreuve du modèle conforte la prévision d’un effondrement prochain du système économique sans même que la crise écosystémique globale soit prise en compte.

Dominique Seux dans son effort d’éponger l’inondation écologiste, souligne que dans le programme de Noël Mamère aux élections présidentielles de 2002 il était peu question d’effet de serre et de réchauffement. Là il a raison mais on peut préciser comment et pourquoi. De nos jours, c’est devenu un thème majeur, qui a pris des proportions internationales, qui fait descendre notre jeunesse dans la rue, qui lui fait écrire des pancartes étonnantes, qui est qualifié de catastrophiste. Les solutions envisagées relèveraient d’une écologie particulière, dite punitive.

L’annonce de ces bouleversements par les écologistes serait-elle une nouveauté (sous-entendu opportuniste)? 

 Aux débuts du mouvement écologiste dans notre pays, il y a eu un journaliste Pierre Fournier, qui a largement contribué à la diffusion du journal qui le publiait (Hara-Kiri Hebdo) et qui écrivait en avril 1969 :

Pendant qu’on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s’engendrent les unes les autres en répétant toujours la même chose, l’homme est en train, à force d’exploitation technologique incontrôlée, de rendre la Terre inhabitable, non seulement pour lui, mais pour toutes les formes de vie supérieure qui s’étaient jusqu’alors accommodées de sa présence. Le paradis concentrationnaire qui s’esquisse et que nous promettent ces cons de technocrates ne verra jamais le jour parce que leur ignorance et leur mépris des contingences biologiques le tueront dans l’oeuf. La seule vraie question qui se pose n’est pas de savoir s’il sera supportable une fois né, mais si, oui ou non, son avortement provoquera notre mort. Bien que quelques fadas n’aient pas attendu l’aurore du siècle pour la concevoir, cette idée est si neuve, et nous sommes depuis la maternelle si bien conditionnés dans l’autre sens, que presque personne encore ne l’a vraiment comprise […] C’est trop monstrueux pour qu’on puisse y croire.

Parmi la minorité d’écolos qui ont partagé cette vision qu’on qualifie encore de catastrophiste, en attendant qu’elle soit admise comme réaliste, très peu ont eu l’indépendance d’esprit ou, si l’on préfère, l’inconscience, de se présenter à des élections avec de tels propos. Le premier candidat écolo à une élection présidentielle, René Dumont, a eu en 1974 un succès médiatique en montrant un verre d’eau à la télévision pour alerter sur la pénurie à venir mais il a recueilli 1,32 % des votes. Noël Mamère avec un discours plus modéré en 2002 a fait 5,25 %. Le catastrophisme ne paie pas !

Mais surtout, il y a eu depuis : les publications des climatologues, le recul des glaciers visible pour les citadins en vacances à la montagne, les canicules, les inondations et les sécheresses…

Et tout cela concerne l’écosystème planétaire alors que le modèle de Meadows prenait surtout en compte l’économie des sociétés humaines. On assiste donc à une étonnante compétition entre course à l’effondrement mondial de l’économie et mondialisation de la dégradation de l’écosystème. Laquelle arrivera en tête pour stopper l’autre ? En incurable optimiste, je parie sur l’effondrement économique gagnant, le terme de transition écologique commence déjà à vieillir.

G.N.