Archive pour la catégorie ‘Gloire à nos illustres pionniers’

Romain Gary, le minoritaire-né.

8 novembre 2010,

Je suis différent, comme tout le monde…

Il y a un grand malentendu avec Gary, mais avec lui tout est toujours trop grand, démesuré comme un gamin rattrapé par une puberté vengeresse qui s’offre une crise de gigantisme. Si si, ça existe.

Ce type était trop, comme disent les mômes de la communale. Trop tout. Trop en avance sur son temps. Si on a dit de lui qu’il était le père, voire le grand-père de l’écologie, avant l’invention du mot et pis du concept, c’est qu’il souffrait du brin d’herbe piétinée en toute insouciance comme du hérisson écrasé sur la route par des gens qui chantent à tue-tête en roulant de bonheur vers la nature.Des inconscients, des inattentionnés. Or la terre a besoin de beaucoup d’attentions, d’être constamment surveillée, même, insiste-t-il Inconscient, ce n’était pas dans ses moyens.

« … Un homme qui est bien dans sa peau est ou un inconscient ou un salaud. Personne n’est dans sa peau sans être aussi dans la peau des autres »
Beaucoup trop sensible. Sensibilité d’artiste, sensiblerie de jeune fille dont sans se vanter il ne rougissait pas. Capable de se coucher contre un arbre, et de sentir, et de savoir ce que pense et ressent cet arbre. À en devenir l’arbre, à écrire en langage d’arbre. Il dit de lui qu’il est un souffreteux, c’est vrai : tout ce qui arrive aux autres lui arrive aussi.
« … j’ai vu un arbre de trois mille ans, un redwood, et de cent cinquante mètres de haut. Trois mille ans après, il est toujours là pour prouver que c’est possible, qu’on n’est pas obligé de tout détruire… »
« … assis dos à l’écorce j’essayais de lui prendre quelque chose mine de rien, par contact subreptice, lui soutirer deux sous de dureté, d’impassibilité, d’indifférence, de je vous emmerde tous, ça ne marchait jamais, on restait de part et d’autre, quand même, en fin de journée, je me sentais moins souffreteux… »

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Le petit siècle de Rochefort…

31 octobre 2010,

Douze ans que Christiane est morte et je ne m’en console pas.

Toutes ces années d’absence, d’éclipse, c’est trop long.

Son dernier livre, CONVERSATION SANS PAROLE commence par ces mots terribles : Je vais te faire un aveu, ma mère me manque. Eh bien, on en est tous là, même si on n’en a que moindrement conscience. Par les temps qui courent, Christiane nous manque !

Alors je lis, relis, ressasse. Me souviens et m’en rie en essuyant une absence de larme, une larme d’absence. Retrouve quelques perles,  à porter au mémorial de son escamotage :

“Je peux me mettre dans la peau du cerf, dans sa crainte, dans la peau de la taupe qui fouit sans voir, dans le dernier loup, condamné qui se terre quand il voudrait sauter et mordre, dans l’éphémère mortel dont les ailes battent leur dernier vol, dans la mouche prise à la toile, dans l’araignée qui attend en vain. Dans le lion qui n’a pas trouvé de proie, dans le chacal errant, dans le serpent dont la moitié du corps est écrasé, dans la grenouille sous le scalpel, dans l’aigle qui a fait son nid trop haut, dans le migrateur que le vent a perdu et dérouté, dans tout ce qui a peur et s’affole et résiste et se bat et meurt, mais je ne peux me mettre dans le peau de l’homme, dans la mienne”.

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L’histoire du Sauvage

25 avril 2010,

Le Sauvage magazine écologique mensuel a été publié par le Nouvel Observateur de 1973 à 1981. Le premier numéro paraît le 1er avril 1973 sous le titre : 1973 L’Utopie ou la mort . Il fait suite à un numéro spécial du Nouvel Obs. en 1972 : La dernière chance de la Terre. C’est un grand succès, 200.000 exemplaires vendus, qui décide Claude Perdriel, directeur du Nouvel Obs, à entreprendre le Sauvage. Alain Hervé créateur des Amis de Terre en 1970, qu’il vient de laisser entre les mains de Brice Lalonde, en est l’artisan. Il est appuyé par Philippe Viannay le créateur des Glénans, du CFJ, et pour partie du Nouvel Observateur, l’ethnologue Philippe Arreteau et Edouard Golsmith le créateur en Angleterre du premier magazine écologique au monde, The Ecologist .

Le Sauvage associe la culture à l’écologie et vise un large public au delà du militantisme et de la mouvance 1968. Le numéro 2 titre :La grande crise de l’énergie, le numéro 3 :Travailleurs de tous les pays reposez vous, le numéro 5 : Faut il fermer Renault . Les grands thèmes des écologistes des années 2000 – 2010 sont déjà tous présents. En 1974 Le Sauvage soutient la candidature de René Dumont à la Présidence de la République. Brice Lalonde qui est membre de la rédaction est le chef de campagne et Alain Hervé responsable du bureau de presse. (suite…)

Teddy Goldsmith

16 avril 2010,

C’était un féroce amoureux de la vie. C’était un grand croyant. En la vie. Il s’appelait Edward Goldsmith. On ne l’appelait que Teddy. Il n’aurait pas pu s’appeler autrement.

Il se saisissait la barbe à pleine main pour raconter des épisodes de sa vie d’enfant gâté, qu’il tournait en dérision.
Une campagne électorale dans le Suffolk, en 1969, avec des chameaux, ou bien pour annoncer le réchauffement climatique. Au cours d’une réunion d’Ecoropa, j’ai vu Denis de Rougemont tomber de rire de sa chaise en l’écoutant. Denis était un sérieux à cœur.

Teddy, selon l’humeur, était franco-anglais, franco par sa mère originaire du Bourbonnais ou anglo par son père, membre du parlement anglais. Il a d’abord publié en anglais, puis, avec l’aide de Jean-Marie Chevalier, en français chez Fayard. Un seul de ses titres résume tous les autres : « Changer ou disparaître » Il a lancé en 1969 le premier magazine écologique au monde : The Ecologist. Il a participé au numéro exceptionnel du Nouvel Observateur « La Dernière chance de la Terre » en 1972. Il m’a aidé à lancer le Sauvage un an plus tard. Il y a régulièrement collaboré. En 2000, il a lancé, avec Thierry Jaccaud, l’Ecologiste en français. (suite…)

Pierre Samuel

16 avril 2010,

Tout nous séparait.
Il était mathématicien et je conserve encore un souvenir épouvanté de mes relations avec les profs de math.
J’étais journaliste, navigateur et pas du tout scientifique.
Il fumait et ça m’agaçait car je venais de réussir à m’arrêter.
Il prenait des notes sur ses vieux paquets de gitanes et je considérais qu’il s’agissait d’une démonstration de recyclage un peu puérile.

A part ça nous nous complétions sans doute parfaitement. A ma fantaisie désordonnée, à mes improvisations brutales, il opposait le calme, l’organisation, la continuité. A vrai dire nous avons cohabité peu de temps. J’avais quitté la direction des Amis en 1972, lorsque j’avais passé la main à Brice Lalonde. Je m’occupais surtout alors du Sauvage qui en était à ses premiers numéros. Mais à partir de 1973, nous nous rencontrions fréquemment à l’occasion des réunions des Amis quai Voltaire.

Tout nous rapprochait.

Nous étions tous les deux féministes. Je me souviens de fameux délires avec Christiane Rochefort. Je l’appréciais pour être l’auteur d’Amazones guerrières et gaillardes, une recherche suprêmement originale et documentée, qui déniaisait le simplisme bien pensant et sectaire de certaines féministes de salon. Pierre était un gaillard discret mais informé.

Je l’appréciais pour assurer avec discrétion et fermeté le pilotage des Amis au jour le jour : surveiller les comptes, désamorcer les dérapages gauchistes, développer le réseau national, assurer le lien avec ses amis scientifiques de Survivre et vivre ; soutenir Brice tout en tenant les Amis en dehors d’un engagement politique trop politicien.

Complémentarité au fil des années, qui nous valut d’être promus ensemble au titre de Présidents d’honneur des Amis de la Terre, avec une Légion d’Honneur en prime. Grâce auxquelles Brice, devenu ministre, voulait à travers nous promouvoir l’écologie en général au rang de grande préoccupation nationale.

Nous n’étions pas d’accord à propos du titre du Courrier de la Baleine, que m’avait soufflé une géniale américaine, Joan Mac Intyre ( son Mind in the waters est un des meilleurs livres écrits sur les cétacés). Il préférait par souci de concision La Baleine tout court. Qu’importe.

Pierre avait une force d’être exceptionnelle. Je me souviens qu’en 1973 au cours de la première crise de l’énergie, à l’invitation de Teddy Goldsmith, de l’Ecologist, nous participions à un congrès à Bournemouth en Angleterre. Les Anglais, se croyant revenus au temps du blitz, avaient décidé d’éclairer l’hôtel aux bougies et de supprimer le breakfast. Pierre descendit dans le lobby et se coucha par terre sur la moquette au milieu du passage et refusa de se relever tant qu’on ne lui aurait pas servi son petit déjeuner. Il l’eut.

Cet été 2009, Pierre et Teddy se sont donné le mot pour nous quitter presque le même jour. Mais ils restent avec nous parce que nous les admirons et les aimons. Ils nous ont ouvert la route.

Michel Bosquet/ André Gorz

16 avril 2010,

Comme nous tous Gérard, Michel Bosquet, (un pseudo prémonitoire ?) André Gorz, arrivait du Rift africain via Lucie. Mais, malgré un détour par les Balkans, lui se souvenait du long voyage de l’Espèce humaine et des souffrances endurées.

Gérard était un petit corps, une grosse tête et un gros cœur.

Je me souviens d’un repas organisé par Claude Perdriel, avec des Polytechniciens de la direction d’EDF, boulevard Saint-Germain dans un restaurant aujourd’hui disparu, au coin de la rue du Dragon,. Gérard écoutait le chœur des anges technocrates nous prêcher l’innocuité du Nucléaire. Il écoutait modestement, puis on entendait sa voix basse qui claquait comme une serrure bien huilée : il ne les croyait pas.

Lui-même avait été ingénieur.

Gérard n’était pas un intellectuel arrêté. Il avançait en silence.Je me souviens d’une conférence de presse dans une chambre de l’hôtel Bersolys rue de Lille, en 1970. Gérard était assis par terre et écoutait un des prophètes de l’écologie américaine David Brower, qui venait de quitter la direction du Sierra Club et de fonder Friends of the Earth à San Francisco. Il débarquait à Paris pour saluer la création des Amis de la Terre. Il égrainait ces constats qui sont devenus des banalités et que Paul et Anne Erhlich venaient d’énoncer : l’épuisement des ressources, la prolifération humaine, l’empoisonnement des milieux de vie, l’emballement des technologies. Il reprenait la formule de Buckminster Fuller du Vaisseau Spatial Terre…

Gérard se taisait. Il appartenait à un cercle de pensée marxiste, parisien où aucun de ces concepts n’était considéré, ni même soupçonné. Mai 68 avait laissé d’autres échos.

Lui il réfléchissait.

Dans les années qui suivirent, dans le Nouvel Observateur et dans le Sauvage, il développa des idées scandaleuses, extrémistes, « écologiques »pour les tenants de l’orthodoxie de la croissance, qu’ils soient de gauche ou de droite.
Il les théorisa ensuite dans des livres fondateurs dont « Ecologie et politique ».

Jamais il ne se laissa intimider par les aparatchiks de l’extrême gauche qui considéraient l’écologie comme réactionnaire, avant de se peindre à leur tour en vert pour entreprendre la reconquête d’un électorat qui leur échappait.

Pas plus qu’il ne se soucia des accusations d’être un ennemi du progrès par les tenants de l’establishment économique et financier.

Je me souviens de Gérard et de sa femme Dorine dans le bureau des éditions Galilée rue Linné, où elle travaillait, me lisant les dernières et ébouriffantes envolées d’Illich sur l’école, la santé, l’urbanisme…

La dernière injure faite à Gérard fut la construction d’une centrale nucléaire dans la région de Vosnon, où il avait décidé de se retirer avec Dorine.

Là s’est terminée avec grandeur, leur migration depuis le Rift.

Alain HERVE

Complément communiqué par Daniel PAUL :

L’ «  errance identitaire » de Gorz est vraiment étonnante. Il en a été « victime » dès son enfance : né Gerhard Hirsch, il devient Gérard Horst en 1930 quand son père  se convertit au catholicisme. Au Nouvel Obs, on lui conseille de changer ce nom à consonance germanique et il prend le nom de Michel Bosquet. C’est je crois à la publication d’Ecologie et politique qu’il bascule volontairement sur le pseudonyme d’André Gorz en posant son regard sur les jumelles de son père…qui portaient ce nom de fabrique. Notons en passant qu’il avait « quitté » sa langue maternelle pour le français, une façon, disait-il de « divorcer » d’avec cette mère dominatrice et antisémite. (voir l’interview de Noudelmann sur France-Culture). Daniel PAUL